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INTERVIEW – Gilles Roumegoux : « Les entreprises doivent être jugées par leurs pairs »

Gilles Roumegoux, le nouveau président du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan, a pris ses fonctions dans un contexte chahuté. Obligation pour les entreprises d’enregistrer leurs formalités via le guichet unique de l’Inpi et projet de loi d’orientation de la justice, prévoyant notamment le détachement de magistrats de carrière au sein des tribunaux de commerce. Il fait le point.

Gilles Roumégoux

Gilles Roumégoux © H. R.

LAL : Comment fonctionne l’obligation pour les entreprises d’enregistrer leurs formalités via le guichet unique de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) ?

Gilles Roumegoux : C’est une catastrophe. Ce sont les entreprises qui payent les pots cassés. Avant, une modification était enregistrée en 24 heures. Aujourd’hui, il faut quatre mois. Très vite, le site de l’Inpi a été saturé. Infogreffe a dû être réactivée pour pallier les défaillances de l’Inpi. On ne sait pas bien comment cela va évoluer. La création d’un guichet unique est un non-sens, d’autant que l’Inpi doit retransmettre les informations aux greffes.

LAL : D’autant qu’Infogreffe vient de lancer une nouvelle plateforme ?

G.R. : Cela fonctionnait déjà très bien. La nouvelle plateforme est plus performante, plus sécurisée, plus rapide, et offre des possibilités infinies. C’est un système créé par les greffiers. Je crois pouvoir dire qu’avec cette idée de guichet unique de l’Inpi, les entrepreneurs sont vent debout. Ils ne peuvent pas modifier les informations juridiques de leur entreprise.

LAL : Le projet de loi d’orientation et de programmation de la justice pour 2023-2027, porté par le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, prévoit la création d’un tribunal des activités économiques (TAE) actuellement en phase d’expérimentation. Comment le recevez-vous ?

G.R. : Aujourd’hui même [lundi 26 juin, NDLR], 134 présidents de tribunaux de commerce (90 %), dont mon homologue dacquois, José Prosper, tiennent une assemblée générale à Paris afin d’échanger sur les avancées relatives à ce projet de loi. S’ils constatent qu’un consensus conforme à leurs souhaits s’est dégagé du projet voté en premier lieu par le Sénat et désormais examiné par la commission des lois de l’Assemblée nationale, ils restent, toutefois, vigilants quant aux modifications qui pourraient être apportées au cours de la séance publique de l’Assemblée, prévue en juillet.

L’élargissement des compétences des tribunaux de commerce me semble être une bonne chose. Jusqu’alors, nous ne nous occupions pas des agriculteurs, des Sociétés civiles immobilières (SCI) et des professions libérales. Pourtant, ce sont les mêmes procédures. L’élargissement des compétences serait logique.

LAL : Que pensez-vous du projet de renforcement des obligations de formation des présidents des tribunaux de commerce ?

G.R. : À mon sens, ce renforcement serait le bienvenu.

Gilles Roumégoux

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LAL : La perspective d’un détachement de magistrats de carrière au sein des tribunaux de commerce vous paraît-elle être une bonne chose ?

G.R. : Cet échevinage – puisqu’il faut appeler un chat, un chat – ne me paraît pas nécessaire. Il irait à l’encontre de notre principe de base. Les entreprises sont jugées par leurs pairs depuis le XVe siècle, et doivent continuer de l’être. Cette spécificité permet une prise de décision rapide, adaptée et éclairée, favorisant la détection des difficultés des entreprises et la résolution efficace des litiges commerciaux entre entreprises. La qualité et la performance de nos actions ne sont pas contestées. Le délai moyen de traitement des dossiers est de six à sept mois, bien inférieur à celui des tribunaux judiciaires et le taux d’infirmation par les cours d’appel est très faible. Je pense pouvoir ajouter que nos actions en faveur de l’apaisement des conflits par recours à la conciliation et à la médiation, de l’anticipation et du traitement des difficultés des entreprises demeurent très appréciées par l’ensemble des acteurs économiques.

LAL : Un chef d’entreprise, juge consulaire, ne connaît pas obligatoirement le droit. Sur certains dossiers, ne ressentez-vous pas le besoin de faire appel à des professionnels ?

G.R. : Bien sûr. Et pour cela les greffiers sont précieux. Mais les multiples formations dispensées par l’École nationale de la magistrature (ENM) et par l’université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), et notamment par le professeur Lecourt, nous sont précieuses pour nous permettre de mieux appréhender les aspects du droit.

LAL : Le projet de loi envisage de mettre en place une contribution pour la justice économique, calculée en fonction de la capacité contributive du demandeur et du montant de la demande…

G.R. : C’est impensable et injuste. Il y aurait donc une justice à deux vitesses en fonction des moyens de l’entreprise. Et puis, ce serait rajouter une difficulté aux entreprises déjà en situation de faiblesse.

La création d’un guichet unique pour les formalités des entreprises est un non-sens

LAL : Justement, quelle est l’évolution de la situation des entreprises sur le ressort de Mont-de-Marsan ?

G.R. : Il y a clairement un regain de défaillances. Sur l’année 2022, il y a eu 17 mises en sauvegarde ou en redressement judiciaire. Pour les six premiers mois de l’année, on est déjà à 19. L’an dernier, 63 liquidations ont été prononcées. Nous en sommes à 49 depuis début 2023. Ce qui laisse supposer que sur l’année entière, on atteindra certainement les 90 ou 100 liquidations. Cette année, au 30 juin, nous avons enregistré 86 procédures collectives (sauvegardes, redressements, liquidations).

Le délai moyen de traitement des dossiers est de six à sept mois

LAL : On se rapproche des chiffres de 2019, l’année de référence du pré-Covid ?

G.R. : En effet, sur l’ensemble des défaillances, on évolue vers un niveau proche de 2019.

LAL : Cette évolution est-elle liée à la nécessité de rembourser les Prêts garantis par l’État (PGE) ?

G.R. : Cela n’est pas le cas du tout. La grande majorité des entreprises avait anticipé et assume les remboursements. Une infime partie a été contrainte de mettre la clé sous la porte à cause de ce crédit.

La grande majorité des entreprises avait anticipé et assume les remboursements des PGE

LAL : Quel est le profil des entreprises qui ont connu des procédures collectives ?

G.R. : Il n’y a pas un secteur particulier qui soit touché. Mais 90 % sont de très petites entreprises.

LAL : En termes de créations d’entreprises ?

G.R. : Les années se suivent et se ressemblent. En 2022, il y a eu 1 670 créations. À l’issue du premier semestre 2023, on est à 822.

LAL : Les procédures collectives sont évidemment au cœur de l’activité d’un tribunal des activités économiques, mais celui-ci a également la possibilité de faire de la prévention ?

G.R. : Oui, c’est un rôle qui échoit au président, car les démarches se font en toute confidentialité. J’y suis particulièrement attaché, d’autant que nous disposons de nouveaux outils qui permettent d’identifier les entreprises dans le besoin. Dans un secteur géographique, dans une branche particulière ou en fonction du niveau de chiffre d’affaires, par exemple, l’informatique peut repérer des entreprises en les notant de 0 à 100, selon une série de critères dont le non-dépôt des comptes, le ratio compte courant, capital social, l’état de la trésorerie… Si le classement révèle une faiblesse, je peux convoquer l’entreprise – en toute discrétion – et réfléchir à des solutions. Souvent, elles ont déjà réagi. Toutes repartent avec une ou des solutions leur permettant de supporter une mauvaise passe.

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GILLES ROUMEGOUX UN PARCOURS ASSOCIATIF RICHE

Gilles Roumegoux a été à l’école communale de Villeneuve-de-Marsan, puis de la sixième à la terminale, élève au Lycée Victor-Duruy de Mont-de-Marsan. Il a suivi les cours de la faculté de pharmacie de Bordeaux et obtenu son doctorat en décembre 1984, le jour de la naissance de sa fille. Il a dirigé sa pharmacie à Saint-Pierre-du-Mont pendant 30 ans et a pris sa retraite en avril 2019. Administrateur, puis président pendant 10 ans, du centre de gestion des Landes de Gascogne, cet homme au parcours associatif riche a également été dirigeant du Stade montois pendant 10 ans. Il a été élu juge consulaire en octobre 2013, et vient de remplacer, à 66 ans, l’emblématique ancien président, Arnaud Baptistan. Il affectionne particulièrement ce rôle de manager d’une équipe et sait qu’il aura à intervenir aux niveaux régional et national.