L’ancienne étable de ses grands-parents maternels se mue peu à peu cet automne en showroom pour ses escaliers, portails, garde-corps et autres éléments de décoration sur mesure, à base de métal. L’atelier Lo Design, créé en 2017 par Fabrice Labadie, œuvre, notamment en lien avec les architectes, jusqu’à la côte landaise dans de belles maisons d’Hossegor et même, une fois, en Corse.
Si la machine de découpe plasma numérique ne sert pas encore assez à son goût, l’entreprise de ferronnerie représente aujourd’hui 15 % du chiffre d’affaires global du groupe Labadie. Un joli retour des choses alors que son père n’a jamais vraiment su lui transmettre son savoir-faire.
C’est en 1972 que Gérard Labadie s’installe comme forgeron sur la ferme de ses beaux-parents à Gibret pour fabriquer, entre autres, des clôtures et rambardes en fer forgé. Très vite, avec la SARL Labadie et son activité de « fabricant et réparateur de matériel agricole », l’entrepreneur travaille sur la conception de machines dédiées à la filière foie gras en ce temps où les oies étaient, dans les Landes, gavées (trois fois par jour), comme les canards (deux fois).
Plumeuse, « trempe guit » et cages collectives
Il invente ainsi une plumeuse, « la Landaise », alors qu’avec l’instauration des quotas laitiers, le canard prend de plus en plus de place dans les revenus agricoles du territoire. Au début des années 1980, il fabrique ses premiers parcs de gavage en 3 x 1 m : « Ils existaient en bois, mais il les a faits en acier galvanisé », rembobine son fils. Et de développer des systèmes de raclage, de ventilation dans les salles de gavage, de brumisation haute pression, etc.
Après les plumeuses, voici le « trempe guit », pour échauder le canard (guit en gascon), une fois mort. De fil en aiguille, les premières cages collectives sortent de l’atelier familial dans les années 1990, à l’ère de l’industrialisation de la filière gras avec gaveuses pneumatiques, loin du gavage traditionnel au maïs grain entier.
Fabrice Labadie, lui, s’est installé très tôt, à tout juste 21 ans, comme éleveur laitier, suivant la tradition côté maternel. Si ses grands-parents qui lui ont appris l’occitan, avaient une vingtaine de vaches laitières, lui est monté jusqu’à 90 mères et plus de 200 bêtes, laitières et à viande, à Gibret et Pomarez. Dans le bâtiment de volailles qu’avait monté sa mère, il crée un atelier d’engraissement pour ses bovins. « J’avais un gros troupeau, mais je suis allé trop loin. J’étais passionné mais tout seul, c’était trop, et trop compliqué. » À partir de 2008, l’année où a été développée l’activité de blindage de tracteurs forestiers multimarques par Les Labadie, il cumule même l’élevage et son entrée dans l’entreprise de matériel avicole. « C’était deux temps pleins ! » Au bout de cinq ans, il s’impose et reprend la gérance : « Il y avait longtemps que mon père voulait arrêter, j’ai ouvert la porte… », confie-t-il. Aujourd’hui, père et fils sont toujours associés, avec les trois sœurs de Fabrice Labadie qui détient désormais 84 % des parts et a racheté la maison de famille. Son idée ? Y loger des salariés ou apprentis pour faciliter les recrutements de gens qualifiés (« proposer un logement, ça peut aider sur du temps court ») et mettre aussi « des équipements et machines de sport à disposition entre midi et deux » pour améliorer la vie au travail. 17 salariés composent l’équipe particulièrement polyvalente aujourd’hui, contre sept quand il a débuté. Car Fabrice Labadie a également créé en 2022 une autre entreprise, BâtiUp, pour la construction et la rénovation métallique de bâtiments industriels et avicoles.
« Constamment s’adapter »
« Quand on ne prend pas de risque, on n’est pas secoué mais on ne va pas loin. J’essaie de faire en sorte que l’entreprise se démarque », avance ce diplômé en BTS agricole, membre du Centre des jeunes dirigeants (CJD) des Landes qui l’a « fait sortir de (s) on confort ».
Avec une trésorerie tendue, Fabrice Labadie, également sentinelle pour l’association d’aide aux chefs d’entreprise en détresse Apesa, n’est pas du genre à fanfaronner : « On avance, il faut rester humble. Quand on voit France Inox à Saubusse [cuisines professionnelles et conception de mobilier urbain, NDLR] qui vient de déposer le bilan, ça calme. Ça repart bien, mais on a passé quelques moments compliqués. »
Entre les difficultés de paiement des clients, la baisse d’activité sur la forêt qui se répercute sur ses habillages de tracteurs, la « concurrence acharnée » des équipementiers des coopératives agricoles, le fait qu’on doive « refuser parfois du travail par manque de main-d’œuvre », il faut savoir « constamment s’adapter », dit-il, toujours à la recherche d’un chaudronnier et d’un électromécanicien.
Au moment des crises aviaires des dernières années qui ont impacté durablement la filière, faisant « beaucoup de mal » à son entreprise de matériels avicoles, après le chômage partiel de la première année, Fabrice Labadie a mis, entre autres, ses salariés au montage/démontage de portique de lavage de voiture jusqu’en Charentes et à Montpellier avec la société Washtec, un leader du secteur. « Quand on nous demande, on y va toujours, l’équipe part plusieurs jours. On est hyper polyvalent. »
Nettoyage à ultrasons
Et Labadie Solutions métalliques qui s’est offert un nouveau logo l’an passé, continue d’innover pour toujours capter d’autres marchés. Dernièrement, l’entreprise a sorti une toute nouvelle machine nettoyeuse de matériel d’élevage, économe en eau, un projet sur lequel Fabrice Labadie a planché pendant 10 ans. « Des machines à ultrasons servent à nettoyer et dégraisser des pièces métalliques sorties d’usine, chez les garagistes ou encore pour du matériel médical et paramédical. L’innovation a été d’adapter ce système au monde agricole avec des paniers inox qui permettent d’y positionner du matériel d’élevage. » Pour cela, il s’est intéressé notamment à une société espagnole et à Tierra Tech, spécialisée dans la fabrication et la distribution de machines de nettoyage par ultrasons, à Mérignac (Gironde), avant de faire de nombreux essais ici dans des élevages avec le concours du technopôle Agrolandes, basé à Haut-Mauco. De quoi faciliter encore le métier d’éleveur. « Fini le nettoyage à l’éponge comme on le faisait quand j’étais étudiant. Avec très peu de manutention grâce à un treuil électrique, la machine à ultrasons nettoie beaucoup mieux qu’à la main ou au Kärcher. Et c’est économe en eau, avec un bain pouvant être utilisé plusieurs fois. »
La fédération des Cuma 640 (coopérative d’utilisation de matériel agricole Béarn, Landes, Pays basque) a acheté la première machine aux 600 litres de contenance qui peut donc tourner de ferme en ferme, permettant de nettoyer tout le matériel d’une chaîne d’alimentation d’un prêt à gaver, « en quatre heures au lieu de quatre jours ».
« Quand on ne prend pas de risque, on n’est pas secoué mais on ne va pas loin. J’essaie de faire en sorte que l’entreprise se démarque »
La relève ?
Dans cet agenda surchargé, Fabrice Labadie continue en tout cas à suivre le cours du lait. « Dans deux ans, il n’y aura plus de vaches sur la commune et il reste quatre ou cinq éleveurs laitiers sur le canton », se désole-t-il, toujours inquiet du devenir de l’agriculture française après les paroles des hommes politiques sur l’indépendance agricole pendant le covid, lui qui espère « une petite rébellion des consommateurs qui ont un poids phénoménal ».
Reprendre des vaches sur ses terres titille souvent le quasi-quinquagénaire qui n’élève plus de bêtes depuis 10 ans et termine bientôt ses cultures de maïs, tournesol et colza : « Je sais qu’il ne me faudrait pas grand-chose pour me retrouver à la tête d’un troupeau ! »
Quoi qu’il en soit, ses enfants commencent à s’intéresser à l’entreprise familiale. « Ma fille de huit ans a dit qu’il fallait que ça reste dans la famille. Et mon fils en bac pro modélisation dessin industriel au lycée Gaston-Crampe, à Aire-sur-l’Adour, qui n’en avait rien à cirer de la boîte, a vu qu’on faisait des choses très différentes lors du dernier salon de l’habitat… » Mais ne comptez pas sur Fabrice Labadie pour leur faire du chantage affectif : « Ils feront exactement ce qu’ils ont envie de faire ! »
En chiffres
1,5 million d’euros de chiffre d’affaires sur l’exercice 2023-2024 (jusqu’à 3,60 millions d’euros les années exceptionnelles). Objectif à 2 millions d’euros pour l’année prochaine
Les trois sociétés du groupe Labadie (17 salariés) :
– Labadie Solutions métalliques (70 % du chiffre d’affaires) : spécialiste des équipements avicoles, blindage complet ou partiel de tracteurs, pièces métalliques sur mesure adaptées aux besoins des industries
– Lo Design (15 %) : métallerie serrurerie pour escaliers, portails, claustras et mobilier sur mesure en métal
– BâtiUp (15 %) : construction et rénovation métalliques de bâtiments industriels et avicoles.