Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Graal-Wenzi : les logiciels des chefs

Longtemps réservé à la restauration collective, le logiciel de gestion Graal Quest, créé en 1987 pour l’hôpital de Mont-de-Marsan puis Dax par Jean-Luc Borsato, est en train d’évoluer vers la restauration commerciale sous l’impulsion de sa fille, Vanessa Borsato, formée dans la finance. La société déménagera bientôt de Soorts-Hossegor à Bénesse-Maremne pour s’agrandir.

Vanessa Borsato Wenzi

Vanessa Borsato © Patxi Beltzaiz - Hans Lucas

Il n’était pas du tout informaticien à la base. « Mais j’ai toujours voulu l’être », se rappelle Jean-Luc Borsato. À l’époque avec les premiers ordinateurs sortant sur le marché alors qu’il passe le bac, le jeune Lot-et-Garonnais de 17 ans se met à rêver d’informatique. Pourtant, la vie va le mener vers l’armée où il est finalement réformé pour des problèmes de vue. Il entre alors aux PTT à Paris après concours. Mais le jeune fonctionnaire démissionne vite : « Pas une vie pour moi ! »

Arrivé à Brive-la-Gaillarde, il enchaîne des petits boulots en intérim jusqu’à ces trois jours pour de la comptabilité dans une entreprise qui se transformeront en huit ans, à cause d’un IBM 32… « À chaque fois qu’il fallait modifier des taux de charges sociales ou autre, on appelait un informaticien qui n’était pas toujours disponible. C’était la galère. À un moment, j’ai dit : « Vous me payez une formation et je vais modifier moi-même les programmes ! » ». Après un stage de deux jours chez IBM à Bordeaux, le voilà lancé. « J’ai fini par réécrire tout le logiciel de comptabilité statistique de la boîte, j’ai bossé tout seul, on peut dire que je suis un autodidacte. »

PLATEAUX-REPAS ET ALLERGIES

Jean-Luc Borsato finit par se mettre à son compte, en commençant à créer des logiciels. Par une collègue dont le mari travaillait à l’hôpital de Mont-de-Marsan, il démarre un début de programme pour des fiches de plateaux-repas pour les patients. « Ce qui est compliqué, c’est de nourrir des gens malades. Il faut faire attention à ce qu’on leur donne en fonction des aversions, des allergies, de l’âge pour la texture des aliments… La problématique a toujours existé, j’ai simplement permis de poser le papier crayon et de tout faire par ordinateur », rembobine celui qui se promène alors avec son caddie rempli de grosses disquettes informatiques au côté des diététiciennes.

L’ingénieur de restauration en charge des cuisines de l’hôpital montois étant parti travailler à celui de Dax, puis de Bayonne, Jean-Luc Borsato réussit, à chaque fois, à y implanter son logiciel, tout en s’installant à Hossegor pour y vivre. « C’est un milieu où tout le monde se connaît et des personnels hospitaliers m’ont fait déplacer jusqu’en Charente pour avoir mon logiciel, ça a fait tache d’huile comme ça ! » Ont suivi des maisons de retraite et des établissements scolaires, en ajoutant aux fiches plateaux-repas, des fonctions avancées pour la production et la gestion globale des cuisines collectives, « une autre paire de manches » avec la multiplication des normes. En cuisine, avec les chefs, les gestionnaires, les diététiciens, il traduit sur le clavier les problématiques de chacun, travaillant presque toujours seul au côté des clients, multipliant les allers-retours partout en France avec Graal Quest à une époque où les visios n’existaient pas.

Wenzi

© J. D.

PASSER EN « FULL WEB »

Petite, Vanessa Borsato avoue n’avoir « jamais compris ce qu’il faisait comme métier ». Mais son parrain lui a toujours dit : « Il faut absolument que tu travailles dans l’entreprise de ton père. »

Des études dans la finance, des premières expériences dans la banque… Elle part vivre à l’étranger : en Australie où elle découvre le surf, tout en faisant des ménages ou en travaillant au champ à ramasser des brocolis sous la canicule, puis en Espagne où elle devient manager dans une auberge de jeunesse à Barcelone et export manager dans la mode, avant de s’envoler pour la Nouvelle-Zélande.

L’ambition est d’ouvrir un nouveau marché, celui de la restauration commerciale, des traiteurs, boulangers, bouchers…

À son retour à Hossegor 10 ans plus tard, le commercial du paternel parti à la retraite, et lui n’en étant pas loin, elle se dit que « ce serait dommage que le logiciel et tout son savoir-faire partent à la retraite avec lui. On a signé un pacte : « Je travaille gratuitement pendant six mois pour que tu m’expliques tout, et si tout se passe bien, qu’on ne s’entretue pas, tu m’embauches ! » » L’histoire a commencé comme ça en 2018. Des années compliquées intellectuellement pour elle, ne venant ni du milieu informatique ni de la restauration, avec un père pas forcément grand pédagogue…

Pendant le Covid, percevant les évolutions du marché, la jeune entrepreneuse a l’idée de réécrire le logiciel Graal Quest en « full web » afin de fonctionner uniquement par une simple connexion internet, et non plus en installant tout sur l’ordinateur du client avec serveur.

UNE APPLICATION DE TRAÇABILITÉ

Mais dans la société aux quatre associés (avec Jean-Yves Panigai et Jacky Cligny), « payer un développeur pour ce projet, ce serait presque 50 % de notre chiffre d’affaires (230 000 euros) qui y passerait ! » Une levée de fonds ? Pas possible « parce qu’on ne voulait pas faire entrer de gens dans l’entreprise ». Avec l’aide de la chambre de commerce et d’industrie (CCI), et alors que son père semble sceptique sur l’idée, elle monte un projet d’innovation, de recherche et développement. « J’ai obtenu des fonds de la région Nouvelle-Aquitaine à hauteur de 40 000 euros et les banques nous ont suivis pour l’emprunt grâce à nos plus de 30 ans d’expertise. »

Avec un graphiste salarié et un développeur en prestataire (Hugo Benchetrit, « un petit génie comme mon père »), elle réussit au printemps 2023 le défi qu’elle s’était lancé : proposer un logiciel plus moderne, plus ergonomique, plus attrayant et encore plus simple d’utilisation. Wenzi est né, et avec lui, l’ambition d’« ouvrir un nouveau marché, celui de la restauration commerciale, des traiteurs, boulangers, bouchers… » où là aussi il faut tout anticiper sur la gestion des stocks, la réduction des déchets ou du gaspillage. Une nouvelle application mobile de gestion des traçabilités alimentaires sera aussi en commercialisation au printemps pour gérer les aliments de la réception de la marchandise jusqu’à la consommation dans le plat pour améliorer la maîtrise sanitaire, avec système d’alerte de températures, archivage des étiquetages par photo, etc.

Autant je ne suis pas fan du télétravail, autant s’adapter aux besoins des salariés avec 35 heures sur quatre jours est intéressant

Les clients ont le choix entre rester avec Graal Quest ou basculer chez Wenzi. Utilisateur depuis 2008, Ludovic Calvez, responsable de la restauration des écoles catholiques de Lamballe en Bretagne qui gère 1 900 couverts par jour, juge le nouveau logiciel « plus agréable et plus facile. Quand on a un nouveau collaborateur, en 20 minutes à peine de formation, il peut commencer à passer des commandes et réceptionner des marchandises ». Et de louer les fonctionnalités de Graal-Wenzi : « En gérant mieux, on fait de grosses économies côté gaspillage », « les tarifs négociés par le groupement d’achat sont mis à jour directement sur la base », « s’il y a un problème sur la palette, je peux envoyer une photo facilement aux fournisseurs », « en fonction de mes menus, je peux faire des précommandes longtemps à l’avance », « on peut rectifier en permanence nos achats pour respecter la loi Égalim grâce à un camembert statistique », etc. Le tout pour un forfait mensuel à 69 euros par mois (différent selon les fonctionnalités demandées).

OBJECTIF : 1 700 RESTAURANTS CLIENTS

Depuis sa mise sur le marché, une quinzaine de restaurants classiques se sont abonnés à la formule Wenzi comme au golf d’Hossegor tout récemment. « Il y a 175 000 restaurants en France, notre objectif est d’avoir 1 % du marché soit 1 700 restaurateurs », relève Vanessa Borsato. Pour lui ouvrir des portefeuilles clients, elle compte notamment sur son partenariat avec Thierry Borsato, un cousin germain de son père rencontré récemment, qui commercialise, avec Tacteo à Bordeaux, des logiciels de caisse et a créé son propre logiciel de bornes de commandes comme dans les fast-foods.

Et pour accompagner la croissance espérée, Graal-Wenzi va investir de nouveaux locaux au printemps, à côté de la sortie d’autoroute de Bénesse-Maremne, vers Capbreton. De quoi embaucher à terme une dizaine de personnes, en restant à la semaine de 35 heures sur quatre jours, comme aujourd’hui ses deux salariés. « Autant je ne suis pas fan du télétravail comme j’aime voir les gens, autant s’adapter aux besoins de chacun en proposant quatre jours est intéressant. C’est important que les salariés viennent avec le sourire », dit la gérante qui n’est, elle, pas aux 35 heures mais s’autorise parfois à aller surfer en journée s’il y a des vagues, la planche toujours dans un coin du bureau.

Wenzi

© D. R.

EN CHIFFRES

Plus de 200 clients, essentiellement en France, des cuisines centrales de Tarnos à l’hôpital de Saint-Malo, et aussi une quinzaine en Espagne, au Portugal et au Panama.

37 ans d’expérience

Des dizaines de milliers de repas servis par jour grâce au logiciel Graal Quest qui permet aussi bien de concevoir les menus (fiches de préparation avec recettes par portion, service sur mesure selon les patients…), d’exécuter les commandes de denrées alimentaires, de gérer ses stocks, d’assurer la chaîne du froid, etc.

Lauréat 2022 du programme de recherche et développement de la région Nouvelle-Aquitaine pour le projet de redéveloppement du logiciel en « full web ».

ET LA LOI ÉGALIM ?

Grâce aux logiciels Graal-Wenzi, les clients peuvent voir en permanence si leurs commandes respectent la loi Égalim qui impose que les repas servis en restauration collective dans tous les établissements chargés d’une mission de service public comptent 50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits biologiques. Par des diagrammes ou camemberts actualisés en temps réel, le responsable restauration peut affiner et équilibrer ses commandes de produits bios, sous signes de qualité, locaux ou pas. « Chez nos clients, c’est plutôt bien respecté », assure Vanessa Borsato.