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Consultation et rédaction des actes juridiques : la réglementation (1/2)

DROIT DES SOCIÉTÉS. Alors que les consultations ou les rédactions d’actes juridiques par des professionnels non autorisés par la loi se multiplient, causant des préjudices importants aux entrepreneurs, retour sur la réglementation de l’exercice du droit en la matière.

© Patxi Beltzaiz - Hans Lucas

La commission « exercice du droit » du barreau de Dax est régulièrement alertée par des entrepreneurs qui, de bonne foi, ont sollicité des consultations juridiques ou confié la rédaction d’actes juridiques, allant jusqu’à la cession de fonds de commerce ou de titres de sociétés, à des « juristes » non autorisés par la loi.

Habilité à engager toute procédure de nature civile ou pénale pour faire cesser ces troubles, l’Ordre met notamment en demeure le contrevenant de cesser ses activités illégales, de modifier le contenu diffusé sur les réseaux sociaux, ou même de se radier du Registre national des entreprises.

Il a été constaté une recrudescence de ces infractions notamment sous couvert de proposer aux entreprises une aide pour le dépôt des formalités par voie dématérialisée sur le guichet unique géré par l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Souvent le « juriste » aura pour code NAF ou APE 70.22Z (conseil pour les affaires et autres conseils de gestion).

Parmi les cas récents, la rédaction

Cette liste n’est pas exhaustive, et dans tous ces dossiers, les entrepreneurs ont subi des préjudices, parfois conséquents. Et le (la) rédact(eur) (trice) n’étant pas assuré…

Il est impératif d’être particulièrement vigilant face à des « braconniers du droit » qui agissent sciemment, en toute connaissance de cause, ou parfois dans l’ignorance la plus totale des règles de droit s’appliquant.

Pour permettre aux chefs d’entreprise d’éviter de subir des préjudices parfois irréversibles, nous entendons au travers de ces quelques lignes attirer leur attention sur la notion de consultation et d’acte juridique.

Nous rappellerons à titre préventif que le titre II de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques habilite certains professionnels limitativement énumérés, à pratiquer la consultation juridique et la rédaction pour autrui d’actes sous seing privé en matière juridique.

L’article 54 de ladite loi de 1971 modifiée dispose notamment que « nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui » à certaines conditions qui y sont énumérées et précisées.

L’article 66-2 sanctionne « quiconque aura, en violation des dispositions du présent chapitre, donné des consultations ou rédigé pour autrui des actes sous seing privé en matière juridique ».

LES CONDITIONS DE L’EXERCICE ILLÉGAL

En vertu de cette loi, la caractérisation de l’exercice illégal du droit suppose d’établir la réunion de trois conditions :

« la jurisprudence pénale considère pour les infractions d’habitude, que le caractère occasionnel cesse à compter du deuxième acte inclus »

L’EXERCICE D’UNE ACTIVITÉ JURIDIQUE DE CONSULTATION JURIDIQUE ET DE RÉDACTION D’ACTES

La consultation juridique

Pour permettre à l’entrepreneur de savoir si le professionnel qu’il a face à lui est habilité à rédiger des actes juridiques et à donner des consultations, précisons que la consultation juridique se distingue de l’information juridique à caractère documentaire dont la diffusion est libre ainsi qu’il résulte de l’article 66-1 de la loi du 31 décembre 1971 qui dispose : « Le présent chapitre ne fait pas obstacle à la diffusion en matière juridique de renseignements et informations à caractère documentaire. »

Si la consultation juridique n’est définie officiellement par aucun texte législatif, elle a fait l’objet de réponses ministérielles, et de décisions de jurisprudence. Il a notamment été précisé par une réponse ministérielle du 28 mai 1992 que « la consultation juridique consiste en une prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis concourant, par les éléments qu’il apporte, à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation » (Rép. min. AN JOAN Q n° 19358, 8 juin 1992, p. 2523).

De même, « l’on doit entendre par consultation juridique toute prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis sur une situation soulevant des difficultés juridiques ainsi que sur la (ou les) voie(s) possible(s) pour les résoudre, concourant, par les éléments qu’elle apporte, à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation. Elle doit être distinguée de l’information à caractère documentaire qui consiste à renseigner un interlocuteur sur l’état du droit ou de la jurisprudence relativement à un problème donné » (Rép. min, JO Sénat, Q.n° 24085, 7 sept. 2006, JO Sénat, p. 2356).

Et la cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 11 septembre 2008 n° 07-03343, SARL ECS/SARL Florence Morgan, a donné la définition suivante de la consultation juridique entendue comme la « prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis ou un conseil et qui, fondée sur les règles juridiques applicables à la situation analysée, constitue un élément de prise de décision par le bénéficiaire de la consultation ».

Et dans un arrêt du 16 janvier 2018 n° 16/03 900, qui définit la consultation juridique comme « toute prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis ou un conseil et qui, fondée sur les règles juridiques applicables, notamment fiscales ou sociales, à la situation analysée, constitue un élément de prise de décision par le bénéficiaire de la consultation ».

À titre d’exemples et sans être exhaustif, relèvent d’une activité de consultation juridique :

« L’automatisation de la rédaction d’actes par « logiciel » interposé n’exclut pas de respecter la réglementation de l’exercice du droit »

La rédaction d’actes sous seing privé pour autrui

Tout comme la consultation juridique, la pratique de la rédaction d’actes sous seing privé pour autrui est réglementée par l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée. Une réponse ministérielle du 20 juillet 1992 est venue préciser que la rédaction d’actes sous seing privé recouvre « les actes unilatéraux et les contrats, non revêtus de la forme authentique, rédigés pour autrui et créateurs de droits ou d’obligations » (Réponse ministérielle, question n° 46703 JOAN, 20 juillet 1992 page 3291). Dès lors, échappent à cette qualification les modèles ou lettres types sans adaptation ou individualisation (Cass. civ 1, 15 mars 1999, n° 96-21.415).

En droit des sociétés, de nombreux procès-verbaux, même sous format de modèles, sont créateurs de droits (par exemple, distribution de dividendes, affectation de bénéfices ou augmentation de capital), de sorte qu’ils pourraient, selon les situations, être appréhendés comme ressortant d’une activité réglementée.

L’essor des nouvelles technologies de l’information pose de nouvelles questions. En effet, nombreux sont les sites internet qui proposent leurs services pour la rédaction de contrats, de statuts de sociétés, d’association, de conditions générales de vente… ou encore pour la saisine en ligne des juridictions.

Leur valeur ajoutée réside surtout dans l’accompagnement de l’usager dans les démarches juridiques pour lesquelles il a nécessairement besoin d’être assisté et conseillé de manière à adapter le document à sa situation avec parfois la validation d’un « avocat partenaire » quand ce n’est pas celle du juriste interne. L’automatisation de la rédaction d’actes par « logiciel » interposé n’exclut pas de respecter la réglementation de l’exercice du droit.

L’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée évoque les termes « habituel » et « rémunéré ». L’activité juridique exercée à titre occasionnel et gratuit échappe à toute réglementation, la seule réserve tenant aux dispositions de l’article 55 alinéa 3 concernant l’obligation de secret professionnel et la notion de conflit d’intérêts : « Les personnes qui à titre habituel et gratuit donnent des consultations juridiques ou rédigent des actes sous seing privé sont soumises aux obligations définies à l’alinéa 2 du même article relatif à l’obligation de secret professionnel, du conflit d’intérêts. »

S’agissant des actes occasionnels et rémunérés, on rappellera que la jurisprudence pénale considère pour les infractions d’habitude, que le caractère occasionnel cesse à compter du deuxième acte inclus.

En présence d’une personne morale, le caractère « habituel » de l’activité juridique exercée pourra se présumer de l’objet statutaire de la société mentionnant une telle activité.