Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Jérémy Lauilhé : l’esprit landais dans un shaker

Officiellement sacré Meilleur Ouvrier de France dans la catégorie barman, le 20 juin dernier, le Landais Jérémy Lauilhé a séduit les palais les plus exigeants grâce à ses six cocktails signature. Un artisan des saveurs qui aime repousser les limites de sa discipline pour offrir une expérience unique.

Jérémy Lauilhé

Jérémy Lauilhé © Maeva Pelletier

A 35 ans, Jérémy Lauilhé est le huitième barman de France à recevoir le col bleu- blanc-rouge de Meilleur Ouvrier de France, récompensant le travail, la précision et la créativité. « Je suis très heureux, c’est une vraie reconnaissance », commente-t-il à propos de cette victoire qu’il estime collective : « J’ai travaillé avec de nombreuses personnes qui m’ont enrichi et m’ont fait confiance. En fait, c’est surtout une victoire landaise ! »

Avec émotion, il se remémore les étapes de ce parcours intense, dur parfois, qu’il n’aurait pu mener sans l’aide de sa compagne, de sa famille, de ses amis et le soutien de ses anciens professeurs et mentors Jean-François Chirpaz et Pierre Dupouy. « Pierre a cru en moi plus que de raison, cela m’a beaucoup porté. Quand j’ai appelé Jean-François pour lui annoncer la nouvelle, il était en larmes, tellement fier du chemin parcouru », confie le tenant du titre.

« JE NE LÂCHE JAMAIS, C’EST DANS MA NATURE »

Car ce que beaucoup ignorent, c’est la force de caractère dont il a dû faire preuve durant ses années d’apprentissage. Atteint d’une pathologie rare, le jeune barman est conscient, plus que quiconque, de la fragilité de la vie. « Je sais d’où je viens et ce que j’ai traversé. Ma pathologie m’a poussé à voir la vie différemment. Depuis, je ne lâche jamais, c’est dans ma nature », affirme-t-il.

De ce mauvais coup du sort, Jérémy a tiré une volonté et une énergie hors normes qui l’incitent à toujours aller de l’avant. Il réalise dès l’adolescence qu’il veut devenir restaurateur, puis barman. Après une scolarité compliquée au collège Jean-Rostand à Tartas – « J’avais de très bonnes notes, mais j’étais dissipé, collé toutes les semaines » -, il découvre, grâce à un ami de ses parents, traiteur, le métier de serveur. « Je suis parti avec ma chemise blanche et mon pantalon noir à un extra, en mode qu’est-ce que je vais faire là-bas ? », se souvient-il. Conquis, dès le lendemain, il veut s’inscrire au lycée hôtelier de Biarritz. « Ça bougeait, il y avait du relationnel. J’ai adoré. »

À 14 ans, il rejoint donc l’établissement où enseignent Jean-François Chirpaz et Pierre Dupouy et poursuit ses études jusqu’au BTS hôtellerie restauration, option gestion marketing. Il accomplit son premier stage chez Jean Coussau à Magescq, puis passe par le Grand Hôtel à Saint-Jean-de-Luz. « Toutes ces maisons m’ont beaucoup apporté. Les professeurs décidaient quel profil allait dans tel type d’établissement, selon la personnalité et les notes. C’est ainsi que j’ai découvert les adresses haut de gamme », explique-t-il.

BONBUVANT : « SAVOIR MIEUX BOIRE »

Pour sa première expérience professionnelle, il choisit l’hôtel cinq étoiles Le Sereno à Saint-Barth. Cinq ans durant lesquels il apprend beaucoup et teste grandeur nature ses tout nouveaux cocktails. À son retour en France et après quelques cours donnés aux élèves du lycée hôtelier de Biarritz, il pose ses shakers à Dax, durant sept ans, au O’Byron qui deviendra Le Mojo Fabrique à cocktails, dont il prendra la cogérance pendant trois ans avec deux associés. « Notre carte accordait les mets avec les cocktails. Nous avons été référencés dans les 250 meilleurs bars à cocktails de France dans le guide Mixo 250. Il franchit ensuite les portes du mythique Hôtel du Palais à Biarritz et en devient le chef barman, réalisant « encore un rêve de gosse ». Mais ce travail lui laisse peu de temps pour sa vie de famille et ses deux enfants de cinq et sept ans, alors il reprend vite sa liberté et lance, en 2022, son activité de consulting baptisée Bonbuvant. « Ce nom s’adresse à celles et ceux qui se reconnaissent dans la notion de « savoir mieux boire » : boire en qualité plutôt qu’en quantité. J’ai écrit un manifeste qui défend l’idée que les spiritueux sont une richesse, celle de l’expérience, du savoir-faire et du patrimoine », dit-il. Son objectif : démocratiser le cocktail pour apporter de l’humilité et des valeurs humaines à son travail. « On ne fait que des cocktails ! ».

Les spiritueux sont une richesse, celle de l’expérience, du savoir-faire et du patrimoine

DES CRÉATIONS AVEC LES PRODUITS DU TERROIR

Originaire de Carcen-Ponson où il a grandi, Jérémy Lauilhé vit désormais à Laluque. Quand il ne travaille pas, il cultive son potager, cuisine – « J’apprends à faire du confit avec la famille pour garder nos savoir-faire » – ou joue au foot trois fois par semaine à Pontonx-sur-l’Adour. Il avoue avoir toujours baigné dans les spiritueux et détenir sa passion pour l’armagnac de son grand-père Jeannot, personnage tutélaire qu’il ne peut évoquer sans que son regard se voile… « Mon grand-père sortait la bouteille tous les dimanches et il me faisait un petit canard. Il m’a transmis la flamme et je lui ai dédié un cocktail « Héritage », lors du concours de Meilleur Ouvrier de France. Je suis convaincu qu’il est toujours là, avec moi. » Et dans les mois à venir, il compte bien apporter son expérience dans la plus vieille eau-de-vie de France pour contribuer à sa connaissance et à son développement.

Chaque cocktail que je crée a une histoire, une couleur, une humeur, une typicité

Profondément attaché à ses racines, le Landais prépare ses créations avec les produits du terroir. « On doit faire vivre une expérience aux gens. Chaque cocktail que je crée a une histoire, une couleur, une humeur, une typicité », développe le barman. J’y ajoute une démarche écoresponsable, un sourcing des produits et le respect de la saisonnalité. Je ne proposerai jamais un cocktail à la fraise en décembre. »

Avec toujours la même envie de transmettre, il anime aujourd’hui des ateliers pour les particuliers, crée les cartes de cocktails et forme le personnel de l’hôtellerie, de la villa Mirasol à Mont-de-Marsan au groupe Ginto Hôtels, du Saint-Julien à Biarritz au Grand Hôtel français à Bordeaux. Il attend avec impatience l’ouverture en septembre de la nouvelle formation « mention complémentaire barman », créée par le centre de formation des apprentis en collaboration avec la chambre de métiers et de l’artisanat des Landes et dans laquelle il sera l’un des formateurs. « Cela me tient à cœur de transmettre et de mettre les jeunes dans des conditions de réussite ». Certain d’être né sous une bonne étoile, Jérémy veille déjà à laisser son empreinte lumineuse sur les shakers des générations futures.

Jérémy Lauilhé

Jérémy Lauilhé © Maeva Pelletier

EN QUELQUES MOTS

Avec qui aimeriez-vous partager un cocktail ? Mon grand-père.

Un plat : Le poulet aux oignons de ma grand-mère avec des frites de patates nouvelles.

Un livre : La Preuve du paradis d’Eben Alexander

Un film : Les Petits Mouchoirs de Guillaume Canet

Un compositeur : Ludovico Einaudi

Une devise : « Ce qui ne tue pas rend plus fort. »