Couverture du journal du 06/04/2024 Le nouveau magazine

Interview avec François Garrain, président de Musicalarue : la voix de l’indépendance

Prévu du 29 au 31 juillet, Musicalarue, l’atypique festival de Luxey au milieu des pins de Haute Lande, cultive sa différence face aux mastodontes du secteur musical. Rencontre avec son président, François Garrain.

Francois Garrain, président de Musicalarue

Francois Garrain, président de Musicalarue © Jpeg Studios

Les Annonces Landaises : À quelques jours de la 32e édition, comment se présente le festival ?

Francois Garrain : Par définition, l’événementiel est plein de surprises. Ce n’est pas la période que nous traversons qui dira le contraire, du contexte géopolitique au climat actuel sur les piqûres sauvages dans les concerts ou la situation sanitaire. On aimerait rester au présent au jour le jour, mais être organisateur nous oblige à nous projeter. Les gens sont vaccinés, ils ont pris des habitudes sur les distances, il faudra les remettre au goût du jour même si notre festival en plein air, dans les pins, offre les conditions les plus adaptées. En plus des contrôles à l’entrée pour sécuriser le site, nous faisons aussi beaucoup de prévention, notamment avec notre brigade, « les Champêtres », une cinquantaine de bénévoles à l’écoute, en relais, auprès des festivaliers.

En même temps, ce besoin incalculable de faire la fête, de vivre ensemble des joies collectives, c’est ce à quoi les gens aspirent. Nous sommes des marchands de bonheur, il faut qu’on joue notre rôle ! Et ici, les curieux sont toujours récompensés, avec énormément de choses à découvrir, des musiques du monde, des artistes émergents, des arts de la rue, pour une alchimie qui offre de belles émotions.

LAL : Pourquoi avoir réduit la jauge de 5 000 spectateurs chaque soir cette année ?

F.G. : En passant de 20 000 à 15 000 personnes par soir, il s’agit d’adapter le format à ce cœur de village pour mieux le valoriser et le mettre en lumière, les villageois [700 âmes, NDLR] sont contents ! L’idée est aussi de mieux bichonner le festivalier. Une façon de protéger l’événement sur la durée et faire que ceux qui viennent, trouvent de bonnes conditions pour se garer, aller et venir… On ne sombre pas dans le gigantisme, on veut protéger la qualité de ce projet, son authenticité. Notre association est à but non lucratif, ce festival n’est pas là pour faire du profit, même si gagner de l’argent n’est pas un sacrilège. Notre objectif est que notre projet gagne en qualité et se densifie à l’année. Le festival n’a de sens que parce qu’il permet des actions culturelles à l’année sur notre territoire, jusqu’au domicile des habitants et y compris vers des publics pas solvables comme en centre pénitentiaire. Côté salle de spectacles à l’année, il faut qu’on nous aide un peu plus pour la faire vivre sans jouer à la roulette russe l’été, tout en faisant quelques économies. Des investissements sont portés par la communauté de communes Cœur-Haute-Lande, pour éviter de louer du matériel à l’année. On espère aussi un coup de main des grandes collectivités locales.

Nous sommes co-responsables de l’attractivité du territoire avec les chefs d’entreprise

GRANDS NOMS, ARTISTES ÉMERGENTS, MUSIQUES DU MONDE ET ARTS DE LA RUE

Dans ce grand barnum singulier et stimulant, la programmation est toujours riche, éclectique et multiculturelle, mix de grands noms et de talents émergents. Cet été, au menu : Bernard Lavilliers, Angèle, Ibrahim Maalouf, ou encore Ladaniva (chant traditionnel arménien et jazz), Chico Trujillo (« des Manu Chao chiliens »), les Japonais ambiance techno ultra-moderne de Makoto San, ou les Gascons-Béarnais de Nadau… Avec du théâtre de rue, de la danse, du cirque, des clowns et des fresques, près d’une centaine d’artistes se relaieront pendant trois jours, de la scène Saint-Roch au théâtre de verdure, de l’espace pin à la cour des poulaillers. Le petit village de Haute Lande ne dormira donc pas de 15 h 30 au petit matin, du 29 au 31 juillet. Réservations sur www.musicalarue.com

LAL : Financièrement, le projet est-il à l’équilibre ?

F. G. : Dans le prix du billet, des boissons, du sandwich, tout a été réfléchi pour que le festival soit accessible au plus grand nombre. Nous défendons une certaine conception de la fête et de la culture. Luxey est, par exemple, un des derniers festivals où le camping est gratuit.

À nous de réussir à joindre les deux bouts. Dans des conditions normales, on est à l’équilibre. Aujourd’hui, la période laisse de l’incertitude, mais la dynamique de vente de billets est honorable, il faut que ça continue jusqu’au bout. Jusqu’à maintenant, nous étions obligés d’aller sur des jauges de public très importantes pour boucler notre histoire. On espère montrer en 2022 que notre modèle tel qu’on le conçoit peut avoir sa place et respecter ces équilibres. Aux uns et aux autres de confirmer ce coup d’essai pour ce festival qui ne ressemble à aucun autre.

Francois Garrain, président de Musicalarue

Francois Garrain, président de Musicalarue © Jpeg Studios

LAL : Quelles sont les pistes pour asseoir votre modèle ?

F.G. : Nous espérons développer le mécénat culturel à l’année, pour « naviguer en père peinard ». Nous sommes déjà très accrochés au territoire avec des entreprises de proximité, grandes ou petites. Tout le monde a envie que ce territoire soit porteur d’une dynamique économique. Nous sommes co-responsables de l’attractivité avec les chefs d’entreprise. Quand je suis invité à des moments de partage d’expérience avec des cadres ou entrepreneurs, on se sourit parce qu’on voit qu’on a des objectifs communs. Il nous faut être complémentaires. Ceux qui entreprennent ont compris que le bon fonctionnement d’une entreprise dépend des salariés et pour faire venir des gens sur nos territoires enclavés, il faut séduire. Si le travail et les conditions de travail sont essentiels, il y a aussi des satellites importants à mettre en orbite comme les établissements scolaires, l’offre de logement, mais aussi les propositions de culture et de loisirs.

LAL : Tout le monde s’est, depuis des années, habitué aux verres réutilisables, comment aller plus loin dans le développement durable dans les festivals ?

F.G. : La prise de conscience est réelle avec une stratégie et des plans d’action sur les thèmes centraux que sont l’environnement, le développement local. On prévoit de faire des études plus précises sur le bilan carbone, pour définir nos axes de progrès. L’obligation de mieux dépenser est incontestable.

Pour les mégots, des cendriers de ramassage sont prévus pour les retraiter et les transformer en pavés autobloquants

Globalement, il s’agit de répondre à deux dilemmes. Le premier : faut-il dans un petit village en plein massif forestier donner de la vie autour d’un contenu culturel, social et environnemental, sachant qu’on va avoir un impact sur l’environnement avec un bilan carbone pas fameux ? Deuxième dilemme : comment trouver des moyens supplémentaires pour que l’impact soit le moins important, tout en se battant pour sa survie face à la concurrence des grands groupes, comme Vivendi, qui rachètent toutes les grandes manifestations du territoire ? Nous pensons ici avoir une « RSA », une responsabilité sociétale des associations : notre objectif est la culture, le spectacle et l’aménagement culturel du territoire pour que, où que l’on soit, il y ait une proposition culturelle à portée de main.

Musicalarue

© Bernard Mugica

LAL : Concrètement, le développement durable à Musicalarue, cela passe par quoi ?

F. G. : Tout un tas de choses sont faites autour du covoiturage, du transport collectif (avec 5 000 personnes de moins, ça limite les déplacements), de l’énergie (ampoules à LED en quasi-totalité), des économies concernant les ressources naturelles, des déchets. En 2022, on travaille notamment sur les mégots : des cendriers de ramassage sont prévus pour les retraiter et les transformer en pavés autobloquants. Il y a tout un travail en réseau avec d’autres festivals, comme les Francofolies de la Rochelle sur la gestion de la consommation d’eau. Le plus spectaculaire, ce sont les toilettes sèches, avec des milliers de litres d’eau économisés depuis des années. En plus, on les a construites nous-mêmes : il y a plein de choses qu’on peut développer sans dépenser des mille et des cents, surtout avec une jauge rétrécie. Et même au petit coin, on ne laisse pas de répit à la musique : il y a des DJ qui accueillent les festivaliers, et c’est assez original de constater que certains passent presque toute leur soirée là-bas à danser !

EN CHIFFRES

2,5 millions d’euros de budget en 2022

75 % d’autofinancement (billetterie et produits de bouche)

15 % d’argent public et 10 % de mécénat culturel

Plus de 900 bénévoles pour assurer la bonne marche du festival

Des cachets pour les artistes allant de 1 000 euros à 250 000 euros. Après la baisse en 2021 post-Covid, les tarifs des artistes sont repartis à la hausse. François Garrain remercie Angèle qui a maintenu cette année son engagement avorté de 2020 : « Elle aurait gagné beaucoup plus ailleurs (…). On peut imaginer que notre festival a une bonne réputation ! »