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Management : quand l’excès de bienveillance nous contraint

Si l’idée que l’entreprise repose sur la richesse de son capital humain reste fondamentale, la notion de bienveillance, considérée par les concepts à la mode comme l’une des missions du manageur, a aussi ses limites.

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Si l’émergence de nouveaux courants de pensée, indéniablement associés à l’évolution naturelle de nos entreprises et de la société de manière plus large, nourrit nos réflexions et nos organisations, force est de constater que nous finissons par nous y perdre. Pour n’en citer que quelques-uns parmi les plus récents : l’entreprise libérée, le management agile, le lean management, le management démocratique, le management collaboratif, le management participatif, le management 3.0, le management bienveillant… Arrêtons-nous justement sur la bienveillance en entreprise. Le concept a fait couler beaucoup d’encre, bien au-delà des frontières du monde du travail d’ailleurs.

Des manageurs saturés par les exigences individuelles prenant le pas sur l’intérêt collectif

Le médecin urgentiste et consultant en management, Philippe Rodet en est convaincu : « La bienveillance -appliquée à l’univers du travail- implique une adhésion pleine et entière à vouloir faire le bien d’autrui, qu’on le connaisse personnellement ou non. Ce n’est donc pas inné, comme pourrait l’être une qualité, mais demande un effort individuel. » Voilà donc un effort (le mot n’est pas dénué de sens) gratifiant et sans nul doute tout à fait louable. Le management étant une affaire de femmes et d’hommes, d’êtres humains, il n’existe qu’à travers la rencontre et donc l’intérêt réel porté à l’individu.

UNE INJONCTION QUI SUSCITE DES INTERROGATIONS

Toutefois, je m’interroge fortement sur la notion de « vouloir faire le bien ». J’y vois comme une injonction, presque thérapeutique, nous engageant à prendre la responsabilité –voire la charge- en tant que manageur, responsable d’équipe ou chef d’entreprise, de se dévouer au contentement profond et durable de ses collaborateurs. Quelle est alors la frontière de cet altruisme ? Dans quelle mesure, sommes-nous capables, de définir le bien d’autrui ? Qui sommes-nous, nous-mêmes, pour nous investir de ce qui semble être une véritable mission ? Ou plutôt devrais-je dire, où en sommes-nous, nous-mêmes, pleinement humains, pleinement défaillants ?

J’avoue que je reste perplexe. Certes, je partage l’idée que l’entreprise repose sur la richesse de son formidable capital humain. Au-delà de la partager, c’est également une valeur que je souligne dès les premières heures de mes accompagnements. La mixité des individualités permet, également, si l’on ose le contact, d’évoluer soi-même. Bien entendu, et pour couper court, je ne remets nullement en question le respect et la considération de tout un chacun, notions sous-jacentes et positives portées par la bienveillance.

Un véritable exercice d’équilibriste face à la volatilité des profils qu’une crise a secoués

Mais il est important d’observer la réalité sous un autre angle. Et dans les faits, dans l’excès de cette bienveillance illimitée, ce sont aussi beaucoup de manageurs ou de chefs d’entreprise épuisés, exténués, vidés. Parfois même, désorientés. Comme si, à vouloir trop écouter, trop anticiper, trop envisager, ils étaient en overdose, saturés par les exigences individuelles prenant le pas sur l’intérêt collectif. Comme si, un trop fort tiraillement venait s’ajouter à la prise de décision pointant ainsi du doigt, en sentence, un possible échec dans son rôle de leader bienveillant. Est-il possible qu’ils soient alors, les premières victimes d’une empathie mal proportionnée ? Oui bien sûr, vous me direz que tout excès comporte ses dangers. Qu’il convient là de simplement recadrer. Réévaluer. Réajuster. Avouez qu’il s’agit d’un véritable exercice d’équilibriste face à la volatilité des profils qu’une crise a secoués. Avouez, qu’il faut du courage pour affirmer en société que la bienveillance a ses limites. Il faut du courage pour ne pas se laisser envahir. Se préserver aussi. Parce que ça aussi c’est légitime. Vital même. Oui, il faut du courage pour dépasser les idées bien pensantes et les concepts à la mode. Mais nos dirigeants travailleurs, décideurs de proximité, n’en manquent pas.

Sans en douter, le sujet fera débat… Une nouvelle fois.

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Valérie BIGNÉ Conseil en management et ressources humaines – Sekkoia Consulting, à Tosse © Xavier Sallefranque

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