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Entretien avec Rodolphe Jarry, Procureur de la République du parquet de Dax : « Au service de l’intérêt général »

Rodolphe Jarry est procureur de la République du parquet de Dax depuis septembre 2019. Recherche de proximité, amélioration de l’accueil des victimes, dématérialisation des procédures, alternatives aux poursuites. En un an et demi, le jeune magistrat a ouvert de nombreux chantiers visant à améliorer le fonctionnement et l’image de la justice pénale. Entretien.

Rodolphe Jarry

Rodolphe Jarry. Procureur de la République du parquet de Dax © H. R.

Les Annonces Landaises : Comment définiriez-vous la fonction de procureur de la République ?

Rodolphe Jarry : Dans son ressort-circonscription territoriale dans laquelle s’exerce la juridiction d’un tribunal-le procureur représente l’intérêt général. Quand la norme est violée, il doit apprécier quelle est l’atteinte à l’ordre public et apporter la réponse la mieux adaptée. Il est garant du respect des libertés et de la loi.

LAL : Qu’est-ce qui vous a décidé à embrasser cette carrière ?

R. J. : À chaque étape de mon parcours, j’ai eu la volonté de faire des choses qui m’intéressaient. Ne jamais refaire la même chose. Dans mon passage à la chancellerie puis au parquet général de la cour d’appel de Rennes où il y avait neuf procureurs, j’ai vu quelle était la potentialité créatrice de la fonction. Parce que, quand on est procureur on peut innover, moderniser, améliorer les choses. C’est cette possibilité d’écrire la politique pénale qui m’a séduit.

LAL : Quelles sont les limites de votre ressort ?

R. J. : Il faut imaginer le département divisé en deux par une sorte de diagonale de l’ouest vers le sud-est. La limite nord se situe à Lit-et- Mixe. La séparation avec Mont-de-Marsan se fait à Tartas et il y a toute la frontière sud. Au total, 55 % de la population landaise dans une zone d’essor démographique et économique, même si la Covid a apporté son lot de difficultés.

LAL : Quelle est l’évolution du nombre de dossiers que vous avez à traiter ?

R. J. : Il y a une augmentation très sensible. En 2020, Il y a eu 13 000 procès-verbaux. Le nombre des mesures de gardes à vue est notamment particulièrement significatif. Il souligne la densité de l’activité du parquet dacquois. De 645 en 2018, 662 en 2019, il est passé à 798 l’an dernier. Soit plus 25 % en deux ans.

LAL : Comment expliquez-vous cette hausse ?

R. J. : Il y a une augmentation, non pas de la délinquance, mais de la gravité de certains actes, notamment des faits de violence, qui justifie le nombre de gardes à vue. De l’autre côté, la politique  pénale est plus proactive et plus ferme à certains égards. En matière de violences conjugales, par exemple, quelle que soit la gravité des faits et la personnalité de l’auteur, la garde à vue est systématique.

Quand on condamne quelqu’un qui a enfreint la loi, on ne règle que la moitié du problème

LAL : Combien de personnes interviennent au parquet de Dax ?

R. J. : Quatre procureurs et 12 greffiers. Nous avons ici la chance de pouvoir compter sur des fonctionnaires de très grande valeur. Ces derniers travaillent dans l’ombre, mais sans eux la justice ne pourrait pas fonctionner.

LAL : N’est-ce pas trop difficile d’être confronté quotidiennement aux vicissitudes de la nature humaine ?

R. J. : C’est vrai que l’imagination humaine est du mauvais côté et sans limites. On est confronté aux travers, à ce qu’il y a de plus noir, chez les uns et chez les autres. On côtoie la mort, parfois la perversité. On ne s’y habitue-fort heureusement-jamais complètement, notamment dans les affaires qui concernent des mineurs. Mais, notre force est de travailler avec une équipe soudée. Quand on est face à des choses qui heurtent, on peut les mettre à distance en en parlant avec les collègues. La chancellerie met également à disposition une cellule psychologique qui peut être utilisée autant que de besoin.

LAL : Vous dites que la fonction de procureur permet d’innover, d’améliorer les choses. Depuis votre arrivée à Dax, quels ont été vos axes de progrès ?

R. J. : Avant tout, on est là pour faire respecter la loi. Mais dans ce cadre il y a effectivement une marge d’inventivité, de modernisation. Par exemple, en alternative aux poursuites, quand il n’y a pas lieu de renvoyer la personne devant le tribunal correctionnel, on peut choisir dans une palette de mesures et notamment ordonner un stage de citoyenneté. Avant, on se limitait à rappeler la loi à des participants, finalement très passifs. Aujourd’hui, nous avons signé une convention avec l’Association départementale d’aide aux victimes et médiations, justice de proximité (Adavem JP 40) et avec l’Union des sapeurs-pompiers des Landes, permettant aux stagiaires d’être plus acteurs en suivant une formation de secourisme et de sensibilisation aux gestes qui sauvent en cas d’incendie.

LAL : L’amélioration de la prise en charge des victimes est également l’une de vos priorités ?

R. J. : Quand on condamne quelqu’un qui a enfreint la loi, on ne règle que la moitié du problème. Il ne faut pas oublier la ou les victimes. C’est pour cela que je suis très attaché au développement de nos partenariats avec l’Adavem JP 40 et avec l’Association d’enquête et de médiation (AEM). Ils accueillent, écoutent et orientent toute personne victime d’infractions pénales.

La possibilité de filmer des procès pourrait contribuer à mieux faire connaître ce que nous faisons et à faire disparaître les fantasmes de laxisme

LAL : Comment intervenez-vous pour rapprocher la justice des citoyens ?

R. J. : À titre personnel, très modestement, en décembre dernier, j’ai ouvert un compte Twitter qui me permet de montrer ce que nous faisons. Nous recherchons également plus de proximité dans le temps en intervenant le plus rapidement possible après les faits. Dès septembre dernier, pour accélérer les procédures, nous avons mis en place une série de mesures alternatives aux poursuites. La composition pénale en temps réel, en particulier, intervient juste après l’interpellation, dès la garde à vue. L’auteur est reçu par le délégué du procureur et, par exemple, des mesures d’éloignement du conjoint violent peuvent être prises sans attendre.

LAL : Proximité également, géographique et relationnelle ?

R. J. : Aujourd’hui, auteurs ou victimes doivent venir sur Dax. Fin juin, la communauté de communes Maremne Adour Côte Sud mettra un local à disposition de l’Adavem qui assurera une permanence à Capbreton. Et rapprochement également relationnel avec les collectivités locales. Nous avons signé des conventions avec les communes de Saint-Paul-lès-Dax, Saubion, Pouillon pour rappeler que les maires, officiers de police judiciaire, ont des prérogatives de rappel à l’ordre et créer avec eux des liens de coopération.

LAL : Un de vos objectifs était également la numérisation ?

R. J. : On y est. Nous sommes, dans les Landes, pionniers en la matière. Tout est informatisé. Cela nous permet d’être proactifs et de mai à septembre prochain sera déployée la procédure pénale numérique (PPN) qui est une numérisation des dossiers dès la sortie du commissariat de police ou de l’unité de gendarmerie. On n’imprime plus. On fait signer les gens sur un petit pack, comme chez le notaire ou à la réception d’un colis et le fichier suit toute la chaîne pénale sans perte de temps.

LAL : Comment avez-vous accueilli le projet de réforme de la justice annoncé par le ministre Éric Dupond-Moretti ?

R. J. : J’attends de voir la manière dont cela sera mis en musique. Il me semble y avoir là beaucoup de bon sens. La justice doit en effet accélérer ses procédures et mieux communiquer. Dans cette logique, je suis favorable à la possibilité de filmer des procès. Cela pourrait contribuer à mieux faire connaître ce que nous faisons et à faire disparaître les fantasmes de laxisme.

Rodolphe Jarry une solide expérience

Rodolphe Jarry, 43 ans, est originaire de Clermont-Ferrand. Après un master 2 de droit, il est reçu 36e sur 270 à l’École nationale de la magistrature. Il débute sa carrière, en septembre 2005 – au moment des violences urbaines qui ont défrayé la chronique – comme substitut du procureur d’Évry, dans l’Essonne. En 2010, il rejoint la chancellerie (ministère de la Justice), puis en 2013, il occupe les fonctions de secrétaire général du parquet général de la cour d’appel de Rennes, la cinquième cour de France, avec neuf tribunaux de grande instance. Il y reste six ans. C’est là, dit-il, qu’il « puise des idées pour toujours faire mieux ». En septembre 2019, le Conseil de la magistrature le nomme à Dax.