Les deux associés d’une Société civile immobilière (SCI), dont le cabinet a assuré la constitution et l’immatriculation il y a plusieurs années, ont sollicité un rendez-vous. L’atmosphère est tendue.
Les associés, époux, ont décidé de divorcer, et souhaitent connaître les conséquences de leur séparation pour la société. Ils évoquent des avances et des dépenses personnelles prises en charge par la société.
Afin de les conseiller au mieux, je leur demande de me communiquer le dernier bilan de la société.
« Quel bilan ? », me répondent-ils.
Celui que je leur avais vivement conseillé d’établir après l’immatriculation de la société.
Mais les associés étant circonscrits au cercle familial et la société n’ayant pas d’activité commerciale, il a malencontreusement été décidé de ne pas tenir de comptabilité et de ne pas réunir l’assemblée générale annuelle ayant vocation à approuver les comptes sociaux.
C’est une situation à laquelle le cabinet se trouve également régulièrement confronté pour des sociétés commerciales unipersonnelles (SARLU ou SASU) ou de nature familiale.
Les associés ayant des liens étroits et des intérêts communs, il est jugé préférable de « faire des économies » au détriment de la sécurité juridique.
ÉTABLIR DES COMPTES ANNUELS ET LES SOUMETTRE À L’APPROBATION DES ASSOCIÉS
L’article 1856 du Code civil dispose que « le gérant doit rendre compte, chaque année, de sa gestion aux associés en rédigeant un rapport écrit sur l’activité de la société au cours de l’exercice écoulé indiquant notamment les bénéfices réalisés ou prévisibles et les pertes encourues ou prévues. Les associés doivent approuver ce rapport. »
Et l’article 1855 du même Code dispose que les associés d’une SCI ont le droit d’obtenir, une fois par an, communication des livres et documents sociaux, et de poser par écrit des questions sur la gestion sociale.
En pratique, la tenue d’une comptabilité et son approbation annuelle par les associés sont rendues nécessaires par les risques et les sanctions encourus en cas d’inexécution et un formalisme minimal doit être respecté pour permettre au gérant de remplir ses obligations à l’égard des associés.
Ce sont les statuts de la SCI qui préciseront utilement les modalités d’organisation de l’assemblée générale ordinaire des associés ainsi que les modalités de communication des comptes et du rapport du gérant.
Par exemple avec des clauses de ce type :
ARTICLE — – Comptes sociaux
Il est tenu au siège social une comptabilité régulière. En outre, à la clôture de chaque exercice social, il est dressé par la gérance un inventaire de l’actif et du passif de la société, un bilan, un compte de résultat et une annexe.
Ces documents accompagnés d’un rapport de la gérance sur l’activité de la société doivent être soumis aux associés dans les six mois de la clôture de l’exercice.
ARTICLE — – Affectation et répartition des bénéfices Les produits nets de l’exercice, constatés par l’inventaire annuel, déduction faite des frais généraux, des charges sociales, de tous amortissements de l’actif et de toutes provisions pour risques, constituent le bénéfice.
Ce bénéfice est distribué entre les associés proportionnellement au nombre de parts possédées par chacun d’eux. Toutefois, l’assemblée générale ordinaire peut décider de le mettre en réserve ou de le reporter à nouveau, en tout ou partie.
De même, l’approbation des comptes est indispensable pour permettre d’affecter le résultat dans les comptes de l’année N+1.
Les obligations comptables dépendent de nombreux paramètres et notamment du régime fiscal adopté par la société (IR ou IS), des dispositions statutaires, de leur taille, de leur activité ou encore de leurs associés.
La SCI pourra adopter une comptabilité simplifiée (comptabilité de trésorerie) ou une comptabilité d’engagement.
D’autre part, des dispositions particulières peuvent s’imposer au gérant de SCI :
- établir un rapport sur les conventions dites « réglementées » ; l’assemblée générale devra délibérer sur ce rapport (art. L. 612-5 C.com) ;
- établir une déclaration de résultats 2072 pour les SCI non soumises à l’impôt sur les sociétés qui donnent leurs immeubles en location ou en confèrent la jouissance à leurs associés (art. 172 bis CGI) ;
- établir éventuellement une déclaration 2777-SD relative aux distributions de bénéfices faites à des personnes physiques.
L’organisation d’une assemblée générale annuelle des associés par le gérant apparaît indispensable afin de remplir toutes ses obligations et se ménager la preuve de leur bonne exécution.
Faire approuver les comptes de la SCI par les associés tous les ans est une saine décision de gestion
CONSÉQUENCES ET SANCTIONS DE L’ABSENCE DE REDDITION DE COMPTE PAR LE GÉRANT
En cas d’infractions aux lois et règlements, de violation des statuts ou de fautes commises dans sa gestion, le gérant de SCI engage sa responsabilité civile envers la société et ses associés, et envers tout tiers (art. 1850 C. civ).
La jurisprudence nous donne plusieurs exemples de révocation de gérant de SCI :
- révocation d’un gérant de SCI qui n’avait pas rendu compte de sa gestion annuellement même si les associés ne le demandaient pas et peu important le caractère familial de la SCI (Cass.com. 23/10/2019 n°17-31653) ;
- révocation d’un gérant de SCI peu soucieux de l’intérêt social (CA Orléans 12/03/2020 n°19/00678) : au cas présent, le gérant ne respecte pas ses obligations légales et statutaires. Il n’a jamais fait établir de comptes annuels ni convoqué d’assemblée générale aux fins de rendre compte de sa gestion) ;
- révocation d’un gérant de SCI qui avait omis de rendre compte de sa gestion a son coassocié et avait consenti une location à des conditions désavantageuses pour la SCI (Cass.com. 02/05/1990) ;
- révocation d’un gérant de SCI qui n’avait pas demandé à un professionnel la tenue de la comptabilité ni rendu compte de sa gestion (Cass.com. 04/11/2014).
L’absence d’établissement et de reddition de comptes par le gérant peut avoir des conséquences importantes pour les droits des associés tant au plan juridique (détermination des créances ou dettes des associés envers la société et valorisation des parts en cas de cession, de retrait ou de décès d’un associé) qu’au plan fiscal (redressement en cas d’inexactitude des résultats déclarés).
Dans l’hypothèse la plus pessimiste, le juge pourrait constater la fictivité de la société ou étendre une procédure de redressement judiciaire d’une société commerciale dont dépend la SCI à cette dernière (Cass.com. 18/07/1989 n°88-13279).
Enfin, tout tiers ayant un intérêt à agir peut demander la mise en cause de la responsabilité civile du gérant si le défaut de reddition de compte par ce dernier lui cause un préjudice (établissement bancaire ayant octroyé un crédit à la société par exemple).
Faire approuver les comptes de la SCI par les associés tous les ans est une saine décision de gestion car elle permettra de rendre opposable le compte courant à l’administration fiscale et aux autres associés (en cas de divorce, de cession de parts intrafamiliale ou à des tiers), de sécuriser fiscalement certains montages, et de prouver la non-fictivité de la SCI.
N’hésitez pas à contacter votre avocat, il n’est jamais trop tard pour agir.