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Tribunal de commerce de Dax : passage de témoin

José Prosper, après 18 années de juridiction commerciale à Dax, dont six comme président, passe le relais à Dominique Cassagnau, juge depuis six ans. Entretien croisé. 

José Prosper et Dominique Cassagnou © Patxi Beltzaiz - Hans Lucas

Les Annonces Landaises : Quels souvenirs vous laissent vos presque 20 ans de juridiction commerciale à Dax ?

José Prosper : J’ai le sentiment d’appartenir à un édifice qui a été conçu par le législateur il y a trois siècles pour aider les entreprises dans leurs difficultés, essayer de les sauver et de sauver les emplois. C’est vraiment la philosophie du tribunal de commerce qui est devenu une institution respectée au cœur du circuit économique et qui dispose d’un arsenal d’outils permettant d’apporter vraiment de l’aide aux entreprises en difficulté. Mon regret, c’est que les entreprises ne perçoivent pas toujours cet arsenal comme une aide.

LAL : De quoi êtes-vous le plus fier ?

J. P. : Au tribunal de commerce, nous avons deux fonctions. Être juge des conflits liés aux actes de commerce et aider les entreprises en difficulté. Très modestement, nous pouvons être fiers de cette deuxième mission. C’est aussi la plus dure humainement et personnellement parce que c’est le moment où l’on est confronté aux difficultés humaines du chef d’entreprise. Celui-ci est souvent en proie à une vraie détresse, avec des difficultés financières évidemment, mais aussi des difficultés d’éclatement de sa famille.

LAL : Quelle est a été la situation des entreprises du ressort de Dax en 2023 ?

J. P. : Globalement, au premier semestre, on a observé une évolution du nombre d’ouvertures de procédures collectives se rapprochant des chiffres 2019, avant-Covid. Au deuxième semestre, en revanche, on a constaté une véritable explosion des indicateurs avec un retour vers ce que l’on connaissait dans les années 1990. On était alors à 300 procédures. On est à 200 fin 2023, contre à 130 en 2020. Sachant que, comme c’est le cas dans d’autres tribunaux, 70 % de ces ouvertures sont converties en liquidations. En 2022, il y a eu 227 emplois concernés. 632, l’an dernier.

Au deuxième semestre 2023, le nombre d’ouvertures de procédures collectives a explosé, avec un retour vers ce que l’on connaissait dans les années 1990

LAL : Quelles sont les raisons de cette situation difficile ?

J. P. : On les connaît. Contexte économique morose, taux des crédits prohibitifs, inflation… mais ce que j’ai également perçu lors des rendez-vous prévention, c’est la concurrence d’internet. La période Covid a créé chez le consommateur de nouvelles habitudes d’achat sur internet et ce réflexe perdure.

Dominique Cassagnau : Je pense qu’il y a aussi des raisons plus spécifiques. Dans certains secteurs, l’immobilier par exemple, il y a eu beaucoup de créations à un moment donné et – retour de balancier – on est en train de revenir à la situation antérieure. On n’a jamais vu autant d’agences immobilières qui ferment. Aujourd’hui, dans notre ressort, tout ce qui touche au logement souffre. Quand on dit que le bâtiment va mal, c’est un pan énorme de l’économie qui va mal. Et nous sommes en plein dedans.

J. P. : Et puis, il y a un chiffre très significatif. En un an, le nombre d’interventions d’Apesa (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë), a doublé. Il dépasse les 30 aujourd’hui, ce qui est énorme.

© Patxi Beltzaiz - Hans Lucas

© Patxi Beltzaiz – Hans Lucas

LAL : Dominique Cassagnau, dans quel état d’esprit abordez-vous votre mandat ?

D. C. : Un mandat de quatre ans, comme une olympiade, tout un symbole pour l’ancien footballeur que je suis. Sur un plan personnel, je suis plutôt positif et optimiste. J’ai été un petit peu surpris quand José m’a proposé le poste, mais je crois maintenant avoir intégré la fonction. Je veux m’inscrire dans la continuité de ce qui a été fait par mes prédécesseurs.

LAL : Quelle sera cependant votre touche personnelle ?

D. C. : Il faut se souvenir d’où l’on vient, pour savoir où l’on va. Donc nous allons poursuivre ce qui existe en essayant de mieux faire connaître notre institution judiciaire qui a un déficit d’image. Nous sommes un tribunal, mais comme le disait José Prosper, nous sommes également là pour prévenir, pour aider, pour concilier.

LAL : Comment allez-vous vous y prendre pour faire connaître le tribunal de commerce ?

D. C. : Je vais prendre mon bâton de pèlerin et aller à la rencontre des syndicats professionnels, des fédérations et de tous les organismes qui le souhaitent, pour expliquer quel est notre rôle. Et puis, à l’initiative de José Prosper, nous avons fait réaliser cinq clips de trois minutes chacun à destination des réseaux sociaux professionnels. Ils abordent de façon très pédagogique ce qu’est le tribunal de commerce, les injonctions de payer, la prévention, les procédures collectives et les ordonnances de référés. C’est une première en France. La diffusion a commencé pour les 13 tribunaux de commerce de la région. La validation nationale doit suivre.

© Patxi Beltzaiz - Hans Lucas

© Patxi Beltzaiz – Hans Lucas

LAL : Vous avez, Monsieur le président, la particularité d’être avocat. Les avocats ont-ils la possibilité de faire partie d’un tribunal de commerce ?

D. C. : En effet, les avocats ne peuvent pas être juges du tribunal de commerce. Mais je suis un ancien avocat, je ne suis plus en activité.

LAL : Quels sont les avantages et les inconvénients d’avoir été avocat dans vos nouvelles missions ?

D. C. : Je ne vois pas d’inconvénients. Sauf à dire qu’il ne faut pas confondre les deux fonctions qui sont bien différentes. Le risque c’est de rester avocat et de ne pas devenir juge. Les avantages, c’est de connaître le droit, le monde judiciaire et ses procédures, d’autant que j’étais conseil en entreprise.

Fin 2024, les 141 tribunaux de commerce français mettront l’ensemble de leurs jugements en open data

LAL : Où en est la réforme annoncée des tribunaux de commerce ?

D. C. : Douze tribunaux, dont on ne connaît pas encore la liste, vont la faire vivre de façon expérimentale. L’idée est d’élargir les compétences du tribunal de commerce, devenu tribunal des affaires économiques, pour les procédures collectives, à toutes les activités civiles, y compris l’agriculture et les professions libérales, sauf certaines professions réglementées comme les greffiers, avocats ou experts-comptables… Je suis favorable à cet élargissement à l’activité civile, au sens juridique du terme. À la suite d’une forte mobilisation des tribunaux, le projet d’échevinage [intervention d’un magistrat professionnel, NDLR] a été retiré du projet de loi. Comme a également été retirée l’idée d’une contribution des entreprises. La justice par définition doit rester gratuite.

LAL : Comment a fonctionné l’obligation pour les entreprises d’enregistrer leurs formalités via le guichet unique de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) ?

D. C. : Ça a mal fonctionné et, pour ne pas bloquer la machine, les greffes ont récupéré leur rôle initial avec Infogreffe. C’est l’exemple, comme le dit la Cour des comptes, d’une réforme mal préparée. Même chose pour l’évolution de l’entreprise individuelle, il y a trois ans. Ce sont deux réformes qui ont été faites trop rapidement, sans prendre en compte l’avis des professionnels, sans concertation. Infogreffe fonctionnait, alors pourquoi vouloir à tout prix, changer les choses ?

© Patxi Beltzaiz - Hans Lucas

© Patxi Beltzaiz – Hans Lucas

LAL : Quelles sont les évolutions dans le monde numérique ?

J. P. : Depuis deux ans, le tribunal digital permet de faire une injonction de payer, d’ouvrir une procédure ou de prendre rendez-vous avec le président du tribunal. Fin 2024, les 141 tribunaux de commerce français mettront l’ensemble de leurs jugements en open data. Les cours d’appel, les tribunaux judiciaires, la Cour de cassation, les prud’hommes l’ont déjà fait. Nous serons donc les derniers, au 31 décembre 2024, à rendre accessibles nos décisions en open data. C’est un chantier énorme qui, combiné à l’intelligence artificielle, capable de faire une synthèse, va largement faire évoluer la relation entre justiciables et justice.

LAL : Quand imaginez-vous un déménagement pour un regroupement de toutes les juridictions en un même palais de justice, comme c’est le cas à Mont-de-Marsan ?

D. C. : Certainement pas avant la fin de mon mandat. Franchement, ici ça fonctionne bien, mais le regroupement dans une cité judiciaire en centre-ville peut apporter un plus.