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[ Entreprises ] José PROSPER : « Pas de raison majeure de s’inquiéter »

Alors que la baisse des défaillances d’entreprises se poursuit en 2021, José Prosper, président du tribunal de commerce de Dax observe, sur son ressort, une explosion de nouvelles activités et pointe le paradoxe de la situation économique post-confinements.

entreprise, José Prosper président du tribunal de commerce de Dax

José PROSPER, président du tribunal de commerce de Dax ©JPEG-STUDIOS

Les Annonces Landaises : Alors que les impacts de la crise sanitaire semblent se dissiper, quelle est la situation des entreprises sur le ressort du tribunal de commerce de Dax ?

José PROSPER : Nous nous trouvons dans une situation totalement paradoxale entre une baisse inédite des radiations (978 à fin septembre 2021 contre 1 095 sur la même période en 2020 et 1 014 en 2019), et une croissance exceptionnelle de 40 % des implantations de nouvelles entreprises, avec 1 502 créations, contre 1 112 sur en 2020, déjà en progression de 25 % par rapport à 2019. Le phénomène est particulièrement marqué sur la côte sud des Landes avec, par exemple, 89 nouvelles immatriculations à Soorts-Hossegor, 57 à Seignosse, 33 à Angresse, 28 à Capbreton…

LAL : Quels sont les secteurs d’activité privilégiés par les créateurs d’entreprise ? Reflètent-ils une évolution de l’économie locale ?

J.P. : Dans notre ressort qui reste spécifique nous sommes effectivement dans un virage. Nous étions habitués à une activité économique traditionnelle basée sur l’industrie liée au bois avec la sylviculture et les scieries, à l’agriculture avec l’agroalimentaire, confortées par le tourisme et le thermalisme. Or, aujourd’hui, sur notre territoire fortement marqué par la présence du littoral, l’immobilier, les services et le commerce représentent 80 % des créations d’entreprise. Tous les métiers liés au tourisme sont en pleine expansion. Au-delà de l’hôtellerie ou de la restauration, de nouvelles activités font leur apparition comme les conciergeries pour les locations de vacances, les parcs aquatiques, les clubs d’activités nautiques, notamment dans le surf, avec le développement de l’industrie qui lui est rattachée. Le marché de l’immobilier explose et attire une clientèle aisée, aussi bien pour les résidences secondaires que principales. Aujourd’hui, 36 % des immatriculations sont ainsi liées aux activités immobilières, avec la création de sociétés civiles immobilières (SCI) pour des acquisitions. Et ce nouveau marché fait naître de nouveaux besoins de services à l’habitat et à la personne, ou en matière de numérique. Des start-ups spécialisées dans la maintenance informatique, le digital, l’intelligence artificielle s’implantent dans les pépinières d’entreprises, comme Domolandes à Saint-Geours-de-Maremne et Pulseo à Dax.

Sur notre territoire fortement marqué par la présence du littoral, l’immobilier, les services et le commerce représentent 80 % des créations d’entreprise.

LAL : La baisse des défaillances d’entreprises enregistrée en 2020 se poursuit-elle en 2021 ?

J.P. : En fin d’année 2021, nous atteindrons entre 100 et 110 défaillances, contre 145 en 2020 et 170 en 2019. En termes de chiffre d’affaires et d’effectifs, les défaillances représentaient en 2019, 40 millions d’euros de chiffre d’affaires et 351 emplois perdus ; en 2020, 14 millions de chiffres d’affaires pour 76 emplois perdus. Sur les neuf premiers mois de 2021, nous en sommes à 7,5 millions d’euros de chiffre d’affaires et 47 salariés pour 48 ouvertures de procédures, soit moins d’un salarié par entreprise. Les défaillances concernent donc essentiellement des très petites entreprises qui n’ont pas pu franchir le cap de la crise parce qu’elles n’étaient pas sur un marché porteur, qu’elles ne disposaient pas de suffisamment de trésorerie ou qu’elles n’ont pas pu bénéficier d’aides.

Une campagne de communication pour mieux appréhender le tribunal de commerce, ne plus le voir sous son côté austère, mais dans son rôle de conseil et d’information.

LAL : Pensez-vous que la vague de défaillances annoncée pour juillet, puis décembre 2020 et le 1er semestre 2021 va réellement avoir lieu après la fin du « quoi qu’il en coûte » ?

J. P. : Avec le Prêt garanti par l’État (PGE), les reports des charges sociales et fiscales, l’Urssaf qui n’assigne plus pour non-paiement, 95 % du paysage économique a été totalement aidé. Les entreprises et les entrepreneurs indépendants ont donc un stock de dettes auprès de l’administration fiscale, de l’Urssaf et vont devoir rembourser le PGE. Il y a deux solutions. Soit la croissance économique se poursuit et ils pourront faire face à ces dettes. Soit un événement négatif se présente, comme un nouveau variant de la Covid-19, un marché qui explose, une demande qui s’effondre… Dans ces cas, l’entreprise sera en difficulté. On nous prédit le pire depuis le premier confinement… Aujourd’hui, je ne vois pas de raison majeure de s’inquiéter. La croissance va-t-elle permettre de résorber les dettes ? Avec un « quoi qu’il en coûte » désormais sur mesure l’État va continuer à accompagner les entreprises fragilisées.

LAL : Comment cet accompagnement des entreprises fragilisées se dessine-t-il ?

J.P. : Le gouvernement a créé un comité national de sortie de crise, dupliqué dans chaque département. Le comité départemental piloté par la préfète dans les Landes s’est mis en place en septembre. Il est composé de tous les partenaires financiers de l’entreprise : la Banque de France, le Trésor, l’Urssaf, les experts-comptables, les commissaires aux comptes, les chambres consulaires et le tribunal de commerce. L’idée est de mettre autour de la table tous les acteurs de la prévention pour les entreprises en difficulté, dans le respect du secret fiscal. Une vraie force de frappe pour établir le diagnostic et définir les moyens à apporter à chacune pour lui permettre de passer une période difficile ponctuelle, soit anticiper en proposant les outils de prévention que la loi met à notre disposition comme la conciliation, la procédure de sauvegarde, le mandat ad hoc, ou l’ouverture d’une procédure collective pour un plan de redressement auprès du tribunal. Plus on agit tôt, plus les résultats sont significatifs.

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LAL : Pourtant, au niveau national sur le premier semestre, le taux des liquidations judiciaires directes s’élevait à 75 % contre 68 % habituellement, ce qui signifie que les entreprises concernées se présentent aujourd’hui au tribunal dans une situation de grande fragilité ?

J.P. : Effectivement, sur notre ressort, 85 % des entreprises qui ouvrent une procédure collective demandent directement la liquidation judiciaire, sans espoir de s’en sortir. Dans une étude très récente, la Banque de France a observé que sur les défaillances d’entreprises, la majorité d’entre elles auraient dû ouvrir une procédure de sauvegarde plutôt que perdre de l’énergie dans des moyens de lutte contre les difficultés. En effet, quand l’entreprise n’est pas en cessation de paiement, celle-ci lui permet de s’adresser au tribunal de commerce pour présenter un plan de redressement sur 10 ans maximum. Il nous faut sensibiliser les chefs d’entreprise à cette procédure qui permet de préserver les intérêts personnels et financiers du dirigeant, en interrompant la
mise en jeu de la caution d’un prêt à l’entreprise dans laquelle il a souvent engagé ses ressources personnelles. Alors que lorsque l’entreprise ne dispose plus de suffisamment d’actif pour régler son passif immédiatement exigible, la loi l’oblige à ouvrir une procédure collective dans les deux mois de la cessation des paiements.

La procédure de sauvegarde permet de préserver les intérêts personnels et financiers du chef d’entreprise.

LAL : Comment comptez-vous inciter les entreprises à anticiper ?

J. P. : Ma mission c’est d’occuper le terrain pour informer les chefs d’entreprise sur l’aide que peut leur apporter le tribunal de commerce pour faire face aux difficultés qu’ils pourraient rencontrer. Nous lancerons fin octobre un plan de communication qui va nous permettre de diffuser sur les réseaux sociaux professionnels les messages permettant de mieux appréhender le tribunal de commerce, de ne plus le voir sous son côté austère, mais dans son rôle de conseil et d’information. Cette campagne est une première en France et nous pourrions faire des émules auprès d’autres tribunaux de commerce.

 

La Marketplace Infogreffe propose un lieu d’échange sur la transmission d’entreprise.

 

LAL : Où en est la transition numérique des tribunaux de commerce ?

J.P. : Les confinements nous ont permis de tester l’audience en visioconférence. Depuis, certaines procédures continuent à être suivies en visio. Le tribunal de commerce, comme toute autre structure, doit se réinventer, réfléchir sur l’avenir. Nos vieux principes sont à revoir pour évoluer vers une justice, extrêmement efficace et beaucoup plus rapide qui s’exprime en semaines et non plus en mois ou en années. Les outils numériques développés en étroite collaboration avec les greffes au niveau national doivent nous permettre de coller aux besoins de l’entreprise. Et pour ce faire, depuis avril 2021, le site internet www.letribunaldigital.fr permet d’effectuer toutes les démarches en ligne : assigner, prendre rendez-vous avec le président du tribunal pour une action de prévention, déposer une requête en référé, une requête en injonction de payer, suivre son dossier… Parmi les exemples les plus récents, la Marketplace Infogreffe propose également une plateforme numérique pour servir de lieu d’échange sur la transmission d’entreprise, la recherche d’investisseurs ou de nouveaux actionnaires en répertoriant notamment les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire susceptibles d’être reprises à la barre du tribunal. Globalement, l’administration française et notamment la justice, très en pointe sur la partie numérique, est en train de vivre une véritable révolution. Depuis cinq ans, le ministère de la Justice a ainsi lancé dans plusieurs tribunaux et cours d’appel la mise en open data de centaines de milliers de jugements. À partir de ces bases de données, l’intelligence artificielle, avec ses algorithmes, pourrait permettre de proposer un projet de jugement à partir des faits et de différents critères, même si en dernier recours c’est l’humain qui tranchera. Mais pour sa mise en œuvre, la loi devra entériner cette évolution.

L’administration française et notamment la justice, très en pointe sur la partie numérique, est en train de vivre une véritable révolution.

LAL : Votre point de vue sur les perspectives économiques pour le territoire ?

J.P. : Le tribunal de commerce, avec ses greffiers qui ont pour mission d’authentifier tous les actes du registre du commerce, à l’intersection de toutes les administrations, de toutes les structures d’accompagnement des entreprises et des chambres consulaires, est un observatoire privilégié de l’activité économique qui permet effectivement de voir comment se dessine l’avenir. Et nous avons la chance inouïe d’être sur une zone géographique qui présente un intérêt naturel évident, un attrait touristique. Je fonde de grands espoirs sur son développement économique. Ce sera aux acteurs économiques comme aux politiques de savoir accompagner la mutation en train de s’opérer. Il faudra que leurs choix soient éclairés et leurs décisions justes.

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José Prosper : « Je fonde de grands espoirs sur le développement économique du territoire » ©JPEG-STUDIOS

RÉSOLUTIONS DES CONFLITS « UNE JUSTICE RAPIDE ET DE BON SENS »

Dans cette période post-confinements, entre 8 % et 10 % des conflits portés devant le tribunal de commerce de Dax concernent la mise en jeu des pertes d’exploitation pour les compagnies d’assurance et pour 25 % celle des cautions bancaires. « L’augmentation des litiges sur les contrats entre franchiseurs et franchisés (15 %) est également révélatrice des évolutions de la nature du commerce depuis une quinzaine d’années », observe José Prosper. Mais globalement, avec une baisse de 27 % des dossiers en 2021 après une diminution de 15 % en 2020, le recours au tribunal pour régler les litiges entre professionnels ou entre professionnels et particuliers poursuit la décrue amorcée depuis 1995 et la loi sur les modes alternatifs de résolution des conflits qui oblige les parties à chercher la conciliation en amont du procès. « Quand elles ne parviennent pas à se mettre d’accord, le tribunal nomme un conciliateur qui dispose de deux ou trois mois pour trouver une solution. La conciliation peut également intervenir à n’importe quel moment du procès. Et le nombre de désistements en cours de procès augmente considérablement », observe le président du tribunal. « Dans le monde économique actuel, les problèmes doivent être résolus rapidement. Immobiliser plusieurs mois, voire deux ans sur un dossier n’est pas dans l’esprit, ni dans l’intérêt de l’entreprise, même si le tribunal de commerce est l’un des plus rapides, puisque le délai moyen des procédures est de huit mois. On revient finalement à la justice rapide et de bon sens des juges consulaires qui, au Moyen-Âge, réglaient les litiges entre les commerçants sur les marchés, avant la naissance des tribunaux de commerce au XVIe siècle. »