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Benoît Fontaine, le procureur de Dax fait le point

En septembre dernier, Benoît Fontaine a été nommé procureur de Dax. Le magistrat de 42 ans, originaire de Bayonne, connaît bien cette juridiction où il a déjà exercé comme substitut. Il note une augmentation très sensible de l’activité. Rencontre.

Benoît Fontaine, procureur de Dax

Benoît Fontaine, procureur de Dax © H. R.

Les Annonces Landaises : Quel a été votre parcours d’étudiant ?

Benoît Fontaine : Je suis originaire de Bayonne. J’ai un parcours classique d’étudiant en droit achevé à Toulouse par un DESS en contentieux et arbitrage, aujourd’hui master 2. J’ai ensuite été reçu au concours de l’École nationale de la magistrature (ENM) de Bordeaux en 2004. Je suis donc de la promotion 2005.

LAL : Quel a été votre parcours professionnel ?

B.F. : Dans le cadre de ma formation à l’ENM, j’ai fait un passage dans le Var et ma première affectation comme substitut du procureur a été Soissons (Aisne). J’ai occupé mon deuxième poste à Dax de 2010 à 2015, puis j’ai traversé l’Atlantique. J’ai été nommé vice-procureur à Fort-de-France en Martinique. Après cette belle séquence professionnelle ultra-marine de trois ans, retour dans le Sud-Ouest à la cour d’appel de Pau comme secrétaire général du procureur général. Cela a été pour moi l’occasion d’approfondir ma connaissance de l’institution. J’ai notamment travaillé sur l’organisation du G7 qui s’est tenu à Biarritz en 2019 et sur la crise sanitaire et ses conséquences en termes de ressources humaines. Et en septembre, je suis arrivé à Dax comme chef de juridiction.

LAL : Quels souvenirs gardez-vous de votre passage aux Antilles ?

B.F. : Cela a été passionnant sur les plans professionnel et humain. C’est une chance que nous offre notre profession que de pouvoir découvrir d’autres territoires et d’autres réalités en matière de délinquance. J’étais affecté à la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) en charge de la criminalité organisée et particulièrement de la lutte contre le trafic international de produits stupéfiants. La proximité du continent américain donne un relief particulier à la lutte contre le trafic de cocaïne. Ces trois ans ont également été passionnants humainement avec la découverte d’un territoire qu’il convient d’aborder avec beaucoup d’humilité.

© H. R.

LAL : Quelles différences y a-t-il entre le ressort de Dax que vous avez connu il y a 10 ans, en tant que substitut, et celui d’aujourd’hui ?

B.F. : Le plus marquant, c’est l’augmentation très sensible de l’activité de la juridiction. Cela s’explique par des facteurs démographiques – le ressort est très dynamique -, mais aussi par une meilleure prise en charge de faits qui n’étaient pas assez dénoncés à l’époque, notamment les violences intra-familiales. À juste titre, on enregistre plus de plaintes. En post-confinement et en post-MeToo, la parole des victimes s’est libérée. Il convient de donner les suites pénales que cela mérite. Cela contribue à un certain engorgement des services. Et paradoxalement, on a davantage d’activité, mais les effectifs restent contraints.

En post-confinement et en post-MeToo, la parole des victimes de violences intra-familiales s’est libérée

Notre ressort compte 1,74 magistrat du parquet pour 100 000 habitants. La moyenne nationale, elle-même très en deçà des standards européens, est de trois pour 100 000. Il en va de même pour les greffiers, les agents et les magistrats du siège. Pour atteindre les valeurs de référence, il nous faudrait donc multiplier les effectifs par deux.

LAL : La qualité de la réponse pénale en pâtit-elle ?

B.F. : Je suis très fier du niveau d’engagement des acteurs de la juridiction. Du côté des greffes et des magistrats, il y a une conscience professionnelle aiguë et un souci de bien faire les choses, malgré une charge de travail anormale, supérieure à la moyenne nationale. La réponse reste qualitative grâce à la bonne volonté des agents qui la composent.

LAL : Combien de temps faudra-t-il attendre pour que la situation évolue ?

B. F. : Nous sommes là au cœur de l’actualité. La demande de se rapprocher des standards européens, portée par les chefs de cour, a été formulée, notamment suite à la
« Tribune des 3 000 » [mobilisation de magistrats et greffiers en décembre 2021, NDLR]. L’arbitrage doit se faire au niveau national. Nous avons déjà pu bénéficier du recrutement de plusieurs contractuels depuis 2021. Leur apport est très apprécié, mais ce n’est pas suffisant.

Benoît Fontaine, procureur de Dax

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LAL : Les locaux actuels peuvent-ils absorber l’augmentation des flux ?

B.F. : C’est là un autre point sensible. Nous avons la chance d’avoir un palais en cœur de ville. C’est très appréciable, mais nous sommes à saturation. Plusieurs pistes sont à l’étude. Je pense aux anciens locaux du centre communal d’action sociale qui appartiennent à la mairie ou à l’ancien centre de tri de la Poste. Les faisabilités techniques et budgétaires sont à l’étude. À titre d’exemple, à Pau, l’extension en centre-ville du tribunal judiciaire qui vient d’être inaugurée est une réussite.

LAL : Un calendrier est-il établi pour Dax ?

B.F. : Si un chantier était lancé maintenant, il arriverait à son terme dans trois ans. C’est un projet au long cours. Je salue l’implication de la municipalité dans ce projet qui, nous l’espérons, pourra aboutir.

LAL : Quelles sont les spécificités de la délinquance sur le ressort de Dax ?

B.F. : La proximité de la frontière espagnole et l’axe autoroutier génèrent des interpellations de trafics internationaux de produits stupéfiants. D’une manière générale, les trafics de produits stupéfiants sont un point d’attention prioritaire que nous avons avec les forces de sécurité intérieure. Autre particularité, sur la zone côtière, les résidences secondaires sont l’objet de convoitise et des cambriolages sont à déplorer. Même si l’on peut dire que le ressort est relativement épargné, on constate qu’avec la poussée démographique, les zones rurales deviennent plus urbaines, donc plus criminogènes.

LAL : Comment concevez-vous votre rôle de procureur ?

B.F. : C’est un métier d’action, d’engagement, dans lequel il faut faire preuve de conviction et avoir le sens du service public. C’est un métier connaissant un accroissement permanent des missions confiées, mais j’apprécie le travail en partenariat. Être chef de juridiction n’est pas une aventure individuelle. C’est un travail d’équipe et je suis particulièrement bien entouré. L’essentiel étant de garantir la fluidité du traitement des procédures et de proposer une réponse pénale qualitative.

LAL : Comment tendre vers cette qualité ?

B.F. : Comme je l’indiquais, c’est un résultat collectif. À titre d’illustration, l’implication des associations Adavem (Association d’aide aux victimes) et AEM (Association d’enquête et de médiation) dans le suivi des victimes et la prise en charge des auteurs est à souligner. La création au centre hospitalier, avec en particulier l’implication du docteur Bertrand Lhez, d’une Unité médico-judiciaire (UMJ) de proximité, qui prend en charge les victimes de violences conjugales et établit les constatations médicales avec la plus grande diligence, me paraît aussi être un bon exemple.

Si le ressort est relativement épargné, on constate qu’avec la poussée démographique, les zones rurales deviennent plus urbaines, donc plus criminogènes

LAL : Plus généralement, quelles sont les voies d’amélioration que vous souhaitez privilégier ?

B.F. : Je souhaiterais susciter des vocations d’experts psychiatres. Il y en a peu sur notre ressort. Nous en avons besoin notamment pour établir la responsabilité pénale. Il nous faut également prendre notre bâton de pèlerin pour trouver des lieux d’hébergement pour les auteurs de violences conjugales. Il y a un maillage de lieux d’accueil pour les victimes, mais la tendance aujourd’hui est plutôt d’éloigner les auteurs et de laisser les victimes à leur domicile.

LAL : Vous souhaitez également développer les alternatives aux poursuites ?

B.F. : Oui, il nous faut proposer des solutions toujours plus pertinentes qui correspondent aux besoins locaux. Je souhaite, par exemple, réactiver les stages de participation citoyenne dans le cadre des ferias ; des contrevenants routiers y participent au fonctionnement des points repos mis en place par les collectivités. Il faut également développer le travail d’intérêt général ou le travail non rémunéré qui, lui, est une alternative aux poursuites. Cela reste à creuser, mais ce serait une façon de répondre aux thématiques locales de prévention des incendies et de prévention du danger côtier.

Pour les alternatives aux poursuites, il nous faut proposer des solutions qui correspondent aux besoins locaux

LAL : Votre fonction vous amène-t-elle à désespérer de la nature humaine ?

B.F. : Jamais, bien au contraire. Je suis d’un naturel optimiste. Nous traitons des dysfonctionnements, certes, mais ils ne sont pas la norme. La fonction permet égale- ment de voir évoluer des situations et aussi, sur le versant civil, d’assister à de belles histoires comme en matière d’adoption.

LAL : Certaines affaires vous ont-elles particulièrement marqué ?

B.F. : Il y en a plusieurs. Je me souviens notamment d’un « cold case » sur lequel j’avais travaillé, s’agissant de l’homicide d’une adolescente non élucidé. Je viens d’apprendre que l’on a retrouvé l’auteur il y a quelques mois grâce à son ADN et ce, presque 30 ans après la commission de ce crime.