Les constructeurs européens Airbus (qui vient de sélectionner Safran pour motoriser son nouvel hélicoptère léger bimoteur H140), NHIndustries et Léonardo, l’américain Bell, l’indien HAL, le japonais Kawasaki, le chinois Avic ou le coréen Kai, sont déjà clients depuis longtemps de Safran Helicopter Engines (SHE). Et au mois de mars dernier, l’américain Robinson Helicopter Company (RHC) a signé, pour la première fois, un partenariat exclusif avec Safran pour motoriser son nouveau R88 qui sera équipé de l’Arriel 2W, d’une puissance de 950 chevaux, nouvelle variante de la famille des moteurs Arriel, le « best-seller » du motoriste français.
« Centre d’excellence mondial »
« Dans la bataille pour gagner des parts de marché, et alors que le contexte est plutôt à la demande croissante en moteurs d’hélicoptères, cette signature avec Robinson est un grand événement. Voilà un constructeur américain qui passe à la turbine et choisit un modèle très fiable, l’Arriel de Safran, le plus populaire de sa catégorie [15 500 unités produites pour plus de 40 types d’hélicoptères différents, NDLR]. C’est rare des annonces comme ça », commente Christian Rossi, directeur du site SHE de Tarnos qui s’assure ainsi des décennies de maintenance de ces moteurs sur ce « Centre d’excellence mondial de réparation de pièces et composants » (CERPC) du groupe, même s’il existe aussi des ateliers dédiés, plus petits, à Grand Prairie (Texas, États-Unis), et à Rio (Brésil). Un contrat signé avant les allers-retours de Donald Trump sur les droits de douane dont les conséquences sont impossibles à mesurer à ce jour pour le leader mondial du moteur d’hélicoptères.
Quoi qu’il en soit, « notre modèle économique, c’est de gagner des parts de marché avec des moteurs neufs, en faisant en sorte que le fabricant d’hélicoptères nous choisisse, pour, derrière, pendant 30 ou 40 ans, assurer le support de ces moteurs », selon ce Saint-Cyrien, ancien pilote et ingénieur mécanicien de l’aviation légère de l’Armée de terre.
Sur le site landais de 22 hectares, on répare ainsi chaque année, des centaines de moteurs (600 en moyenne sur les 1 200 réparés dans le monde par SHE), venus surtout d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient, et de toutes les armées françaises via le contrat de maintien en condition opérationnelle (MCO), signé en 2001 et renouvelé tous les 10 ans. L’État étant le premier client de la société, début 2020, la ministre des Armées de l’époque, Florence Parly, était d’ailleurs venue pour l’inauguration des nouveaux halls industriels.

L’Écureuil de la Gendarmerie nationale, équipé d’un moteur Arriel de Safran, est bien connu des plages landaises. © Anthony Pecchi / Safran
86 millions d’euros investis
Avec ce plan d’investissement de 50 millions d’euros baptisé CAP 2020, le site de Tarnos est alors entré dans une nouvelle ère avec une usine ultramoderne où certaines pièces peuvent notamment être nettoyées par cryogénie au lieu de bains chimiques. « Du démontage à la réparation et à la remise en condition, un moteur parcourait 4,5 km dans nos anciens locaux. Désormais, il fait seulement 500 mètres, tout a été optimisé au niveau des flux, ce qui permet d’aller plus vite et donc de faire face à l’augmentation de la demande », fait valoir le directeur de site nommé en novembre 2023, après 10 ans à la direction support et services de SHE.
36 millions d’euros de plus sont désormais investis pour un bâtiment neuf sur 1,4 hectare à la place d’un ancien atelier. Ce nouvel ensemble sera opérationnel en 2028 et dédié à la fabrication de pièces neuves statiques, c’est-à-dire « tout ce qui ne tourne pas dans un moteur », afin de « moderniser ce qui se faisait déjà, en augmentant la productivité et la qualité de vie au travail du personnel tout en réduisant l’impact sur l’environnement. »
À Tarnos, la feuille de route est d’ailleurs à la réduction des consommations d’énergie et d’émissions carbonées, via les panneaux photovoltaïques, les bornes de recharge électrique ou la politique pro-vélo entre garage dédié avec douche et vestiaires, et forfait mobilité durable sur la fiche de paye des salariés impliqués.

Sur le site landais, on répare environ, chaque année, 600 moteurs, venus surtout d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient. © Laurent Pascal / CAPA Pictures / Safran
Vers 100 % de carburant durable ?
Axe stratégique majeur du groupe coté au CAC 40, la décarbonation passe aussi, depuis plusieurs années, par les moteurs, avec les évolutions technologiques en matière d’hybridation, de compléments électriques ou de carburants aériens durables comme des biocarburants fabriqués à partir d’huile usagée. L’objectif est de réduire de 50 % les émissions de CO2 des nouveaux moteurs d’ici à 2030. Sur les turbines, il est question de diminuer de 20 % la consommation de carburants. Des moteurs SHE sont déjà certifiés pour fonctionner avec un mélange moitié carburant durable, moitié kérosène classique. En 2021, un premier vol test a été effectué avec 100 % de carburant aérien durable (SAF).
Comme pour les voitures, l’hybridation est un sujet d’étude également, avec des combinaisons de moteurs thermique et électrique sur certains hélicoptères : « En zone de sauvetage par exemple, on rallume l’électrique plus facilement techniquement que le thermique quand on est déjà en l’air », explique Christian Rossi.
Toutes les 9 secondes, un hélicoptère motorisé par Safran décolle dans le monde

Nettoyages des pièces avant expertise © Laurent Pascal / CAPA Pictures / Safran
Alternance et embauches
Reste, comme pour beaucoup d’entreprises françaises, la question du recrutement, avec des métiers de tourneur, fraiseur ou rectifieur sur les machines, qui sont parmi les plus compliqués à pourvoir. « On a parfois du mal à recruter car le vivier de jeunes qualifiés dans le domaine de l’usinage est réduit », déplore le directeur.
Safran vient donc de mettre en service son Centre d’alternance des métiers industriels aéronautiques (CAMI Aéro) à Bordes, lieu du siège social en Béarn, en collaboration avec le Pôle formation Adour de l’UIMM. La première promotion de 50 alternants est composée de 30 % de femmes et de 60 % de personnes en reconversion professionnelle. Une dizaine pourrait intégrer à l’issue le site de Tarnos qui forme en permanence environ 80 alternants, alors qu’une cinquantaine de CDI doivent être embauchés à Tarnos rien qu’en 2025.
« On essaie de développer aussi des politiques vis-à-vis du public féminin qui ne représente aujourd’hui que 18 % des effectifs (surtout dans les activités tertiaires), assure Christian Rossi. Mais nous faisons de gros efforts pour les attirer sur les métiers de la production avec des visites d’écoles et de publics en reconversion. »
80 % des hélicoptères motorisés par Safran « ont pour mission de sauver des vies et de protéger les personnes » (transport médical, sauvetage, lutte anti-incendie, lutte contre le terrorisme…)

Hélicoptère militaire NH90 équipé de deux moteurs Safran RTM 322 © Cyril Abad / CAPA Pictures / Safran
En chiffres
Safran Helicopter Engines (SHE), filiale du groupe Safran (3e acteur aéronautique mondial, 100 000 collaborateurs dans une trentaine de pays, 27,3 milliards de chiffre d’affaires en 2024), c’est :
. 6 441 employés dans le monde dont 1 600 sur le site de Tarnos et 2 800 à Bordes en Béarn où se situe le siège social
. 1,394 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2023
. 2 500 clients dans 155 pays
. 1 hélicoptère sur 3 vendu dans le monde motorisé par Safran avec ses moteurs aux noms issus des pics pyrénéens (Arriel, Astazou…) où à références basco-landaises (Adour, Makila…)
. 35 % de parts de marché au niveau mondial en 2023, devant Pratt & Whitney (USA, 21 %), Rolls Royce (Angleterre, 15 %), GE Aviation (USA, 13 %) et Motor Sich (Ukraine, 11 %)
. 50% des clients sont constitués des secteurs militaires, police et para-public. L’autre moitié d’acteurs du transport médical, du tourisme, du transport offshore (salariés allant sur les plateformes pétrolières) et du VIP-Corporate
. Une académie de formation à Tarnos pour former ses salariés et ses clients aux métiers de la maintenance produits et un centre d’alternance à Bordes.
Christian Rossi
Directeur du site Safran à Tarnos
Saint-Cyrien de formation, Christian Rossi est ancien pilote et ingénieur mécanicien de l’aviation légère de l’Armée de terre (ALAT), devenu colonel à 41 ans durant une carrière militaire de 26 ans au cours de laquelle il a notamment assuré des missions en Somalie et en ex-Yougoslavie, et participé aux opérations d’Afghanistan ou de Libye, période où il a commandé un régiment de l’ALAT, partie prenante de l’opération de 2011 durant la guerre civile libyenne. « Je suis toujours vivant grâce aux turbines de Safran », aime à dire ce grand professionnel, passé par l’agence Nahema de l’OTAN, dédiée au programme d’hélicoptère NH90 dont le siège est à Aix-en-Provence.
Après avoir travaillé au ministère des Armées à la gestion de la flotte des 1 300 aéronefs de l’État, il rejoint le groupe Safran « dans une forme de continuité », selon lui, de « soldat de la République à salarié dans l’industrie aéronautique qui contribue au dispositif de défense de l’État ». Après 10 ans à la direction support et services de Safran Helicopter Engines à Tarnos, il est nommé directeur de site landais en novembre 2023. « Tout citoyen qu’on est doit comprendre que l’industrie aéronautique contribue à la souveraineté d’un État. Nous sommes passés d’une période de décennies sans trop de tensions proches de chez nous à un contexte géopolitique particulier. Il faut être vigilant. Si on veut que les démocraties perdurent, il va falloir les protéger. »
60 ans d’histoire à Tarnos
Safran Helicopter Engines trouve ses origines dans la société anonyme créée en 1938 par Joseph Szydlowski : Turbomeca. En 1940, face à l’avancée de l’armée allemande, le gouvernement français fait déménager les industries de défense vers le sud, et Turbomeca qui fabrique des compresseurs pour moteurs d’avions et turbocompresseurs pour gazogènes à Mézières-sur-Seine (Yvelines), s’installe à Saint-Pé-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées). En 1942, l’entreprise à l’étroit s’installe à Bordes, près de Pau.
La mise en œuvre du programme du turboréacteur Adour, initialement conçu pour équiper le Jaguar, avion militaire franco-britannique, s’accompagne de la création de l’usine de Tarnos en 1965, symbole de la reconversion réussie du site industriel des Forges de l’Adour.
À la mort du fondateur en 1988, sa fille Sonia Meton assure la présidence de l’entreprise. Turbomeca devient une filiale de Labinal. L’héritière meurt en 1996, la famille Szydlowski se retire de la vie industrielle et revend Labinal. Turbomeca intègre en 2000 la branche propulsion du groupe Snecma, puis le groupe Safran lorsque celui-ci naît en 2005 de la fusion entre Snecma et Sagem. En 2016, Turbomeca est renommé Safran Helicopter Engines.