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Cyril Laudet : l’enfant de Laballe

À 45 ans, gérant de deux domaines à Parleboscq et Capbreton, producteur de vins et d’armagnac, Cyril Laudet a mis ses pas dans une longue histoire familiale. Un héritage qui oblige et anime sa passion d’entreprendre.

Cyril Laudet

Cyril Laudet © Patxi Beltzaiz - Hans Lucas

Sans doute s’est-il beaucoup ennuyé à Parleboscq. Mais l’ennui n’est-il pas le meilleur allié du rêve ? Celui de ressusciter ce domaine de plusieurs centaines d’hectares aux confins des Landes et du Gers où travaillaient 120 personnes, cuisiniers, jardiniers, avec son château, ses dépendances, ses bois, sa propre église. Tel que l’a découvert Cyril Laudet dans l’ouvrage de son ancêtre Fernand, En Armagnac il y a cent ans. N’est-ce pas au fond ce désir-là qui anime toujours plus ou moins consciemment le quadragénaire, héritier de la huitième génération, que tout et rien ne destinait à reprendre les rênes du domaine de Laballe ? D’y produire vins et armagnacs issus de ce terroir de sables fauves, d’y ajouter plus au sud du département, le domaine de La Pointe dans les sables blonds de Capbreton. Et de multiplier les rencontres, les découvertes, les initiatives pour imprimer sa propre empreinte. Écrire son chapitre de l’histoire familiale, avec son style et selon les aspirations de l’époque.

Domaine Laballe, Cyril Laudet

© Domaine Laballe

20 ans d’avance

De fait, Cyril Laudet est très en avance sur les générations qui l’ont précédé. « J’ai racheté le domaine à mon grand-père à 40 ans alors qu’habituellement c’est à 60 ans que cela se faisait. Pour ceux qui m’ont précédé, le domaine n’était pas l’activité principale. Ils le reprenaient après avoir réussi leur vie professionnelle ailleurs. » Et suivaient en cela le modèle de Jean-Dominique Laudet qui avait acheté le domaine en 1820. Armateur, il avait fait fortune dans le commerce des épices. Idem pour Fernand Laudet, homme de la quatrième génération, écrivain, qui avait fait carrière dans les ambassades, ou encore pour Noël, le grand-père de Cyril, ancien régisseur du château Beychevelle. Sacrée histoire familiale dont on peut se sentir les prisonniers ou les fiers héritiers. Cyril fait partie des seconds.

« Pourtant ma grand-mère m’a dit que personne n’aurait parié sur ma réussite », sourit-il. À 12-13 ans, lorsqu’il entend dans les repas de famille qu’il faut réfléchir à vendre la propriété, de plus en plus lourde à assumer financièrement, le jeune garçon ne s’y résout pas. « Davantage parce que je trouvais ce domaine beau, bien plus qu’animé par la production de vin et d’armagnac. » Oui mais voilà, pour reprendre le domaine il faut d’abord gagner de l’argent et Cyril n’est pas très bon élève. Il obtient un bac pro vente au lycée à Bayonne et apprend qu’il existe un BTS commerce en vins et spiritueux. Encore faut-il un avis favorable pour l’intégrer. Ce qui est loin d’être gagné. Si n’était intervenu un de ces petits signes du destin qui lui deviendront familiers. Enceinte, sa professeur principale laisse la place à un enseignant que Cyril convainc, par la passion de son discours, qu’il veut tout faire pour reprendre le domaine de son grand-père. Et il obtient le précieux sésame pour intégrer ce BTS qui lui fait découvrir un monde qui le passionne. Il y ajoute une licence pro en marketing des vins et trouve un travail dans un château des Corbières.

Sur la bouteille de « Résistance », son armagnac issu à 100 % du cépage baco, il y a tout un chapitre d’histoire

Le retour

Il y travaille pendant cinq ans lorsqu’il reçoit un coup de fil de son grand-père : il a 83 ans, n’est pas en bonne santé et veut passer la main. Sans hésiter Cyril pose sa démission et revient. Mais le plus dur reste à faire. Il loue en fermage à son grand-père un hectare de chardonnay pour apprendre à faire du vin et un hectare de vigne dédié à l’armagnac. Et il se consacre à la commercialisation. « Je savais que c’était le nerf de la guerre. Je n’avais pas le choix. Il fallait que je vende des bouteilles pour gagner de l’argent et espérer un jour racheter la propriété. »

Les copains d’abord

C’est donc en 2010 que le représentant de la huitième génération des Laudet décide de faire de la production et de la commercialisation du vin – et plus tard de l’armagnac – son métier. Une décennie de dur labeur, l’attend, où il va se consacrer tout entier au développement commercial du domaine. De 2010 à 2020, son chiffre d’affaires passe de 100 000 euros à 2 millions d’euros. Entre-temps il a repris le domaine de La Pointe à Capbreton et ses 5 hectares de vignes plantées dans le sable. Mais surtout en 2019, il rachète les terres du domaine de Laballe selon un modèle peu banal. « Je l’ai racheté avec 75 copains et nous avons formé un groupement foncier agricole (GFA), ce qui correspond à une société civile immobilière (SCI) dans l’immobilier. Il y avait 100 parts à 3 000 euros, ce qui me permettait d’avoir 300 000 euros d’apport. Quand on n’a pas de sous, on se creuse la tête et j’avais entendu parler de ce modèle qui m’a inspiré. »

Pas d’ordinateur !

Ouvert, curieux l’homme ne tient pas en place. « Je vais vous faire rire, je n’ai même pas d’ordinateur et je règle tout par téléphone. » Toujours à l’affût de nouveauté, à l’écoute des aspirations de l’époque, il a converti en bio ses deux domaines en 2019. Sur l’ensemble de ses activités, il atteint aujourd’hui un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros. Une activité qui se structure autour de deux domaines : Laballe et La Pointe, et une société commerciale nommée Famille Laudet dont les bureaux sont basés zone Pédebert à Hossegor, avec la partie marketing, comptabilité, vente. Pas mal pour un mauvais élève ! « Cela va bien au-delà de ce que je pouvais imaginer ! »

Armagnac is back

Dans l’évolution de son chiffre d’affaires, la part de l’armagnac s’impose toujours un peu plus. « Cela fait moins de 10 ans que je vends de l’armagnac : le stock de mon grand-père que j’avais racheté et les miens entrés en production il y a 15 ans. J’essaie de développer ce marché-là. » Il y a sept, huit ans, il lançait le slogan « Armagnac is back », quasiment un mantra symbolisant sa foi en cette boisson ancestrale à laquelle il avait apporté sa griffe, se démarquant de ses confrères. « La tendance c’était plutôt d’avoir de la structure de la puissance. Moi mon inspiration était d’aller vers quelque chose de plus accessible, plus frais, et finalement en phase avec les goûts de l’époque. » Dans la même mouvance, il s’est aussi investi dans l’aventure d’un gin bio Balea produit au Pays basque et dans l’association « chez les Landais ». (*)

J’ai racheté le domaine de Laballe avec 75 copains et nous avons formé un groupement foncier agricole (GFA), ce qui correspond à une SCI dans l’immobilier

Des initiatives marquées du sceau de l’amitié, du partage autour des racines et de valeurs universelles, portées par un talent indéniable de communication. Dernière entreprise en date, sa participation dans un triumvirat de direction des Chais d’Hossegor, enseigne emblématique, au côté de Dominique Faget qui en était la gérante et avec qui il est associé sur le domaine de La Pointe et Fabien Lançaro qui dirige une société de distribution de vin et une agence commerciale à Biarritz. « Cela s’est fait de façon naturelle, avec l’envie de travailler ensemble et de s’apporter mutuellement. Cela reste dans mes métiers du vin et va me permettre de comprendre beaucoup de choses. »

Raconter une histoire

Ne croyez pas pour autant qu’il soit stressé, façon businessman pendu à son téléphone. « Je dors huit heures par nuit ! Je délègue beaucoup. La première qualité c’est la confiance. Aujourd’hui, nous avons une équipe importante, et surtout investie : 30 personnes avec les Chais. Bien sûr, il y a des moments de stress, mais depuis trois ans et le rachat des terres de Laballe, j’avance avec beaucoup plus de sérénité. » Aujourd’hui, ce qui l’anime est de relancer l’armagnac victime d’une mauvaise image et d’expliquer son métier, raconter l’histoire de son domaine. Sur la bouteille de « Résistance », son armagnac issu à 100 % du cépage baco, il y a tout un chapitre d’histoire. « Vous comprenez ce que vous buvez. Tous les jours, dans des dégustations, auprès de cavistes, dans des master classes je parle de ma façon de travailler en bio avec un tonnelier artisanal Bartholomo, en utilisant l’un des derniers alambics au bois qui date de 1947, dans un lieu magnifique où je viens de replanter 5 000 arbres, 5 kilomètres de haies, son rachat avec 75 copains. Tout ça les touche. » Désormais, il pense à la transmission. « Mes enfants feront ce qu’ils voudront, mais j’ai envie de le laisser dans le meilleur état possible. De le transmettre comme les autres générations l’ont reçu. » Famille quand tu nous tiens !

(*) Chez les Landais : association de producteurs landais, créée par cinq familles pour promouvoir produits et savoir-faire landais dans des manifestations telles que le Salon de l’agriculture.

Dates et chiffres

14 septembre 1978 : naissance de Cyril Laudet

2000 : BTS commerce de vins et spiritueux à Carcassonne.

2007 : création de la société commerciale Famille Laudet

2018 : reprise des terres du domaine de La Pointe à Capbreton qui génère 700 000 euros de chiffre d’affaires, dont 25 % grâce à l’œnotourisme

2019 : reprise du domaine de Laballe au sein d’un GFA. De 2 hectares, le domaine est passé à 14, puis 25 hectares avec l’objectif d’atteindre 40 hectares de vignes

Novembre 2023 : associé à la direction des Chais d’Hossegor