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Le Cnes à Aire-sur-l’Adour : stratosphérique

Depuis 1964, il y a 60 ans, le Centre national d'études spatiales (Cnes) poursuit à Aire-sur-l’Adour un programme de ballons stratosphériques pour des mesures scientifiques. Immersion sur la base landaise d’où partent des aérostats jusqu’au Canada et aux Seychelles.

Cnes

© J.D.

Ce matin de février où la presse a été exceptionnellement conviée à assister à des tests de lâchers captifs de ballons stratosphériques ouverts (BSO), un grand soleil inonde le centre d’opérations. Depuis plusieurs jours, Constance Paquet, l’ingénieur météorologue que le Cnes a réussi à débaucher l’été dernier de la Base aérienne 118 de Mont-de-Marsan, affine ses prévisions. « Le vent, plutôt de sud-est est entre 2,5 et 3 mètres par seconde au niveau du sol, des conditions idéales pour un BSO. Au-delà de 5 mètres par seconde, c’est rouge, impossible », dit-elle.

UNE ACTIVITÉ MÉTÉO-DÉPENDANTE

Vents, températures, pression, champ de nébulosité, précipitations… Parmi ses instruments, grâce à un partenariat avec Météo France, elle a accès à des modèles de prévisions à maille large sur une semaine et plus fine sur trois jours pour des briefings quotidiens afin de trouver les meilleurs créneaux de lancement possible. Le Cnes s’est même équipé il y a quelques semaines d’un radar météo en bande X pour « être encore plus précis et ne pas se faire surprendre par la pluie », explique-t-elle. Un nouvel outil qui servira sans doute lors des futures campagnes au Brésil où le Cnes a prévu de lancer d’ici 2026-2027 des ballons dans l’État du Tocantins, avant de peut-être poursuivre une coopération côté satellite. « C’est à l’intérieur des terres, en lisière de forêt amazonienne, il faudra éviter les pluies équatoriales. Notre fenêtre de vol est généralement d’une semaine sur place pour placer nos vols chronologiquement, c’est très météo-dépendant », fait valoir Vincent Dubourg, sous-directeur de la section ballons au Cnes situé au Centre spatial de Toulouse (CST), et local de l’étape en ancien écolier de Pontonx-sur-l’Adour et lycéen de Dax à Borda.

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Car depuis 2007, les BSO français ne sont plus lancés d’Aire-sur-l’Adour mais de Suède, du Canada, d’Australie ou des Seychelles. « Les densités de population qui ont augmenté et les règles de sauvetage ont fait qu’on a arrêté de lâcher de gros ballons sur ce territoire pour aller sur des zones beaucoup moins peuplées », selon Laurent Tessariol, le directeur du site landais. Des ballons qui peuvent atteindre plusieurs centaines de milliers de mètres cubes avec une tonne de charge utile en matériels de mesure en dessous, si bien qu’« on pourrait y mettre Notre-Dame-de-Paris à l’intérieur », selon Vincent Dubourg, toujours fier de rappeler l’histoire des premiers ballons français des frères Montgolfier qui ont permis à l’homme de voler du côté de l’Ardèche au XVIIIe siècle.

Au départ d’Aire-sur-l’Adour, les ballons légers peuvent atterrir jusqu’à Castres (Tarn) ou Captieux (Gironde)

QUELLES APPLICATIONS ?

Dans la stratosphère jusqu’à 45 km au-dessus du niveau de la mer, soit trop haut pour les avions et trop bas pour les satellites, les instruments scientifiques embarqués par les ballons permettent, entre autres, de surveiller la couche d’ozone, les aérosols et gaz à effet de serre via des spectromètres ou carottages, d’étudier les mouvements de masses d’air, de faire des tests de blindages pour cockpits d’avion ou de matériels utilisés sur les satellites, comme les cellules solaires qui serviront à l’Agence spatiale européenne (ESA). Aussi des expériences d’astronomie à moindre coût car certains rayonnements (infrarouge, UV, X ou Gamma) sont mieux visibles depuis ces altitudes.

SURVOL DE 96 PAYS

Aire-sur-l’Adour est le centre de départ de ces grandes campagnes à l’étranger. Tous les ballons, instruments scientifiques, nacelles, laboratoire d’assemblage, etc. sont ici mis en container pour rejoindre les ports du Havre (Seine-Maritime) ou de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et prendre la mer jusqu’au lointain et ainsi être totalement autonomes sur place pour les lancements. Ce sera le cas pour la Transat 2024, prévue avec des BSO partant de la base de Kiruna, en Laponie suédoise, jusqu’au Canada pour des expériences scientifiques et technologiques françaises, européennes et canadiennes, survolant 96 pays et autant d’autorisations de vols, contrairement aux ballons chinois ayant survolé les États-Unis l’an passé…

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C’est pour cette Transat, une opération d’envergure, que les équipes s’entraînaient ce 7 février. « L’objectif de ces lâchers captifs d’exercice [ballons retenus pour faire et refaire le lancer, N.D.L.R.] est la formation et la certification de nouveaux opérateurs », détaille Laurent Tessariol. Il y a en moyenne besoin de neuf opérateurs sur le terrain et trois personnes en centre de contrôle pour réussir les lâchers qui restent très manuels. Des tests de résistance sont aussi effectués pour anticiper d’éventuelles déchirures de BSO, constitué de polyéthylène, comme des sacs plastiques.

Le ballon-test gonflé ce matin en trois quarts d’heure d’un joli ballet aérien, a nécessité l’apport de 300 m³ d’hélium quand les plus gros aérostats demandent jusqu’à 3 000 m³. Au moment du largage, apparaît un effet champignon ou méduse c’est selon, avant de commencer à monter vers le ciel, jusqu’40 km de haut lors de conditions réelles. Un savoir-faire reconnu dans le monde entier avec ses tracteurs et opérateurs au sol, dans une technique différente des Américains qui utilisent, eux, de grandes grues de lancement.

On pourrait mettre Notre-Dame-de-Paris à l’intérieur des plus grands ballons !

MÂCHOUILLÉ PAR LES SANGLIERS

Pas besoin de tous ces attirails pour les ballons légers dilatables (BLD) dont une trentaine d’exemplaires sont lancés sur le site d’Aire chaque année, un tiers pour l’instrument AirCore qui mesure de façon originale et peu coûteuse la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre sur 30 kilomètres d’altitude. Pour ceux-là, deux opérateurs suffisent à gonfler la structure qui ne lèvera pas plus de 3 kg de charge utile (instruments scientifiques) dans la stratosphère atteinte en deux heures. Ces ballons non létaux peuvent atterrir jusqu’à Castres (Tarn) ou Captieux (Gironde) où il faut aller pour récupérer toutes les données intégrées. « Il est arrivé une fois que des sangliers arrivent avant nous sur site et mâchouillent les instruments, rendant le tout inexploitable », se rappelle Vincent Dubourg. Ou que le parachute avec la charge utile se prenne dans des arbres, nécessitant de faire appel à des élagueurs. Sans compter dans les années 1960 quand des gens avaient pris, dans le Massif central, un ballon pour un Ovni venu d’une autre galaxie…

Côté perspectives, le Cnes se lance désormais, avec Hemeria, fabriquant toulousain partenaire de longue date, dans des ballons manœuvrant en forme de potiron à l’image de celui créé par Google, capable d’utiliser les vents pour changer de niveau et aller d’un point A à un point B, avec l’espoir d’un premier lâcher de ces Balman en 2025 après les tests cette année.

Autre grand projet à l’étude, réussir à faire des mesures à l’intérieur même des cyclones avec de futurs ballons troposphériques (maximum 15 km de haut). « Aujourd’hui, ça n’existe pas, relève Vincent Dubourg, mais un jour on s’était fait prendre un ballon dans un cyclone au large des Seychelles et il a continué à prendre des mesures. On doit pouvoir y arriver… »

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LE CENTRE D’OPÉRATIONS D’AIRE-SUR-L’ADOUR

8 hectares avec une piste de lâcher de ballons et 9 bâtiments (préparations, stockage de l’hélium et d’une centaine de ballons en enceintes climatisées, etc.)

33 vols de ballons légers en 2023 et plusieurs tests sur des ballons stratosphériques ouverts (BSO)

20 containers avec véhicules (poids lourds, tracteur, remorqueur, manuscopique, 4×4…) à envoyer sur les zones de lancement sous d’autres latitudes

15 salariés permanents à Aire-sur-l’Adour (techniciens ou ingénieurs mécanique, électronique, informatique, ingénieur météorologiste, ingénieur intégration et essais, ingénieur généraliste) et 6 au Centre spatial de Toulouse, soit 21 au total à la section Ballons bi-localisée du Cnes

7 millions d’euros en budget annuel de fonctionnement (« même pas le train de vie d’un satellite ! ») pour la section Ballons qui a réalisé plus de 4 000 vols en 60 ans

200 000 euros : coût d’un très gros ballon

VERS UN RETOUR DES VOLS À HYDROGÈNE ?

Un incident à Kiruna (Suède) en 2000 a mis fin à l’utilisation de l’hydrogène pour les ballons du Cnes et le dernier membre de l’équipe à avoir travaillé avec à l’époque est d’ailleurs récemment parti à la retraite. Mais le coût de l’hélium utilisé depuis étant passé de 8 euros le m³ à plus de 50 euros en 15 ans, allié à la dépendance en approvisionnements extérieurs de ce gaz rare, pourrait changer la donne.

Des groupes de travail internationaux dont le Cnes fait partie, planchent actuellement sur le retour de l’hydrogène (« en 2026 ? »), autour de 5 euros le m³ actuellement. « En termes de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), c’est plus vert que les gaz fossiles », selon le directeur du site landais, Laurent Tessariol, qui veut aussi « faire tomber les fantasmes sur les risques en termes de sécurité », imaginant installer une usine à hydrogène : « Lors de l’accident de Kiruna, il n’y avait eu ni déflagration ni explosion, seulement des morceaux de plastiques brûlés qui sont retombés. Le Cnes est dans une approche zéro risque technique et humain. »