Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Guillaume Baudoin : la sobriété, c’est maintenant !

Guillaume Baudoin et Édouard Dequeker cosignent Landes Atlantique Sud à l’épreuve de la sobriété, croître sans s'étendre. Une pierre à un débat fondamental sur l’avenir de ce territoire.

Guillaume Baudoin

Guillaume Baudoin © Xavier Ges

Les Annonces Landaises : Comment est née l’idée de cet ouvrage(1) ?

Guillaume Baudoin(2) : Il y a eu trois éléments générateurs du projet : tout d’abord, ma rencontre avec Édouard Dequeker(3) et nos échanges dans le cadre du projet de territoire de Maremne Adour Côte Sud (Macs). Ensuite, les préoccupations qui remontaient de façon massive de ces débats : la préservation de l’environnement, les inquiétudes face à une urbanisation vécue comme anarchique et exponentielle. Et troisième élément, la loi Climat et résilience et ce fameux article sur le zéro artificialisation nette (ZAN) où nous entendions, chacun dans notre domaine, que c’était une catastrophe. Entre les aspirations des habitants et cette injonction réglementaire, nous avons eu l’envie d’apporter une contribution intellectuelle à ces débats, à travers un livre étayé par les données de ce territoire, mais qui se veut un objet de recherche appliquée, pouvant servir à d’autres. En faisant en sorte que, plutôt que de subir ces questions, nous puissions essayer de faire de ces contraintes une opportunité, et proposer une démarche constructive.

LAL : La communauté de communes Macs s’est déjà engagée sur ces questions. Selon vous, il faut aller plus loin, alors que de nombreux élus sont vent debout contre le ZAN ?

G.B. : On a l’impression que beaucoup de choses ont été faites et se font. Tout est un enjeu de curseur. Avec la loi Climat et résilience, on est entré dans une logique plus contraignante et les élus sont passés de « on fait plein de choses » à des réactions plus clivantes : « on ne pourra plus jamais rien faire, on tue nos territoires. » Pour d’autres, c’était indispensable. Ou on aborde le sujet sous l’angle de la déploration ou on se dit qu’on a toujours été un territoire qui a essayé de proposer des solutions novatrices.

Comment proposer une densité plus intelligente, penser la question de l’eau, des ressources naturelles… Une réflexion peut être menée avec des experts de ces domaines pour que, lorsque l’échéance viendra, on ait déjà une matière à disposition. Le livre s’inscrit dans cette logique, dans ce momentum. On doit diminuer de 50 % notre consommation d’espace entre 2021 et 2031. On avait consommé 700 hectares et donc pour les 10 ans qui viennent, il nous en reste 350. Or, on en a déjà consommé 230. Il en reste 120 pour les huit prochaines années. Il est toujours plus facile de consommer de l’espace que de penser la ville sur la ville, même si on sait que c’est ce qu’il faut faire. Il est difficile de passer aux travaux pratiques, parce que l’extension crée de la fiscalité. Et on reproduit le modèle des années 1980, plutôt que de s’interroger sur le projet de Macs à l’aune du ZAN.

(1) Landes Atlantique Sud à l’épreuve de la sobriété, par Guillaume Baudoin et Édouard Dequeker, aux éditions de l’Aube dans la collection « Bibliothèque des territoires » présidée par Jean Viard

(2) Directeur général des services de la communauté de communes Maremne Adour Côte sud (Macs)

(3) Professeur à la chaire d’économie urbaine de l’Essec

LAL : Comment s’articule votre réflexion ?

G.B. : On propose une méthodologie. Le premier volet est celui du diagnostic. Il est important d’être en résonance avec l’histoire et géographie du lieu. Pourquoi la côte landaise a été préservée par rapport à d’autres. On renvoie à la Miaca(4), aux années de logiques d’aménagement et de préservation. Il est important pour un territoire de voir d’où il vient pour mieux construire où il veut aller.

(4) Miaca : Mission interministérielle pour l’aménagement de la côte aquitaine

Notre modèle actuel qui consiste à créer des zones d’activités économiques (ZAE) est obsolète

LAL : Vous proposez ensuite des solutions pour « croître sans s’étendre », c’est possible ?

G.B. : C’est la deuxième partie.

Il ne faut pas penser les choses de façon silotée : le développement économique, la mobilité, l’aménagement urbain, la question de la gouvernance, mais penser l’ensemble de façon plus globale. Nous connaissons une montée en gamme d’emplois, moins consommateurs d’espace sur le territoire. Notre modèle actuel qui consiste à créer des zones d’activités économiques (ZAE) est obsolète. Nous préconisons un moratoire sur les ZAE. Il faut repenser ces zones, remembrer, densifier. Il faut revitaliser les centres-bourgs avec des commerces, des services pour qu’il y ait un intérêt à vivre dans des zones plus denses. Recréer des logiques d’aménagement avec une fiscalité pensée de façon plus cohérente, et aussi une logique d’intervention de la puissance publique. C’est le cœur de notre livre : considérer que le foncier deviendrait un bien commun, à l’instar de l’air et l’eau, et que la puissance publique en soit propriétaire. Et dissocier la propriété et l’usage, en mettant en place des dispositifs de location comme cela existe déjà, sur le modèle du Bail réel solidaire (BRS). Cette décorrélation entre la propriété et l’usage nous paraît essentielle. En parallèle, nous proposons de travailler sur des formes de densité plus qualitatives en faisant venir des urbanistes, des architectes, pour penser une ville plus attractive, en y intégrant des espaces de respiration, des espaces naturels.

LAL : C’est une révolution que vous proposez ?

G.B. : En laissant faire, la puissance publique construit son impuissance future. Les jeunes ne pourront plus habiter, entreprendre, sauf si leurs parents ont préparé l’avenir. On crée les conditions d’éviction automatique par le prix. Il y aura toujours un marché libre, on ne va pas exproprier, mais il faut arrêter ce modèle qui ne marche plus. Nous pensons qu’acteurs privés, publics, associatifs, ne communiquent pas assez. Or il est fondamental que cette concertation existe : la gouvernance territoriale doit être plus proche des acteurs économiques. Quand on dit aux chefs d’entreprise que le foncier n’est plus à vendre, que le modèle économique a changé, il faut accompagner ces questions-là. Tout comme il y a une appréhension face aux formes urbaines plus denses. Quand on se retrouve avec un immeuble qui a une vue plongeante sur votre jardin, il est normal de considérer que vos conditions de vie se dégradent. Toutes ces questions doivent être concertées, grâce à des espaces de discussion pour que les consciences changent. D’où la nécessité de penser sur le long terme. Et pas sur l’échéance d’un mandat, même si je comprends la difficile mission des élus qui doivent aussi répondre aux attentes de court terme sur les besoins de logements et de foncier.

Le cœur de notre livre : considérer que le foncier deviendrait un bien commun, à l’instar de l’air et l’eau, et que la puissance publique en soit propriétaire

LAL : Vous préconisez un renforcement du pouvoir des intercommunalités. Cela va faire grincer des dents.

G.B. : Nous proposons une montée en puissance des intercommunalités qui pour nous, sont des espaces de projets, avec un chapitre sur l’amélioration de l’action publique locale et la manière de l’améliorer, avec l’élection au suffrage universel direct du président et de l’exécutif sur un projet. Que ce ne soit pas seulement la somme des volontés communales. C’est la bonne échelle pour penser ce type de sujets : la densification des centres, l’activité économique, l’enseignement supérieur, les transports, la maîtrise foncière.

Nous proposons une montée en puissance des intercommunalités qui pour nous, sont des espaces de projets

LAL : Ne craignez-vous pas un procès en légitimité en publiant ce livre ?

G.B. : Je me sens concerné. J’habite ce territoire et si mes enfants me demandent un jour ce que j’ai fait, j’aurai au moins essayé de contribuer à une réflexion qui me paraît fondamentale. Je ne suis pas le porte-voix de la communauté de communes, même si je peux revendiquer une totale loyauté à ma fonction. Pierre Froustey [président de Macs, NDLR] a d’ailleurs signé la préface. Mais les propos de ce livre n’engagent que leurs auteurs. Et ce qu’on dit, c’est que si on ne fait rien, ce sera plus douloureux et ce qui se passe au Pays basque devrait nous alerter. Notre société est déjà très clivée. Il y a eu le mouvement des Gilets jaunes, parti de ce modèle d’extension urbaine, avec des gens qui devaient prendre leur voiture alors que le prix des carburants explosait. Les tensions sociales sont déjà à l’œuvre et si les élus ne proposent pas de modèle alternatif, les transitions se feront dans la douleur. Le pétrole va continuer d’augmenter, la crise climatique s’aggraver. Je pense que la noblesse des élus c’est d’aller à l’encontre des besoins de court terme pour essayer de penser le moyen terme et le long terme. Je n’ai aucune velléité politique. J’écris en mon nom et ce sont des sujets qui me passionnent.