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[ Nouvelle-Aquitaine ] La Région à la relance, entretien avec Alain Rousset

S’il ne s’est pas encore déclaré candidat aux régionales de juin 2021 et refuse de se prononcer sur la question, le président de la Région Nouvelle-Aquitaine projette la relance économique du territoire sur le long terme, et dans la lignée de la politique qu’il mène depuis 23 ans. Alain Rousset nous décrit les moyens alloués, les stratégies engagées et les secteurs qui devraient être les locomotives du développement économique néo-aquitain dans les années à venir. Entretien.

Alain Rousset

Alain Rousset, Président de la Région Nouvelle-Aquitaine © Atelier Gallien / Echos Judiciaires Girondins

Échos Judiciaires Girondins : Avec la crise sanitaire, la récession est vertigineuse. Quels seront les moyens de la relance économique en 2021 en Nouvelle-Aquitaine ?

Alain Rousset : « Il faut d’abord noter le paradoxe de cette crise. D’un côté son aspect anxiogène, et l’inquiétude de nos concitoyens, notamment les jeunes, face au risque de rémanence du virus. Une situation qui engendre la nécessité, pour les pouvoirs publics, de réajuster en permanence nos actions d’accompagnement et de solidarité. Et d’un autre côté, nous n’avons jamais eu autant de dossiers d’investissement dans les entreprises en Région Nouvelle-Aquitaine, avec 2 600 entreprises accompagnées chaque année (hors agriculture). À tel point que d’ici l’été, on aura déjà consommé 70 % de notre budget Entreprises de près de 100 millions d’euros sur l’année 2021 (sur un budget de 400 millions d’euros dédié au développement économique de la Région). Environ 2 % de ces dossiers doivent être financés dans le cadre des appels à projets de l’État (le budget actuel d’aides à l’investissement des entreprises validé par le ministère de l’Industrie est autour de 16 millions d’euros pour la région Nouvelle-Aquitaine) et nous espérons que cette part va pouvoir être augmentée.

Sur le plan industriel, il faut rappeler que nous avons créé, en 2019 en Nouvelle-Aquitaine, 36 % de l’emploi industriel net de France, et consacré un budget annuel de 73 millions d’euros aux aides directes aux entreprises.

Enfin, l’Europe devrait, dans le cadre du programme REACT EU 2021-2022, mettre à disposition de la France 40 milliards d’euros, dont environ 210 millions d’euros pour la Nouvelle-Aquitaine. »

 

EJG : Quels seront les moteurs de cette relance dans la Région ?

Alain Rousset : « La diversité de nos entreprises, mais aussi l’écosystème de confiance créé entre la Région et le monde économique et industriel, nous ont permis de mieux résister à la crise que d’autres. Avoir une économie très diversifiée permet la résilience, car tous les secteurs ne sont pas atteints de la même manière. Deuxièmement, il faut être en avance de phase, anticiper ce que souhaite la société pour demain. Dans le secteur de l’agriculture par exemple, qui est pour moi une priorité puisque nous sommes la première région agricole en valeur, le développement de la transition agro-écologique va nous permettre de relocaliser les emplois industriels et en même temps, de sortir des pesticides et du glyphosate. Le monde agricole est en train de repenser, accompagné par la Région, ses modes opératoires. Il y a un enjeu de création d’activité, de conseil, de développement, d’agriculture de précision, de sauts technologiques sur des produits qui ne seraient pas de chimie fossile, mais de chimie végétale, comme ce que propose l’entreprise De Sangosse, à Pont-du-Casse près d’Agen. L’un des enjeux de l’action régionale, c’est d’accélérer les autorisations de mises sur le marché de ces nouveaux produits. »

Notre économie très diversifiée nous a permis de mieux résister à la crise que d’autres régions

Alain Rousset, Président de la Région Nouvelle-Aquitaine

Alain Rousset, Président de la Région Nouvelle-Aquitaine © Atelier Gallien / Echos Judiciaires Girondins

EJG : La transition écologique doit-elle rester la priorité ?

Alain Rousset : « Le défi qu’on se fixe au niveau du Conseil régional se résume dans ce modèle vertueux en trois points : création d’emplois, création d’entreprises et transition écologique. Il faut vraiment profiter de cette période pour réaliser cette translation vers une société qui est attentive au réchauffement climatique et le faire vite.

Attendre 2050 pour avoir zéro carbone, c’est beaucoup trop tard. D’où l’idée de la feuille de route Néo-Terra, qui a fait basculer toutes nos politiques par rapport à la transition écologique. On s’est fixé à nous-mêmes des contraintes et des exigences pour accélérer cette transition d’ici 2030, et ça reste la priorité, la pandémie l’a confirmé. Une priorité qui est autant sociale, économique, qu’environnementale. Dans le domaine de la transition énergétique, nous avons plusieurs projets industriels structurants, comme le consortium Batteries, par exemple, avec la première usine de fabrication de batteries électriques pour voitures qui va s’installer à Nersac, près d’Angoulême. Nous avons aussi créé un campus de formation et de conception du ferroviaire de demain, à Saintes, Ferrocampus, qui répond à un enjeu national. »

 

EJG : Sur le plan industriel, justement, quels sont les axes de la relance ?

Alain Rousset : « Nous avons un défi de souveraineté intelligente, c’est-à-dire comment réacquiert-on des compétences technologiques et comment les transforme-t-on en usine pour ne pas être dépendant des autres ? Comment la commande publique génère-t-elle des technologies et des emplois industriels vertueux ?

Cela suppose à chaque fois des sauts technologiques, c’est pour cela que nous développons les deeptech. Nous travaillons pour réacquérir des compétences sur les bases de médicaments, sur l’électronique, le marché du vélo, le matériel agricole… Nous avons aussi beaucoup de dossiers très intéressants dans le domaine agroalimentaire, qui visent à réorienter les produits vers une démarche environnementale et sanitaire extrêmement performante. Nous avons le solaire, avec l’entreprise Fonroche, par exemple. Nous sommes la première forêt d’Europe, nous avons donc le secteur du bois, qui concerne le papier, le carton, la construction, le bois énergie, et c’est aussi la chimie verte de demain… Plus on se développe en spécialités, plus on est efficace.

Tout cela suppose une diversification de nos sous-traitants, et d’avoir une vraie stratégie de coopération industrielle. Nous sommes attentifs à une stratégie filière, à tout ce qui concerne le transfert de technologies et les plateformes technologiques (sur les matériaux, le numérique, l’optique laser) qui permettent de ressourcer technologiquement nos entreprises. Tout cela en lien avec les activités de recherche et de formation. La force de la Région, c’est de coupler les sauts technologiques, la formation des salariés et l’accompagnement à l’investissement des entreprises. Cette connaissance intime du monde économique, du tissu industriel, et son orientation vers l’aspect humain est extrêmement efficace, cela a un effet de levier assez démultiplicateur sur les stratégies industrielles. »

Sur l’aéronautique, nous avons engagé tout un travail de diversification.

EJG : Prévoyez-vous des actions particulières en faveur de l’aéronautique, durement touchée ?

Alain Rousset, Président de la Région Nouvelle-Aquitaine

Alain Rousset, Président de la Région Nouvelle-Aquitaine © Atelier Gallien / Echos Judiciaires Girondins

Alain Rousset : « Tout d’abord, il faut noter une remontée des cadences de fabrication de l’A320 chez Airbus, avec la reprise du marché chinois. Ensuite, sur l’aéronautique, nous avons engagé tout un travail de diversification. Nous avons mis en place un groupe de travail avec une quinzaine d’ingénieurs issus de nos entreprises pour voir sur quels secteurs l’aéronautique pourrait fonctionner.

Il y a par exemple la fabrication de pièces destinées aux vélos assistés par électrique, y compris le vélo cargo. Il y a un autre secteur important qui est celui de l’instrumentation médicale. Il y a tout un travail stratégique de réflexion, de filière sur le monde de demain. De quoi a-t-on besoin, notamment par rapport à la transition environnementale et écologique ? Il y a des enjeux d’investissement en R&D, en innovation. Tout cela va entraîner des sauts technologiques dans chacune de ces entreprises parce que l’enjeu pour la filière aéronautique, c’est de passer à l’avion vert. »

 

EJG : Le tourisme, autre pilier de l’économie régionale, est totalement sinistré. Envisagez-vous des mesures spécifiques ?

Alain Rousset : « Le tourisme, l’hôtellerie, la restauration doivent faire l’objet d’une attention particulière. La difficulté pour ces secteurs qui concernent l’accueil public, c’est qu’il est évident que les règles barrières vont perdurer.

Ce que l’on avait fait l’année dernière pendant l’été, avec la participation des Départements et de l’Agence nationale des chèques vacances, et qui avait particulièrement bien marché pour plus de 30 000 familles, c’était un chèque vacances jusqu’à 400 euros pour les personnes en deçà d’un certain seuil de la CAF. On sait que 70 % de ceux qui ont bénéficié de ces chèques les ont dépensés dans le territoire de leur département. Ça a favorisé le tourisme local. Donc on va le reproduire cette année. »

 

EJG : Concernant la culture, la Région souhaitait se positionner en pilote dans la réouverture des lieux culturels. Où en est-on ?

Alain Rousset : « Il faut d’abord rappeler que le nombre de personnes qui travaillent dans le domaine culturel est considérable en France, avec environ 1,6 million d’emplois à l’échelle nationale.

Nous avons donc proposé à Roselyne Bachelot un protocole adossé à un logiciel qui permet de « dérisquer » la réouverture des salles en cas de survenue de virus. Ce logiciel « Opéra », basé sur de l’intelligence artificielle et développé par l’Université du Mans, prend en compte un certain nombre de critères, comme la ventilation de la salle, le nettoyage des portes, les files d’attente, la jauge, etc. Nous attendons désormais la décision de la ministre.

Nous avons également maintenu, en 2020, toutes nos aides aux événements culturels et aux associations culturelles et sportives, même sans service fait, car la loi nous y autorisait. Et nous attendons le bout de loi qui va nous permettre de le faire en 2021. »

 

EJG : La cybersécurité est devenue un secteur-clé avec la crise, comme l’a montré la levée de fonds record réalisée par Tehtris sur le territoire en 2020. Prévoyez-vous de le pousser en 2021 ?

Alain Rousset : « La cybersécurité est un sujet important. Nous avons d’ailleurs une feuille de route qui prévoit la création d’un cluster cyber et une nouvelle réunion de travail est prévue le 12 mars. Nous avons sur le territoire des entreprises, des laboratoires comme l’Inria, nous avons structuré, depuis 20 ans, cette conjonction entre le monde de la recherche, les technologies de demain et les entreprises de demain. C’est aussi valable pour tout ce qui concerne le quantique, dont le hub NaQuiDis (voir les EJG du 12 février) a été officiellement lancé le 4 mars.

Si l’on veut préparer le monde de demain, et c’est ce que nous faisons en Nouvelle-Aquitaine depuis longtemps, il faut penser plus loin, plus juste et plus écologique. Mais aussi plus efficace. C’est ma bataille pour la mise en œuvre d’une vraie stratégie pour des pouvoirs publics français de proximité, efficaces. »

 

EJG : Quels autres secteurs pourraient tirer l’économie ?

Alain Rousset : « Il y a un projet sur lequel je voudrais insister, parce que c’est peut-être une réussite tout aussi importante qu’AéroCampus : il s’agit du pôle cuir de Thiviers-Mont-bron-Saint-Junien. C’est un projet qu’on a fomenté depuis longtemps, quand l’entreprise Repetto avait des problèmes de recrutement, on a imaginé ouvrir un lycée dédié à ces métiers du cuir et du luxe en pleine zone rurale. On constate aujourd’hui une certaine attractivité, comme à Saint-Junien avec Hermès, et de nombreuses petites entreprises arrivent. On a embarqué dans ce pôle cuir les agriculteurs, qui accompagnés par les vétérinaires vont avoir des élevages dont le cuir pourra être utilisable au lieu de l’importer. C’est extrêmement intéressant parce qu’on mélange à la fois l’accompagnement d’entreprises, un secteur en croissance qui suppose des compétences exceptionnelles, et le monde agricole. Donc une espèce d’écosystème de valeurs se met en place, du monde agricole jusqu’aux sacs à main que vous achetez à Saint-Junien. »

 

EJG : Quels pourraient être les freins à la reprise, selon vous ?

Alain Rousset : « Un problème va se poser, toutes entreprises confondues, qui est celui de l’endettement : c’est le déséquilibre entre le capital de l’entreprise, ses fonds propres, et sa dette. Nous menons donc actuellement toute une réflexion avec les instances nationales pour voir comment transformer certains PGE en fonds propres ou en quasi-fonds propres, pour mieux valoriser l’actif des entreprises. Mon souci, c’est bien entendu de ne pas déstabiliser les créateurs de ces entreprises.

La mise en place des PGE, tout comme le financement du chômage partiel de longue durée étaient indispensables. Mais la question, désormais, c’est comment on sort de tout cela ?

Nous avons d’ailleurs mis en place un fond de rebond de 20 millions d’euros avec les banques, qui elles ont mis 80 millions d’euros, pour accompagner les entreprises qui sont sous les écrans-radars de l’État. On attend de savoir si Bercy va participer à ce fonds, qui vise justement ce rééquilibrage entre fonds propres et dette des entreprises. Il y a une vraie stratégie fonds propres à avoir. »

 

EJG : Cela fait 23 ans que vous dirigez la Région. Que vous reste-t-il à faire ?

Alain Rousset : « L’action publique n’est jamais terminée. La société est toujours en mouvement, donc le monde économique doit être en mouvement. La capacité d’initiative, d’innovation que l’on a au niveau de la Région, vient de la confiance du monde économique. Donc nous allons continuer sur la même lancée : accompagner l’investissement et l’innovation. Anticiper, trouver les chemins les plus accélérés possibles vers une transition environnementale, former, s’adosser à la recherche et au transfert de technologies. »

Avec le projet « One health », nous voulons rapprocher santé humaine, santé animale et santé végétale.

EJG : Quels secteurs sont encore à développer ?

Alain Rousset : « Le secteur de la santé m’interpelle beaucoup. Parmi les projets qu’on a lancés, un des plus signifiants est le projet « One health » (« une seule santé »), sur lequel nous travaillons avec CEVA Santé Animale, et qui veut rapprocher santé humaine, santé animale et santé végétale. C’est très dynamique pour le monde de la recherche. C’est aussi dans ce cadre que nous menons un travail sur la création d’une cinquième école vétérinaire en France, à Limoges, pour permettre la transition agro-écologique, notamment dans l’élevage. Nous poursuivons également la mise en réseau et en dynamique, avec la création d’un réseau régional autour du cancer avec les CHU de Poitiers, Limoges, Bordeaux et les start-ups ; ou la création d’un écosystème autour du vieillissement : le Gérontopole. Par ailleurs, nous regardons comment on va pouvoir industrialiser l’énergie hydrogène. Parce qu’il faut à la fois la produire, produire de l’hydrogène vert, le stocker. C’est notamment le projet Flying Whales : la Région est au capital (à hauteur de 10 millions d’euros) de cette révolution du transport de charges lourdes. Je pense qu’il va aussi y avoir des bouleversements autour des technologies vertes, des emplois verts… »

 

LGV : LA BATAILLE VERS LE SUD

« Il y a des résistances. Mais la bataille, aujourd’hui, c’est de poursuivre vers le sud la ligne à grande vitesse ou au moins de créer une deuxième ligne ferroviaire en direction de l’Espagne, via Hendaye », assure Alain Rousset. Et cela pour mettre les poids lourds qui empruntent l’ex-Nationale 10, partie la plus polluée de la Région, sur des trains, « comme on le fait entre l’Italie et la France, ou entre la France et l’Allemagne ». Côté financement, « il devrait avoir pour ce projet un type de financement totalement différent, avec des sociétés de projets, sur le modèle du Grand Paris », explique-t-il. Une manière également de réduire le trafic aérien entre la France et l’Espagne et son impact carbone.

LOI NOTRE : BILAN POSITIF

Si la loi NOTRe de 2015 a permis de « clarifier et de renforcer les compétences des Régions », estime Alain Rousset, elle a aussi abouti en Nouvelle-Aquitaine à la création de la plus grande région de France. « Il y a eu, au départ, des inquiétudes, parfois même de la rancœur. Mais je pense aujourd’hui, c’est un succès. Les moyens de la Région sont déployés partout. Nous avons doublé le nombre d’accompagnement d’entreprises en Poitou-Charentes et en Limousin. (…) La loi NOTRe nous a aidés à nous fixer des priorités », analyse Alain Rousset, qui dirige la grande Région depuis maintenant six ans. Et si « tout n’est pas réglé, reconnaît-il, politique territoriale a mobilisé plus d’un milliard d’euros à partir de 200 millions d’euros de la Région » et « il me semble qu’aujourd’hui, retours sont plutôt positifs tranche-t-il.