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Alimentation animale : Protifly fait mouche

Installée à Saint-Maurice-sur-Adour, la société Protifly utilise les larves de mouche soldat noire pour valoriser les coproduits organiques de l’agro-industrie en concentré protéiné, huile et engrais pour l’alimentation animale et la fertilisation des sols. Avec, en prévision, l'implantation d'une unité de production à Ychoux.

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Maxime Baptistan, président de Protifly et Bastien Quinnez, directeur général de Protifly ©JPEG-STUDIOS

Les insectes sont très riches en ingrédients de qualité. Alors que la population mondiale ne cesse d’augmenter et que la production de ressources stagne, ils apparaissent comme une solution pour contrer les problèmes croissants de carences alimentaires. Si dans certains pays, la consommation d’insectes est culturelle, dans d’autres, comme en France, l’idée de remplacer son steak saignant par une poêlée de larves en rebute plus d’un. Mais la richesse en protéines de ces petites bêtes peut également être utilisée en alimentation animale. C’est dans ce segment que se spécialise Protifly depuis 2016. Maxime Baptistan et Bastien Quinnez s’appuient sur les atouts de la Hermetia illucens ou mouche soldat noire, pour développer l’entreprise dont ils sont respectivement président et directeur général. « À l’état larvaire, ces mouches endémiques se nourrissent de résidus organiques, explique Bastien Quinnez. Dans la nature, elles jouent un rôle dans la chaîne alimentaire en recyclant n’importe quel type de matière en décomposition pour leur alimentation. Et elles grossissent à vue d’œil ! Microscopiques à la naissance, elles mesurent 2 centimètres à 11 jours, lorsque nous les récoltons. Ce sont de super concentrateurs naturels des nutriments encore présents dans la matière. Nous utilisons cette faculté pour valoriser les coproduits de l’agro-industrie locale. » Une partie des larves est conservée pour assurer le renouvellement de la colonie. Les autres sont transformées par des procédés thermomécaniques, sans aucune utilisation de produits chimiques, en farine protéique et en huile pour l’alimentation animale. Le résidu de l’élevage est un fertilisant sain qui est valorisé comme amendement organique pour la fertilisation des sols.

Le résidu de l’élevage est un fertilisant sain, valorisé comme amendement organique pour la fertilisation des sols

ÉCONOMIE CIRCULAIRE

Non contente de produire une source alternative de protéines, Protifly participe également au recyclage des coproduits de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire. Les larves sont en effet élevées sur un mix issu d’usines partenaires : déchets de maïs doux, drêches de brasserie ou encore écarts de production. Cette technologie brevetée lui a d’ailleurs valu d’être primée en 2018 par la fondation Famae, qui met en valeur des solutions simples et innovantes permettant de réduire ou recycler les déchets. « D’autres acteurs, tels que des fonds d’investissement ou la Région Nouvelle-Aquitaine ont alors investi dans l’entreprise, ce qui nous a permis, après notre phase pilote, de démarrer la construction de notre démonstrateur industriel. » Ne souhaitant pas construire une installation ex nihilo, Maxime Baptistan et Bastien Quinnez se sont rapprochés d’un éleveur laitier qui arrêtait son activité à Saint-Maurice-sur-Adour. « Nous avons saisi l’opportunité et réhabilité les bâtiments existants pour créer une usine capable de produire les volumes suffisants pour rentrer en phase commerciale.» L’entreprise emploie une quinzaine de salariés autour d’Arthur Clerc-Renaud, directeur industriel, et Delphine Calas-List, directrice recherche et développement.

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La nouvelle usine sera installée à Ychoux, en partenariat avec le spécialiste des légumes surgelés, Antarctic Foods © D.R.

SOUTENUE PAR LE PLAN DE RELANCE

Une fois transformée, la production est utilisée en alimentation animale, un secteur dans lequel la majorité des protéines employées pour nourrir les élevages sont importées. « L’augmentation de la population a entraîné des tensions économiques et environnementales sur les ressources historiquement utilisées. Nous proposons par conséquent une alternative durable, issue de nos insectes, qui valorisent par la même occasion pendant leur croissance les résidus de l’agro-industrie locale. » La capacité de Protifly à assurer l’autonomie protéique des élevages français n’a pas laissé le gouvernement indifférent. Au cours des 50 dernières années, l’agriculture européenne s’est spécialisée dans la production de céréales tandis que la production de protéines se fait majoritairement en Amérique du Sud. Pour contrer ce mouvement qui entraîne une dépendance néfaste, l’État français a lancé dans le cadre de son plan de relance, un appel à projets « Secteur critique » pour relocaliser, sur le territoire, la production d’intrants stratégiques. À ce titre, en mai dernier, elle a alloué à Protifly une enveloppe de 2, 3 millions d’euros. « Protifly ouvre un nouveau chapitre de son histoire. Cette subvention va nous permettre de financer en partie la construction de notre prochaine unité de production et de préparer l’expansion de l’entreprise », annonce Bastien Quinnez.

Les larves sont élevées sur un mix issu d’usines partenaires : déchets de maïs doux, drêches de brasserie ou écarts de production

PROJETS DE DIVERSIFICATION

La nouvelle usine sera installée à Ychoux, en partenariat avec Antarctic Foods. Le spécialiste des légumes surgelés y voit l’opportunité de valoriser ses résidus de production, tandis que Protifly bénéficiera d’une source de nourriture garantie pour ses larves. L’unité, dont la construction débutera l’année prochaine, sera capable de produire 10 fois plus que le démonstrateur actuel. « Outre la construction de l’usine, 2022 sera consacrée à l’embauche d’une vingtaine de personnes et à la formation des équipes pour un développement plus large sur d’autres territoires qui ont également besoin de notre solution. » L’objectif à long terme est également de toucher d’autres secteurs, comme celui de l ’alimentation humaine. En attendant, Protifly, qui fait partie du groupe de travail de l’IPIFF (Plateforme internationale pour la promotion des insectes dans l’alimentation humaine et animale), fait du lobbying au niveau des instances européennes pour faire évoluer la législation dans le bon sens. D’autres boucles économiques vertueuses existent, hors applications alimentaires, et l’entreprise travaille dessus. « Actuellement, nous ne nourrissons nos larves qu’à partir de matières premières végétales pré-consommateurs pour rester dans la chaîne alimentaire. Mais nous voudrions pouvoir recycler les déchets post-consommateurs et proposer des produits finaux non alimentaires, comme les biomatériaux, les huiles et lubrifiants… L’objectif est de créer de la valeur ajoutée en partant des poubelles, aussi bien en Europe que hors Europe. »

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© D.R.