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Valentin Houssier : itinéraire d’un enfant distrait

HOSSEGOR - Serial restaurateur, Valentin Houssier a créé Hossegor's Sandwiches, Little Princess, Tante Jeanne, le Bistro Balnéaire, le Grand Bain, bientôt Amore… Retour sur la recette d’une success story à base de concepts novateurs.

Valentin Houssier

Valentin Houssier © Patxi Beltzaiz – Hans Lucas

Il paraît que la vie commence à 50 ans. Pour Valentin Houssier ce sera peut-être le cas dans quelques semaines. Enfin une autre vie, et plus celle effrénée que cet éternel jeune homme aux allures d’étudiant californien a menée depuis plus de 30 ans, alors qu’avec un BEP de cuisine en poche, il se trouve aujourd’hui à la tête du plus beau patrimoine d’Hossegor en matière de restauration. Hossegor’s Sandwiches, Little Princess, Tante Jeanne, le Bistro Balnéaire, le Grand Bain et bientôt Amore, la trattoria italienne qui ouvrira au centre-ville pour les vacances de Noël : chaque fois, il invente des concepts novateurs qui se traduisent pour la plupart par une croissance à deux chiffres. Toujours à humer l’air du temps, à l’affût de ce qui manque et va plaire, avec probablement une vista et un sens des affaires innés, le goût des bonnes et belles choses reçu en héritage. Le parcours de Valentin Houssier réunit tous les ressorts de la success story. Lui n’en garde pas moins une sérénité qui semble à toute épreuve, et doit encore plus agacer tous ceux qui se demandent où il compte s’arrêter.

LE GOÛT D’UNE TÊTE DE VEAU²

À le regarder, assis sur un tabouret haut à l’entrée du Bistro Balnéaire, la brasserie rénovée façon Art déco qu’il a ouverte en 2020, au bord du lac d’Hossegor, rien ne semble laisser penser qu’il puisse avoir un quelconque souci de personnel, de coût de matières premières, bref de problèmes, tout court. Cela doit pourtant arriver, mais sans doute Valentin Houssier a-t-il choisi le côté lumineux de la force. Petit dernier d’une fratrie de six enfants, il naît à Mont-de-Marsan où son père originaire du nord de la France, ancien avoué devenu avocat, a installé sa famille. Hossegor arrive très vite dans la vie de Valentin Houssier. Son père y acquiert la plus ancienne maison en pierres, la « Pierre bleue », face à l’église où la famille migre du mardi soir au jeudi et tous les week-ends. Hossegor s’inscrit dans sa jeune vie, tout comme le plaisir des saveurs du palais, hérité de ce père, fin gastronome, qui l’emmène dans les meilleurs restaurants, où il n’hésite pas à entamer des discussions passionnées avec les chefs étoilés. « J’en garde tant de merveilleux souvenirs. Le goût d’une tête de veau dans une brasserie parisienne… ».

FRAGILE ET RÊVEUR

Valentin, lui, est un enfant rêveur, distrait, à la santé fragile. Déscolarisé à sept ans il va subir une grave opération aux poumons qui le tient éloigné des bancs de l’école pendant deux ans. Après ce vrai trauma, puis l’échec de deux troisièmes, il décide d’entamer des études de cuisine au lycée d’enseignement professionnel de Capbreton où il décroche CAP et BEP. « J’adorais ça. Mon père m’avait donné le goût des bonnes choses. Et comme mes parents travaillaient, j’étais souvent seul et je me faisais à manger. Mon prof m’appelait Bocuse » s’esclaffe-t-il. Son diplôme en poche, il commence par s’associer dans un bar à l’ambiance festive sur fond de musique électro au rond-point des Bourdaines, à Seignosse, le temps d’une saison. Le tout jeune homme qu’il est part alors pour Gourette, station où il allait skier enfant et adolescent, et rencontre le propriétaire d’une salle de jeux night-club qui lui laisse louer son fonds de commerce pour l’hiver. Un tremplin pour enchaîner avec deux autres affaires, une sandwicherie et un bar pizzeria. Il passera au total neuf saisons dans la station. Le temps de se forger une belle expérience et d’éprouver ce qui fera toujours sa réussite : comprendre ce qui va fonctionner et le convertir en succès. Mais son rêve reste de décrocher une affaire à Hossegor où le marché est déjà très compliqué.

Valentin Houssier

L’aménagement du Bistro Balnéaire travaillé avec les architectes Christine Lapassade et Alma Bali © D. R.

1 000 BURGERS PAR JOUR

Coup de chance ? Son moniteur de ski, propriétaire de deux fonds de commerce, près de la plage centrale à Hossegor, lui propose de reprendre les affaires en gérance. Banco ! Valentin regarde ce qui manque dans ce quartier. Il a 25 ans, adore les burgers et se souvient du goût de ceux que l’on servait au Surf chez Willy. Il se met en tête de recréer un burger d’exception en allant chercher un pain chez un artisan boulanger, d’y ajouter un steak de qualité et des sauces découvertes dans des salons. « Personne ne faisait ça à l’époque. » Hossegor’s Sandwiches naît en 2003 et le succès est fulgurant. Dans ses 30 m2, il vend 1 000 burgers par jour. « À Hossegor, la saison est plus longue qu’à la montagne et déjà la deuxième année, mon chiffre d’affaires représentait quatre à cinq fois celui de Gourette. » À plusieurs reprises, il lui est proposé de franchiser le concept. « Mais je ne suis pas un développeur dans l’âme. Je n’ai pas saisi le truc. Je voulais rester à Hossegor. »

Je ne suis pas un développeur dans l’âme

Son propriétaire lui propose alors de reprendre la pizzeria voisine, le Pinocchio. Ayant connu quelques déconvenues avec certains cuisiniers et pizzaïolos à Gourette, Valentin s’était juré qu’on ne l’y reprendrait plus, optant plutôt pour des formules de restauration rapide avec moins de soucis de personnel. Mais un tel emplacement ne se refuse pas. Alors il repart à zéro se former auprès d’un chef pizzaïolo italien près de Lyon où il découvre une autre façon de faire la pizza. C’est cette pizza haut de gamme conçue avec des farines importées d’Italie, des ingrédients de haute qualité, « légère, croustillante, digeste » qui vont faire le succès de Little Princess ouvert en 2010.

LA FOLIE TANTE JEANNE

Des succès flatteurs, mais Valentin reste insatisfait. « J’ai cette hantise, cette angoisse de ne pas être propriétaire d’un fonds, que tout peut s’arrêter. » Depuis le temps qu’il pas- sait devant l’Iceberg, fameux glacier de l’avenue Lahary dont il voyait le potentiel, demandant chaque année à son propriétaire s’il ne vendait pas, il reçoit enfin une réponse positive.

L’affaire est conclue en 2014. Ce sera l’aventure Tante Jeanne qu’il mettra deux ans à concrétiser.

D’abord en créant un glacier avec encore une fois la bonne idée d’utiliser le lait de ferme et d’initier avant l’heure le local et le circuit court. Le projet se développe dans un premier temps en rez-de-chaussée faute d’avoir convaincu les banquiers. Ils se raviseront bientôt. En 2017, lors d’un voyage en Californie, Valentin découvre les poke bowls et trouve génial ce concept autour du poisson cru et cette nouvelle tendance de cuisine healthy. Il l’importe sur la carte de Tante Jeanne avec des ceviches et toujours une proposition de burgers gourmets. Ce mix fait un malheur notamment auprès des plus jeunes. Les plats colorés, frais gourmands éminemment « instagramables » assurent la notoriété de cet établissement avec terrasse et patio, devant lequel les files d’attente s’allongent. « Cette année encore, nous sommes sur une progression de plus de 10 %. Depuis 2017, c’est une croissance constante à deux chiffres. »

Je ne suis pas un développeur dans l’âme

ENFIN DES MURS !

À un peu plus de 40 ans, Valentin a « presque » réussi ce qu’il voulait. L’idéal serait d’avoir murs et fonds commercial. Au cours d’un apéritif, il entend que l’ancien international de rugby, Olivier Magne souhaite vendre la Voile, ex-restaurant Chez Lamoliatte, affaire mythique du bord du lac. Beaucoup sont intéressés mais ne veulent pas payer le prix : 1,8 million d’euros (400 000 euros pour le fonds et 1,4 million pour les murs). Valentin se dit que ce lieu magique où l’on peut manger face au lac marin, en utilisant la terrasse panoramique construite à l’étage, ne peut lui échapper, malgré les Cassandre. Lui y voit déjà une brasserie basco-landaise, au charme balnéaire vivant toute l’année. Il achète et investit 2 millions d’euros dans une décoration haut de gamme, jouant sur les ouvertures et les vues sur le lac, travaillée avec ses fidèles architectes « créatrices d’ambiance », Christine Lapassade et Alma Bali. Il a aussi convaincu Florence Lartigue cheffe talentueuse qui a vendu son restaurant de Seignosse de le rejoindre. Mais le Covid frappe en pleins travaux. Le Bistro ouvrira finalement un 6 août en plein cœur de la saison, avec une équipe de 40 personnes et 400 places assises. Mais après 15 jours de rodage, l’affaire est sur les rails. « Je ne pensais pas avoir plus de succès qu’avec Tante Jeanne ». Erreur.

Dans quelques semaines, l’ouverture d’Amore, une trattoria à taille humaine avec 12o places

CADEAU DE NOËL

Les murs, les fonds… Le jeune chef d’entreprises qu’il est devenu pourrait s’en satisfaire. Mais les deux affaires de la plage qu’il a toujours en gérance, vieillissent et leur propriétaire lui propose de les racheter. Comment dire non alors qu’il a commencé là et tellement contribué à les valoriser pendant 15 ans ? Sur la totalité de la parcelle, il imagine d’abord créer un Italien, mais se ravise, un concurrent s’étant installé à deux pas. Il entreprend des travaux et crée un jardin autour d’une piscine façon ryad ou hacienda. Le Grand Bain ouvre fin juillet 2023 en catastrophe avec une carte proche de celle du Bistro. Mais pas question d’en faire un Bistro bis à la plage. Il réfléchit à un nouveau concept qu’il proposera au printemps 2024, après avoir glané de nouvelles idées lors de voyages hivernaux. « Peut-être, se risque-t-il, une formule « food court » où l’on peut sur un même espace trouver plusieurs corners de restauration où les cuisines du monde et les clients se rencontrent ? »

Et ce n’est pas fini. Après la location gérance de l’Orange Bleue, adresse phare du centre-ville et sa terrasse ensoleillée, transformée en Crêperie de tante Jeanne », il acquiert le fonds de la crêperie bretonne voisine qu’il a longtemps pisté. Et c’est donc là, face à Tante Jeanne, qu’il créera cet italien à l’année, auquel il n’a pas renoncé. Une trattoria à taille humaine avec 120 places, un chef transalpin, des pizzas napolitaines et tutti quanti. Amore ouvrira ses portes pendant les vacances de Noël. « Mon cadeau aux Hossegoriens et une façon de montrer que nous vivons dans une ville qui travaille toute l’année. » Amore qui aura son annexe Little Amore pour du snacking, de la restauration à emporter à l’italienne.

Et plus rien ? « Je vais être papa pour la deuxième fois en avril et depuis que ma fille Alma est arrivée, beaucoup de choses ont changé. » Alors, à près de 50 ans Valentin Houssier a envie de souffler. « Mon projet aujourd’hui c’est de stabiliser, consolider l’existant qui est énorme à gérer, de pérenniser ces affaires pour qu’elles ne deviennent pas des attrape- touristes. Il faut renouveler l’offre, continuer à investir. Par exemple, Tante Jeanne va arriver au cap des sept ans et sera renouvelée de A à Z. » Pas mal pour un écolier qui regardait les oiseaux par la fenêtre et dirige aujourd’hui une holding dont le chiffre d’affaires pour la partie restauration avoisine les 12 millions d’euros et emploie 220 personnes. Mais à cet instant précis sa priorité est ailleurs : ne pas être en retard pour aller chercher Alma à la crèche.

EN QUELQUES DATES

2003 : Hossegor’s Sandwiches 2010 : Little Princess 2014 : Tante Jeanne

2019 : la Brasserie Éphémère, sur l’emplacement du futur Bistro Balnéaire pour en jauger la capacité

6 août 2020 : le Bistro Balnéaire

2022 : la Crêperie de Tante Jeanne

2023 : le Grand bain à « remastériser » pour le printemps 2024

Décembre 2023 : Amore

Printemps 2024 : Little Amore (anciennement Benny’s pizzas) qui ouvrira après travaux