Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Le goût du partage : entretien avec Christophe Dupouy (Les Clefs d’argent) et David Sulpice (La Villa de l’Étang blanc)

Si l’année 2020 et la crise sanitaire ont chamboulé leur quotidien et la vie de leur restaurant, Christophe Dupouy et David Sulpice ont œuvré pour maintenir le lien avec leur clientèle, en attendant des jours meilleurs. Cette année encore, leur excellence a été récompensée par le prestigieux Guide Michelin. Interview croisée de deux chefs étoilés, deux amis engagés en faveur du terroir local et de la convivialité.

Christophe Dupouy David Sulpice

© D. R.

Les Annonces Landaises : L’année 2020 a été éprouvante pour le monde de la restauration. Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?

Christophe Dupouy (Les Clefs d’Argent) : Je garde le moral et j’essaie de rester positif. Mais comme tous mes confrères, il me tarde de revenir à une situation normale et de pouvoir accueillir de nouveau mes clients dans les meilleures conditions.

David Sulpice (La Villa de l’Etang Blanc) : Quand je compare notre situation, ici, sur la côte landaise, à celle des confrères installés dans des grandes villes, je me dis que nous ne sommes pas les plus à plaindre. Nous avons eu la chance d’avoir la saison estivale, les touristes ont répondu présents et aujourd’hui, grâce à cela, nous ne sommes pas dans la situation économique, parfois dramatique, que certains restaurateurs connaissent.

© Michel Carossio

LAL : La crise sanitaire a contraint les restaurateurs à repenser leur manière de travailler. Quelle a été votre démarche pour votre restaurant ?

Christophe Dupouy, Chef étoilé. Les Clefs d’argent à Mont-de-Marsan © Michel Carossio

C. D. : Au printemps, on a décidé de faire de la vente à emporter et ça a rapidement très bien fonctionné. On a été agréablement surpris. On a pu continuer à donner du bonheur aux gens même s’ils ne pouvaient plus s’attabler au restaurant. Pour moi, la cuisine, c’est de l’amour, de la passion et, même en barquette, ma démarche est restée la même. Malheureusement, lors du second confinement, nous n’avons pas constaté le même engouement.

D. S. : Nous avons proposé des plats à emporter lors du premier confinement. Pour le second confinement, nous n’avons fait de la vente à emporter que pour les fêtes de fin d’année. Notre établissement étant assez excentré, ce n’était pas très intéressant pour nous de le faire tous les jours, toute la semaine. Économiquement, ce n’était pas viable. Mais on l’a fait pour garder le lien avec notre clientèle, pour que les gens ne nous oublient pas.

« Pour moi, la cuisine, c’est de l’amour, de la passion » (Christophe Dupouy)

LAL : Le voyage est souvent une source d’inspiration pour les chefs. À défaut de pouvoir sillonner les routes, où avez-vous puisé votre inspiration ces dernier mois ?

C. D. : Je l’ai puisée dans mes souvenirs, mais je me suis aussi appuyé sur les produits proposés par les producteurs avec lesquels je travaille. Les liens que j’ai tissés avec eux sont importants et c’était ma manière aussi de les aider dans cette crise.

D. S. : En temps normal, nos journées sont très longues et nous avons la tête dans le guidon. La crise nous a offert du temps et cela m’a permis d’aller chercher dans mes souvenirs ou de reprendre des idées que je n’avais pas eu le temps de creuser. Aujourd’hui, mon épouse et moi avons beaucoup d’envies et d’idées pour la suite. De jolis projets que nous mettrons en place dès que la situation sanitaire le permettra.

« La gastronomie landaise est une cuisine généreuse, goûteuse, conviviale » (David Sulpice)

© Michel Carossio

LAL : Vous êtes tous les deux originaires des Landes et, après avoir passé plusieurs années loin de ce territoire, vous êtes revenus pour créer votre restaurant. Quel lien entretenez-vous avec les Landes ?

C. D. : Je suis né ici et je suis très attaché au terroir local et à la beauté de ce pays. C’est un territoire riche, avec de beaux produits à notre disposition.

D. S. : Les Landes, c’est chez moi et je me sens bien quand je suis ici. Nous avons une région magnifique, avec des paysages très variés. J’aime tout ici et à toutes les saisons. Quand on est chef, on est également sensible aux produits et, dans un rayon de 150 kilomètres, il y a des produits sublimes à mettre en valeur.

 

David Sulpice, Chef étoilé. La Villa de l’Étang blanc à Seignosse © D. R.

LAL : Dans la gastronomie landaise, quels sont les ingrédients qui vous enthousiasment ?

C. D. : J’aime travailler le maïs. C’est un produit avec lequel on peut faire du salé mais aussi du sucré. Au-delà du produit, c’est la saisonnalité qui m’inspire beaucoup. J’aime la saison de l’asperge, par exemple. Toutes les saisons nous procurent du plaisir.

D. S. : J’aime beaucoup l’asperge, qu’elle soit blanche ou verte, mais aussi les poissons qu’on a le bonheur d’aller chercher directement aux bateaux. C’est un luxe. Le bœuf de Chalosse, le foie gras sont aussi des produits d’exception. Il y a également de nombreux maraîchers qui font un travail formidable. Je pense sincèrement que la cuisine est toujours beaucoup plus facile quand on a des ingrédients de qualité. Et dans les Landes, on est servi !

« Nous recherchons tous les deux la convivialité et le partage dans nos établissements » (Christophe Dupouy)

LAL : Si vous deviez présenter la gastronomie landaise à quelqu’un qui ne la connaît pas, comment la qualifieriez-vous ?

C. D. : Pour moi, la gastronomie landaise c’est la convivialité et le partage. C’est une cuisine de grand-mère qui s’appuie sur des produits de qualité.

D. S. : La gastronomie landaise est une cuisine généreuse, goûteuse, conviviale.

 

LAL : Comment pourrait-on définir votre style culinaire ?

C. D. : Je fais une cuisine d’instinct et j’aime faire évoluer ma carte en fonction du marché et des saisons.

D. S. : Je fais la cuisine que j’aime. Je pars rarement dans des choses compliquées. Quand on a de bons produits, il faut faire simple. Avec de belles asperges vertes, il suffit par exemple de les faire sautées avec juste un peu d’huile d’olive et d’ajouter du parmesan. C’est magique !

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LAL : Quel est votre plat signature ?

C. D. : Mon plat signature est celui que j’inventerai demain.

D. S. : Je n’ai pas de plat signature. Quand on fait un plat, à l’instant T, on l’adore et parfois, quand on le garde à la carte, il peut arriver qu’il y ait des variations. Je préfère avancer en permanence et proposer des choses nouvelles régulièrement.

 

© D. R.

LAL : Qu’est-ce que vous aimez dans la cuisine de votre confrère ?

C. D. : Avec David, nous sommes en adéquation sur une chose : l’amour et la recherche des meilleurs produits de saison que nous travaillons sans fioriture. Et nous recherchons tous les deux la convivialité et le partage dans nos établissements. Voilà pourquoi nous sommes amis !

D. S. : Humainement, Christophe est une personne que j’aime beaucoup car il fait preuve de bienveillance et d’humilité. L’accueil réservé par lui et son épouse Eugénie est toujours très chaleureux. Et à chaque fois que je suis allé aux Clefs d’argent, j’ai mangé des choses que je ne connaissais pas. Il me bluffe systématiquement !

 

LAL : Quelle orientation allez-vous donner à votre cuisine en 2021 ?

C. D. : Je veux poursuivre ma démarche qui consiste à découvrir régulièrement de nouveaux produits et à les partager avec nos clients. C’est vraiment ce que j’aime dans mon métier.

D. S. : On souhaite faire encore plus local que ce qu’on fait déjà. On va agrandir notre potager, mais aussi développer des déjeuners et des dîners insolites. L’idée serait que les gens qui réservent ne sachent pas à l’avance où ils vont manger ni ce qu’il y aura dans leur assiette.

« Dans un rayon de 150 kilomètres, il y a des produits sublimes à mettre en valeur » (David Sulpice)

LAL : Que peut-on vous souhaiter pour 2021 ?

C. D. : J’aimerais qu’on puisse revivre comme avant et retrouver cette convivialité qui, en temps normal, est très présente aux Clefs d’argent.

D. S. : La réouverture des restaurants. Nous sommes comme tout le monde, pendus au poste de télévision pour découvrir les nouvelles mesures. Ce qui est difficile pour nous c’est l’absence totale de visibilité. On aimerait avoir une date, même lointaine, pour pouvoir enfin se projeter.