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La loi de partage de la valeur : une opportunité ?

La loi de partage de la valeur est au cœur des dispositifs d’épargne salariale et retraite. Si certaines mesures sont rendues obligatoires, d’autres sont facultatives, mais elles ont toutes le même objectif de contribuer à généraliser l’épargne salariale dans les entreprises tout en renforçant le dialogue social. Décryptage des mesures phares.

Muriel Bayard, directrice conseil social – paie chez In Extenso Mont-de-Marsan © Patxi Beltzaiz - Hans Lucas

La loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023 (J. O. 30/11/2023), visant à transposer l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur au sein des entreprises, est venue aménager et créer des dispositifs pour dynamiser le partage de la valeur dans les entreprises.

1. LA PRIME DE PARTAGE DE LA VALEUR ASSOUPLIE

La loi a modifié le régime de la prime de partage de la valeur (PPV) pour les années 2024 à 2026. Ce dispositif facultatif, créé en juillet 2022, pérennise l’ancienne prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA) instaurée en 2019. Il s’en inspire largement, mais en diffère sur certains aspects pour en élargir le champ d’application. Il demeure un dispositif d’accès facilité pour les entreprises.

Depuis le 1er décembre 2023, le dispositif a évolué sur trois points majeurs :

– une prolongation du régime d’exonération sociale renforcée jusqu’au 31 décembre 2026 pour les entreprises de moins de 50 salariés ;

– la possibilité d’effectuer deux versements par an, ce qui offre une flexibilité accrue aux entreprises dans la gestion de leurs primes de partage de la valeur, mais toujours dans la limite annuelle de 3 000 à 6 000 euros selon les conditions. Le grand intérêt de cette mesure est de pouvoir verser des primes d’un montant différent selon des critères distincts ;

– la possibilité de placer la PPV dans un plan d’épargne entreprise et/ou d’épargne retraite. Avec cette modalité de placement, la PPV rentre dans la cour de l’épargne salariale.

La mise en œuvre pouvant être formalisée par simple décision unilatérale de l’employeur, après consultation du comité social et économique (CSE), les entreprises s’emparent progressivement du dispositif notamment au mois de décembre pour améliorer la rémunération annuelle, tout en profitant d’un régime social et fiscal de faveur. Selon une étude de la Dares, près de 5 millions de salariés des branches marchandes non agricoles ont perçu une PPV en 2022 représentant une moyenne de 806 euros par bénéficiaire.

2. LES NOUVEAUX DISPOSITIFS DE PARTAGE DE LA VALEUR

Un nouveau mécanisme obligatoire pour les petites entreprises :

À titre expérimental, le texte instaure l’obligation dans les entreprises de 11 salariés et plus non soumises à la mise en place d’un régime de participation (< 50 salariés) de se doter d’un dispositif d’épargne salariale au titre de l’exercice suivant dès lors que, pendant trois exercices consécutifs, elles réalisent un bénéfice net fiscal au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires.

Les entreprises pourront répondre à cette obligation par :

Le dispositif s’appliquera pour la première fois en 2025, si le bénéfice net fiscal excède 1 % du chiffre d’affaires en 2022, 2023 et 2024.

Pour les entreprises de 50 salariés et plus : la loi instaure une nouvelle obligation de négociation avant le 30 juin 2024 sur l’augmentation exceptionnelle de bénéfice.

Toute entreprise de 50 salariés et plus disposant d’un ou de plusieurs délégués syndicaux ayant ouvert une négociation pour mettre en œuvre un dispositif d’intéressement ou de participation doit désormais également négocier sur :

. la notion « d’augmentation exceptionnelle de son bénéfice » ;

. les modalités de partage de la valeur avec ses salariés qui peut se traduire par la mise en œuvre :

Une négociation doit être engagée avant le 30 juin 2024. Il est à noter que cette obligation n’est assortie d’aucune sanction à date et reste réservée aux entreprises dotées d’un délégué syndical spécifiquement.

Un nouveau dispositif facultatif intitulé « plan de partage de la valorisation de l’entreprise (PPVE) » est instauré.

Toutes les entreprises peuvent mettre en place par voie d’accord une prime, au profit des salariés ayant au moins un an d’ancienneté, dans le cas où la valeur de l’entreprise a augmenté pendant une période de trois ans. Ce nouveau dispositif est assorti d’un régime incitatif socialement et fiscalement.

Tout l’enjeu pour l’accord d’entreprise résidera dans la définition d’un taux de variation de cette valorisation sur trois ans, appliqué à un montant de référence, également à négocier. Le montant pourra être modulé en fonction de la rémunération du salarié, de son niveau de qualification ou de la durée de travail.

La loi de partage de la valeur précise la notion de valorisation pour les entreprises cotées mais laisse aux entreprises non cotées le soin de définir par accord une formule de valorisation. La loi précise qu’elle pourra s’appuyer sur des comparaisons avec d’autres entreprises du même secteur. En l’absence de formule prévue ou si cette dernière est impossible à appliquer, la valorisation de l’entreprise sera égale au montant de l’actif net réévalué selon le bilan le plus récent.

Le dispositif bénéficie d’un cadre fiscal et social attractif avec une exonération de cotisations sociales pour les primes versées en 2026, 2027 et 2028 (primes néanmoins soumises à CSG, CRDS et à une contribution patronale spécifique de 20 %) et à une exonération d’impôt sur le revenu lorsque ces sommes sont placées sur un plan d’épargne salariale.

L’intérêt principal du dispositif réside dans sa vision à moyen/long terme. Il ne se base pas sur un bénéfice ou une marge qui peut varier d’une année sur l’autre, mais sur la hausse de la valeur de l’entreprise. Il permet d’intéresser les salariés à la valorisation de l’entreprise sans passer par le dispositif d’actionnariat salarié.

3. L’INTÉRESSEMENT ENCOURAGÉ

Depuis le 1er décembre 2023, la loi encadre la possibilité pour les accords d’intéressement de prévoir le versement d’avances sur les sommes dues au titre de l’intéressement en cours d’exercice. Cette disposition vise à faciliter la distribution des bénéfices aux salariés de manière anticipée, contribuant ainsi à renforcer leur motivation et leur engagement au sein de l’entreprise.

Afin d’atténuer la hiérarchie des rémunérations, la loi autorise désormais les entreprises à appliquer un plancher ou un plafond au salaire pour la répartition de l’intéressement. Cette mesure vise à promouvoir une distribution plus équitable des bénéfices entre les salariés, en prenant en compte des critères tels que la performance individuelle et collective.

Rappelons que l’intéressement demeure un dispositif facultatif volontaire créé en 1959 consistant à verser une prime annuelle avec une grande liberté dans la détermination de la formule de calcul basée soit sur des indicateurs comptables ou les performances (objectifs qualitatifs).

4. LA PARTICIPATION AMÉNAGÉE

Ce dispositif a subi un aménagement majeur avec la possibilité pour les entreprises qui mettent en place à titre volontaire un dispositif de participation, d’opter pour un régime dérogatoire à la formule légale.

Cette mesure vise à offrir aux petites entreprises une plus grande flexibilité dans la mise en place de dispositifs de participation, adaptés à leur situation spécifique.

Un tempérament au principe de non-substitution de la participation à un élément de rémunération est également prévu. Il vise à garantir que la participation ne soit pas utilisée comme un substitut à d’autres formes de rémunération, mais comme un complément. Il prévoit toutefois un tempérament, puisqu’en cas de suppression totale ou partielle d’un élément de rémunération, cette règle de non-substitution ne peut avoir pour effet de remettre en cause les exonérations sociales et fiscales attachées au régime dès lors qu’un délai de 12 mois s’est écoulé entre le dernier versement de cet élément de rémunération et la date d’effet de l’accord de participation.

Pour les entreprises de plus de 50 salariés, plusieurs dispositions visant à intégrer dans le Code du travail certaines précisions issues du Guide d’épargne salariale ont été prévues dont notamment la possibilité, au même titre que l’intéressement de prévoir le versement, en cours d’exercice, d’avances sur les sommes dues au titre de la participation.

La loi de partage de la valeur donne de la latitude aux entreprises pour choisir une des multiples mesures pour renforcer la participation des salariés aux performances de leur entreprise

5. L’ÉPARGNE SALARIALE RÉVISÉE

À compter du 1er juillet 2024, le règlement du plan d’épargne d’entreprise devra prévoir au moins un fonds d’épargne verte. Cette nouvelle obligation s’appliquera également aux plans d’épargne retraite à compter du 24 octobre 2024.

Le partage de la valeur doit permettre à l’entreprise de fidéliser ses salariés et d’attirer de nouveaux talents

6. L’ATTRIBUTION D’ACTIONS GRATUITES (AGA) FAVORISÉES

La loi prévoit un relèvement des plafonds d’attribution d’actions gratuites, ainsi qu’un assouplissement du régime pour les bénéficiaires. Cette mesure vise à encourager les entreprises à distribuer des actions gratuites à leurs salariés, en tant qu’outil de participation et de motivation.

En adaptant les modalités d’appréciation du plafond individuel et en permettant l’attribution d’actions aux mandataires sociaux dans les groupes non cotés, la loi cherche à rendre le dispositif d’attribution d’actions plus attractif et accessible.

La loi de partage de la valeur donne donc de la latitude aux entreprises pour choisir une des multiples mesures pour renforcer la participation des salariés aux performances de leur entreprise. On peut souligner que la nouvelle obligation faite aux entreprises de 11 à 49 salariés d’adopter au moins un des dispositifs, si elles remplissent les conditions de bénéfice visées, n’est qu’une mesure expérimentale et le recours à la PPV reste un moyen simplifié de remplir les nouvelles obligations.

Si les dispositifs d’intéressement et de PPV peuvent être librement déterminés, caractérisant ainsi des mécanismes flexibles à la différence de la participation (pour les entreprises de + 50 salariés), il n’en demeure pas moins que les dispositifs doivent répondre au principe de non-substitution avec un élément de rémunération.

Par ailleurs, en offrant des opportunités de leviers sociaux et fiscaux à toutes les entreprises, la loi permet à travers le partage de la valeur de l’entreprise de fidéliser leurs salariés et d’attirer de nouveaux talents.

L’enjeu résidera probablement dans la volonté et la capacité des entreprises de s’approprier ces mécanismes qui nécessitent, pour la majorité d’entre eux, un accompagnement par un expert.

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