C’est un peu le « Airbnb » des retraites spirituelles. Fondée en 2019 par de jeunes entrepreneurs chrétiens, en lien avec le Collège des Bernardins à Paris, l’association Ritrit qui fonctionne via des contributions volontaires de mécènes et de retraitants, propose de réserver en ligne son séjour spirituel, dans des abbayes ou monastères à la montagne, en ville, en bord de mer ou à la campagne. De quatre communautés religieuses en 2021, elles sont aujourd’hui plus de 100 référencées partout en France sur ce site internet, à offrir le logis et le couvert.
« C’est souvent la croix et la bannière pour trouver un séjour en abbaye, les horaires de disponibilité des sœurs et pères hôteliers sont restreints entre deux offices, leur site internet n’ont pas toutes les informations… Notre but est d’ouvrir plus facilement les portes et que le premier contact soit le plus simple possible, assure Augustin Marbacher, responsable des partenariats. Nous sommes passés de 500 à 5 000 demandes de retraite par mois en un an. Les chiffres se sont envolés juste après le Covid. Il y a ceux qui sont en soif de silence, de déconnexion, de ressourcement, de temps pour soi, il y a aussi des gens dans une démarche plus spirituelle, au fil de grandes étapes de la vie, heureuses ou malheureuses. » Une assemblée assurément très catholique, mais pas que : « Notre finalité est aussi de s’adresser à un public qui n’est pas du sérail », poursuit-il. En tout cas, près de 60 % des demandes faites via www.ritrit.fr proviennent de jeunes de moins de 39 ans, selon leurs données.
DE PLUS EN PLUS DE JEUNES
« Cela fait un an que nous sommes affiliées à Ritrit et ça fait venir pas mal de jeunes, explique soeur Marie-Emmanuel de l ’abbaye Notre-Dame-Saint-Eustase. Étonnamment, il y a aussi des quadras attirés par la démarche monastique associée au travail de la terre, des quinquas et des sexagénaires qui ne sont pas forcément pratiquants, mais ont besoin de recul, de silence, d’écoute ». Avant de finaliser la réservation, chacun doit donner ses motivations : « Tout le monde est bienvenu, il n’y a pas de certificat de bonnes mœurs, mais une condition : assister à une messe chaque jour. Je crois profondément au pouvoir de la liturgie », dit la sœur hôtelière, à l’issue de la messe du midi, un des cinq offices en latin et chants grégoriens de la journée (laudes, tierce, messe, vêpres, complies/vigiles). Et de se rappeler un couple de bouddhistes français qui s’était présenté un jour pour méditer quelque temps : « Nous avons eu de très beaux échanges ! »
Notre finalité est aussi de s’adresser à un public qui n’est pas du sérail
Plus globalement, voit-elle dans cette demande grandissante, un retour du religieux ? « Tout cela est tellement confus dans la tête des gens… (silence). C’est aussi pour cela que l’on se donne dans l’accueil. Souvent, ils ont soif mais ne savent pas de quoi. »
Ici, en pleine nature, à la sortie de ce village proche de Saint-Sever, vivent 10 sœurs bénédictines, de 44 à 80 ans, dans une communauté fondée en 906 en Lorraine qui a longtemps occupé le château de Poyanne avant de s’installer dans cette maison de maître peu à peu transformée en monastère dans les années 1980. Retirées du monde, mais « accueillantes à ceux qui passent dans ce lieu de paix », selon la règle de saint Benoît, les moniales refusent parfois des gens : « Il arrive que des randonneurs veuillent gîter ici. Je leur dis
« oui » en demandant d’assister à la messe, ça fait le tri… Et puis, nous avons aussi des temps forts communautaires qui impliquent de n’avoir personne chez nous », fait valoir sœur Marie-Emmanuel, une des rares avec la sœur portière (à l’accueil), à être en contact direct et quotidien avec les hôtes.
DU WIFI À L’ABBAYE
Un maximum de 30 personnes – parfois des groupes de jeunes avec leur aumônerie – peut être accueilli en même temps dans la dizaine de chambres des deux anciennes fermes dédiées à l’hôtellerie, avec salle de bain commune et table de ping-pong dans le jardin. Un site proche des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle : « Il y a un petit détour à faire, et le Covid a tari le mouvement, les pèlerins ne viennent ici que s’il n’y a vraiment plus de places à Saint-Server. » La moyenne est plutôt de quatre hôtes par soir pour deux ou trois nuits. « On accueille parfois 10 personnes pendant quelques jours, mais alors on peine à cause de la cuisine », reconnaît-elle, en amenant aux résidents du jour avant de se retirer, le panier en osier avec les carottes râpées et la glacière pour tenir au chaud le poulet à la crème, chou-fleur et riz aux herbes. Une cuisine familiale faite sur place par les sœurs cuisinières, avec des fruits et légumes de leur verger et potager : « Les gens ne se plaignent pas comme on est gourmandes ! »
EN PENSION COMPLÈTE
Comme dans la plupart des abbayes, la nuit en pension complète coûte une vingtaine d’euros : certains ne peuvent pas donner autant, d’autres donnent plus, « ça s’équilibre. Parfois on peut demander à des étudiants des services contre une baisse du prix. » Ils aident alors la communauté aux travaux extérieurs, à couper du bois, planter les tomates, courgettes et salades mais la sœur ne garantit « jamais aux gens qu’ils vont vraiment pouvoir aider ». Car « si la partie hôtellerie est un espace pour les autres, la clôture monastique implique le silence. Il faut être sûr de ceux que nous y faisons entrer. »
Signe des temps, alors que les motivations de beaucoup sont de se débrancher de la société d’aujourd’hui, toujours plus rapide et connectée, il y a bien ici aussi, la fibre et du wifi, même s’il ne capte pas toujours. « Les étudiants ne peuvent pas se passer (de leur smartphone), les gens de tous les âges coupent rarement totalement, cela modifie l’aspect immersion, c’est un défi pour tous », pense sœur Marie-Emmanuel.
« Le portable, j’essaie de le mettre de côté, on se rend compte à quel point on est accro, confie la Bordelaise Hélène Deschamp. Ici, je coupe les réseaux sociaux beaucoup plus que dans la vie de tous les jours, ça permet de ne pas fuir toutes les questions existentielles qui émergent quand on reste plusieurs jours ici. Mais on n’est pas seul non plus, on parle à d’autres hôtes de différentes générations lors des repas en commun, c’est très enrichissant », précise cette étudiante à Paris et catholique pratiquante de 26 ans, qui vient d’achever son deuxième séjour « hors-temps » à Saint-Eustase ce printemps pour réviser son concours d’enseignante.
Claudine, venue en voisine de la paroisse de Mugron a, elle, éteint totalement son téléphone : « J’avais envie de me ressourcer, de ne plus entendre le chien qui aboie, les informations à la télé, c’est la seule solution pour vraiment s’isoler et donner de la place à la vie intérieure. »
« Sortir de l’agitation du monde, trouver le calme » a aussi motivé, Maryvonne Larchon et Marie- Noëlle Chabrolle, des amies venues deux jours ici et qui ont aidé à coller les étiquettes sur les pots de confitures maison dans l’après-midi, entre deux offices : « On y entend ces femmes chanter, on ne les voit pas [derrière la grille de bois séparant l’autel, NDLR], on ne les comprend pas comme tout est en grégorien, mais ça fait un effet extraordinaire. C’est très apaisant », disent-elles, tout de même déçues de ne pas avoir rencontré plus de sœurs pour discuter de sujets importants, comme l’euthanasie entre autres, même si des échanges avec d’autres sœurs que les hôtelières peuvent être parfois organisés en fonction des besoins.
OUVERT À CEUX EN RECHERCHE SPIRITUELLE
C’est aussi le regret de retraitants qui séjournent chez les Dominicaines à Dax. « Il est vrai que certains sont déçus par exemple de ne pas manger avec la communauté ou de ne pas pouvoir accéder au cloître ou à notre grand jardin », reconnaissent les sœurs hôtelières : « L’accueil qu’on a voulu est un accueil convivial avec des repas entre hôtes, pas pris en silence. Un lieu où être soi-même, au calme et prendre un temps de réflexion. Pour aussi créer des liens, passer des moments ensemble, revenir retrouver des connaissances. Comme une famille en fait. Un bébé qu’on a vu naître et grandir continue à venir maintenant qu’il a 18 ans ! »
Ici aussi, des étudiants venus réviser (dont le nombre augmente depuis l ’adhésion à Ritrit) se mêlent à des habitués en quête religieuse, dans un « brassage de milieux sociaux à différents stades de recherche spirituelle. On n’est pas fermé catho-catho, mais il faut un minimum d’intérêt » pour l’au-delà. Aussi les sœurs hôtelières contactent-elles toujours les demandeurs avant leur venue pour préciser leurs motivations et les encourager à assister à l’office dans la chapelle aux vitraux du peintre et prêtre dominicain sud-coréen Kim En Joong, créés en 2001.
Les gens de tous les âges coupent rarement totalement leur smartphone, cela modifie l’aspect immersion. Un défi pour tous
Ici, les 11 chambres d’hôtes avec chacune leur coin salle d’eau et WC n’affichent que rarement complet. « Depuis le Covid, c’est même moins qu’avant même si ça remonte ces derniers mois », une évolution qui va dans le même sens que la fabrication d’hosties, une de leurs activités avec la confection de cakes, cookies et tisanes. Avec la crise sanitaire, la production a baissé comme les gens font plus de « messes-canapé, devant la télévision plutôt qu’à l’église », déplorent-elles. Leur situation en pleine ville, même si le bois de Boulogne est tout proche, attire aussi peut-être moins que les monastères à la campagne.
Reste en tout cas les fidèles de retour d’année en année, dont une petite dizaine de curistes, devenus amis de la communauté. Dans la cité thermale, pas question bien sûr pour le prieuré de 22 sœurs, de concurrencer les établissements à spa et bains de boue du Grand Dax : « Nous ne sommes pas un hôtel, et venir chez nous n’est pas une façon d’avoir un logement pas cher pour faire sa cure !, insiste sœur Marie-Véronique. Au départ, cet accueil était réservé aux religieux venant en soins afin qu’ils aient accès à la prière et puis, nous avons élargi à des gens qui voulaient un moment pour se ressourcer en même temps. » Comme une cure pour le corps le matin, et pour l’esprit l’après-midi.
ACCUEILS MONASTIQUES LANDAIS
Cinq monastères qui ont rejoint récemment la plateforme nationale Ritrit, accueillent des hôtes, seuls, en couple, ou entre amis, dans les Landes : l’abbaye Notre-Dame de Maylis, le carmel du Christ-Roi à Saint-Sever, l’abbaye Notre-Dame Saint-Eustase à Eyres-Moncube, le monastère des Dominicaines à Dax et le Berceau de Saint-Vincent-de-Paul.
Depuis le début de l’année, 304 demandes de réservations dans les Landes, venues de partout en France, ont été faites sur le site internet qui recense une centaine de communautés religieuses proposant des retraites spirituelles dans tout l’hexagone, à la montagne, en ville, en bord de mer ou à la campagne.