Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Hugo Souchet, adoubé par Michel Guérard

Il n’avait jamais trop mis les pieds dans les Landes avant d’y rencontrer Michel Guérard, sur les conseils d’Alain Ducasse. Après Paris, Monaco et New York, Hugo Souchet est, il y a sept ans, tombé amoureux d’Eugénie-les-Bains et de la vision de l’inventeur de la cuisine minceur gourmande. Rencontre avec le chef du palace familial landais triplement étoilé depuis 1977.

Hugo Souchet

Hugo Souchet © Thibault Toulemonde

Après un passage au Meurice à Paris avec Yannick Alleno et des années au Louis XV d’Alain Ducasse à Monaco, Hugo Souchet s’est envolé pour le Japon pour de nouvelles émotions culinaires. À son retour en France, New York lui tend les bras en 2005 pour l’ouverture d’un restaurant évidemment haut de gamme avec un ami. « On a compris au bout de six mois qu’on s’était retrouvé sur une affaire douteuse avec des gens douteux. On a vite arrêté », se souvient le cuisinier. Il rappelle alors Alain Ducasse. Coïncidence ou hasard de l’histoire : il avait eu au téléphone le jour même Michel Guérard qui cherchait un chef. Je me dis : « Ouhlala, les Landes, surtout pas ! Moi j’avais envie de revenir à Paris ou Monaco… » Mais M. Ducasse ajoute : « Va voir M. et Mme Guérard, rencontre-les et tu te feras un avis. »

Hugo Souchet

Michel Guérard © Thibault Toulemonde

COMPRENDRE LA CUISINE GUÉRARD

Son appartement pas encore vidé, il prend l’avion. New York-Paris et Paris-Pau avant la voiture jusqu’au petit village landais du Tursan, avec Olivier Henry, un collègue du Louis XV originaire des environs, entre Peyrehorade et Saint-Pée-sur-Nivelle, et qui voulait, lui, revenir au pays, déjà conquis par l’idée de travailler chez les Guérard. Ils passent là « 36 heures non-stop ensemble. M. et Mme Guérard nous ont tout fait visiter, nous ont amenés au restaurant, voir un éleveur de canards à côté… Au bout de deux jours, nous nous sommes retrouvés tous les quatre là-haut dans le bureau de Monsieur. Et moi qui pensais en partant de New York venir leur dire poliment non, j’ai dit oui direct et l’aventure a commencé ! »

Nouvel aller-retour dans Big Apple pour cette fois-ci faire les valises pour les Landes dont sa connaissance se limitait à Hossegor une ou deux fois en vacances, et à des histoires de copains tyrossais du rugby à Paris. « En plein de mois de janvier, débarquer à Eugénie et s’installer à Renung dans une maison au milieu d’un champ avec personne à moins d’un kilomètre, ça faisait un gros gap ! Les deux premières semaines, je me suis un peu demandé ce que je faisais là. Et puis le professionnel a emmené tout le reste et j’ai été pris dans le tourbillon de la vie. »

Les Landes ? Surtout pas ! Moi j’avais envie de revenir à Paris ou Monaco… Mais M. Ducasse me dit : « Va voir M. et Mme Guérard, rencontre-les et tu te feras un avis.

D’abord, il lui a fallu comprendre la cuisine de Michel Guérard. « On a appris tous ses grands classiques, M. Guérard nous refaisait tout goûter, l’oreiller moelleux de mousserons, le filet de bœuf en croûte… Il nous a fallu presque deux ans à refaire tous ses plats emblématiques pour tout comprendre aussi de l’évolution sur 40 ans. »

En 2017, « un choc immense » frappe la belle maison avec le décès de Christine Guérard, la créatrice de l’ensemble en tant qu’héritière de la Chaîne thermale du soleil et la muse du grand chef depuis leur rencontre, à l’époque où le Tout-Paris se pressait dans son bistrot-restaurant d’Asnières, le Pot-au-Feu, où le jeune Guérard obtint deux étoiles pour, entre autres, sa célèbre salade aux copeaux de foie gras se substituant à la vinaigrette.

« Il fallait que Monsieur ait encore envie de faire sans Madame », dit pudiquement Hugo Souchet. Peu à peu, « en étant toujours très présent, il nous a laissé recréer des nouvelles choses avec tout ce que nous avions appris ici afin de conserver l’identité Guérard tout en apportant un côté plus moderne ».

LA CHANCE DE VIVRE ICI

La période Covid sera finalement comme un nouveau printemps. L’établissement fermé, « nous venions travailler tous les jours à faire des essais de nouveaux plats en étant moins stressés comme il n’y avait pas de clients. Avec M. Guérard et ses filles, Adeline et Éléonore, nous faisions tous les jours des dégustations entre nous, en « pimpant » un peu des grands classiques sur des dressages de sauce, comme le homard fumé à la cheminée sauce orange amères et pêches écrasées. ». Les trois successeurs ont quasiment le même âge : « Elles sont brillantes, on a les mêmes envies, les mêmes idées sur comment amener cette maison dans les 20 prochaines années », dit le chef qui ne laisse jamais la porte fermée à rien.

Ces dégustations tous ensemble sont devenues des incontournables. « On s’assoit, on goûte, on réfléchit… J’ai parfois l’impression que le plat est parfait, et M. Guérard me dit : « Tiens il y a ci, il y a ça, rajoutons ceci ou cela », et on amène la chose plus haut encore. » Trois mois de travail sont généralement nécessaires pour valider une recette à la carte. En vitesse de croisière, les menus changent quatre à cinq fois par an à la table étoilée des Prés d’Eugénie, quatre fois à l’Orangerie, six à la Ferme aux grives.

On s’assoit, on goûte, on réfléchit… J’ai parfois l’impression que le plat est parfait, et M. Guérard me dit : « Rajoutons ceci ou cela », et on amène la chose plus haut encore

Le Covid a aussi fait prendre conscience à Hugo Souchet de « la chance de vivre dans une région comme celle-ci, avec une vraie chaleur humaine », lui qui habite désormais à Geaune et se pique de traditions gastronomiques, comme sur le gibier type lièvre à la royale qu’il essaie de transmettre aux plus jeunes pour « ne pas que la maîtrise technique de ces grands classiques se perde ». « J’ai découvert ici le monde rural et les palombières alors que je ne suis pas du tout chasseur », dit celui qui a grandi entre le XIIe arrondissement de Paris et Versailles où ses parents étaient épiciers. Sa famille qui avait d’ailleurs « fait les gros yeux » quand il leur annonça vouloir être cuisinier alors qu’il avait de bonnes notes à l’école. Une thématique sur laquelle il rejoint aussi totalement Michel Guérard dans l’amour et la défense des métiers manuels. « Ça a été difficile de leur faire accepter. J’ai dû commencer une seconde générale mais j’ai fait deux mois et j’ai tout arrêté pour partir à l’école (gastronomique) Ferrandi. J’étais passionné par ce qu’on pouvait faire avec nos mains et ce qu’on pouvait amener comme plaisir aux gens. Ce côté artisanat, cette façon de réussir une assiette à partir de rien, de rôtir, pocher, braiser, griller… Tout ça a changé ma vie. »

Michel Guérard : « un beau rapport de confiance réciproque »

« J’ai rencontré Hugo Souchet par l’entremise d’Alain Ducasse qui avait d’ailleurs commencé ici via l’école hôtelière de Toulouse à l‘époque ! Le problème quand un cuisinier comme Hugo Souchet tombe dans une maison comme la nôtre est qu’il faut que ça fonctionne très bien entre lui et moi, et c’est exactement ce qu’il s’est passé. C’est un vrai cuisinier qui maîtrise tout ce que la cuisine a de classique et qui est ouvert sur tout ce qu’elle peut avoir de novateur. Nous avons réussi à développer un beau rapport de confiance professionnelle réciproque. Je continue à venir ici tous les jours, ça me permet de mieux vieillir en ne m’ennuyant pas ! Je l’amène dans ma trajectoire de pensée et comme il est enthousiaste, il suit. On s’entend très bien et il s’entend très bien aussi avec mes filles, Adeline et Éléonore, avec qui nous goûtons tout comme je le faisais avec ma femme. C’est important parce que je ne serai pas là tout le temps. Ce sont des jeunes qui sont dans le coup. Un restaurant, c’est comme un théâtre, il faut savoir renouveler les mises en scène, les décors, les scénarios et que ça vive pour que les clients aient envie d’y (re) venir. »

Circuit très courts

LA BÊTE ENTIÈRE EN CUISINE

L’été dernier, pour l’ouverture de l’Orangerie, deux vaches, Tosca et Tequila, ont brouté dans le parc des Prés d’Eugénie. Celles des Hontanx qui élèvent à Samadet des Blondes d’Aquitaine et des Bazadaises d’une qualité incomparable et multiprimées en concours. Depuis très longtemps, la maison Guérard travaille avec de nombreux producteurs locaux, notamment pour les fruits et légumes, les volailles de Saint-Sever ou les pigeonneaux et cochons de Vielle-Tursan.

UN BOUCHER RECRUTÉ

« On cherchait à travailler le bœuf en direct, avec la carcasse, dans le souci de ne pas tuer la bête pour rien et l’utiliser de la tête à la queue pour ne rien gaspiller : des parties qui vont direct dans le pot-au-feu ou dans des bouillons fond de sauce, au faux-filet qu’on laisse rassir deux ou trois semaines pour les grillades de l’Orangerie, des morceaux pour le steack haché à la landaise comme un burger avec foie gras et cèpes à la Ferme aux grives, aux parures servant pour le bœuf bourguignon du personnel. C’est quasi-unique en France », assure Hugo Souchet qui a embauché pour ce faire, un boucher aux Prés. De quoi rappeler des souvenirs à Michel Guérard dont les parents étaient bouchers en Normandie, à côté de Deauville : « À l’époque, on tuait encore dans la boucherie. Et pendant la guerre, des Allemands nous avaient menacés à la mitraillette pour tenter de nous faire avouer où on avait caché une vache. »

Aujourd’hui, un demi-bœuf par mois passe dans les trois restaurants du domaine. Et les bêtes viennent exclusivement de chez Hontanx. « Elles sont nées, élevées puis engraissées pendant six mois sur notre ferme avec les produits de notre ferme (maïs, foin) auxquels on rajoute quelques protéines nobles sans OGM, comme le tourteau de lin, ce qui donne un persillé particulier à la viande. En tant qu’éleveur, on sait la qualité que donnera une bête, comme tout bon ganadero espagnol sait quel taureau sortira bien aux arènes », explique Éric Hontanx, dont le fils a repris l’exploitation. « Depuis un an et demi qu’on travaille comme ça, il n’y a jamais eu de surprise sur la tendreté d’un filet », se félicite Hugo Souchet.