Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Le retour des épiceries mobiles

De la côte à Mont-de-Marsan, du Pays d’Orthe à la Chalosse… Des épiceries mobiles ont fleuri dans les Landes grâce à l’envie de jeunes femmes engagées, de partager des productions locales, bio ou en vrac, afin d’offrir à leur clientèle une alimentation de qualité. Un modèle économique pas si simple à faire vivre.

Julie Lequime, épiceries mobile

Julie Lequime © Jpeg Studios

En 2016, elles ont été les premières à relancer, dans les Landes, le concept d’épicerie mobile qui était banal il y a une cinquantaine d’années dans les campagnes où le camion boulangerie, celui des surgelés ou de la crèmerie, passait régulièrement devant les maisons, avec le coup de klaxon pour annoncer sa présence.

LA VRAC-MOBILE SUR LA CÔTE LANDAISE

Léa et Océane se sont rencontrées à la Surfrider Foundation à Biarritz, où elles ont appris à réduire leurs déchets au quotidien. L’idée a germé de proposer des produits en vrac pour faire la chasse aux plastiques et emballages, en mettant l’accent sur la qualité et la provenance. Elles se mettent alors à parcourir les marchés d’Hendaye à Seignosse, avec leur Vrac- Mobile qui s’est aussi sédentarisée en boutique au marché de Capbreton, les mardis, jeudis et samedis matin. Depuis deux ans, Léa Gazagne poursuit l’aventure seule. Cet automne, elle a arrêté la tournée de son Renault Master sur les marchés pour se concentrer sur la boutique capbretonnaise et la livraison de commandes passées sur son site internet.

épiceries mobile

Léa Gazagne ©JD

Agriculture biologique artisanale

« On allait dans les terres, les villages ruraux un peu abandonnés, mais ça ne marchait pas trop. On a préféré travailler l’e-commerce qui est entré dans les mœurs et demande moins d’énergie. C’est surtout une question économique : la réparation de mon camion mangeait toute ma marge. Quand il tombait en panne, je n’avais pas de plan B. Mes 400 références sont impossibles à transporter autrement ! » La majorité de ses produits sont issus de l’agriculture biologique artisanale, sélectionnés pour la plupart auprès d’artisans, agriculteurs ou producteurs du Sud-Ouest (brasseurs bio de la côte landaise, piment d’Espelette, déodorant coco fabriqué à Pau, farine bio de Montclar-Lauragais en Haute- Garonne…), ou en Espagne comme pour les tagliatelles de Navarre.

Si les mois de confinement ont été profitables à sa petite entreprise, le marché se tend ces derniers mois, une situation que Léa Gazagne attribue au contexte ambiant, entre craintes sur le pouvoir d’achat et retour vers les supermarchés discount. « La réalité, c’est beaucoup de travail pour peu de revenus, il faut avoir les reins solides et l’envie », dit-elle, heureuse de s’être créé « un travail qui respecte ses valeurs », pas celle de la grande distribution. Car toutes les Landaises qui ont ouvert leur épicerie mobile tiennent ce discours : « Avoir son camion vrac, bio ou de produits locaux participe d’une philosophie de vie. »

 

Julie Lequime

Julie Lequime © Jpeg Studios

Avoir son camion vrac, bio ou de produits locaux participe d’une philosophie de vie

Après deux années de ses « Merveilles d’Alice » dans le Seignanx, Alice Dubré a vendu en 2019 son ancien camion EDF, pas assez rentable pour un travail six jours sur sept pour cette mère de deux enfants, avant de repartir dans l’enseignement. « Mais je suis contente de l’avoir fait. Ça a éveillé des consciences et créé un élan collectif : depuis, il s’est créé deux épiceries participatives, à Biarrotte et Orx, où chacun donne de son temps pour tenir le commerce. Je leur ai donné tous mes contacts de producteurs locaux, je n’en retire aucun profit, mais ça fait plaisir de voir que ça continue sous une autre forme ! »

GEORGES, LE PETIT MAGASIN GÉNÉRAL MONTOIS

Depuis trois ans, Julie Lequime vit, elle, avec Georges, son camion- épicerie, à Mont-de-Marsan et dans les villages alentours selon les jours (marché de Labastide- d’Armagnac, devant la boutique PasKap de Labrit, la salle des fêtes de Mazerolles…). Cette ancienne spécialiste de la promotion du tourisme au conseil départemental a ainsi « voulu faire sa part », comme dans la fable écologique du colibri. « La Vrac- Mobile m’a inspirée. Mais moi je n’étais pas sur la côte, je ne pouvais pas faire que du vrac. J’ai donc créé le plus petit supermarché mobile qui propose de tout, en restant sur des produits locaux à moins de 150 km d’ici, incluant le frais et les fruits et légumes ».

Je ne négocie jamais avec les producteurs. On s’est beaucoup trop habitués à se nourrir pour le moins cher possible, il y a tout un réapprentissage à faire

Un « drive éthique »

L’entrepreneuse du Petit magasin général ne négocie jamais avec les producteurs : « Chacun établit le juste prix. On s’est beaucoup trop habitué à se nourrir pour le moins cher possible, il y a tout un réapprentissage à faire sur la notion de juste prix pour vivre de son travail ». Ici, pas de promo au moment des soldes et son Peugeot J9 de 1986, ex-camion de boucher et de fromager, est toujours fourni en huile de tournesol locale, « pas du tout impactée par les mouvements mondiaux ».

épiceries mobile

© Jpeg Studios

Globalement, « c’est un peu sur le fil, le genre de modèle économique qui ne tient pas à grand-chose. Il ne faut pas être malade, mais on est très libre, fait-elle valoir. J’aurais bien tenté des choses dans des lieux reculés, mais avec le prix de l’essence, je ne peux pas mettre en péril ma boutique. » Dès le départ, Julie Lequime a fait le choix du site internet commerçant. Environ un tiers de ses clients commandent ainsi pour un « drive éthique de gens fidèles » avec un panier moyen de 30 à 35 euros, et deux-tiers viennent directement choisir leurs courses au camion (10 euros de moins par client) pour mieux voir les nouveautés régulières qu’elle déniche dans le coin : « J’espère avoir à la rentrée du lait végétal fait par des jeunes dans le Gers qui produisent leurs céréales et les transforment pour du lait en bouteille en verre. »

MARYLOU PART EN VRAC, EN CHALOSSE

Même ambition du côté de Marylou Marguerie qui s’est lancée en juillet 2021, avec comme objectif d’« apporter un service de proximité aux petites communes, mettre au régime sa poubelle et surtout valoriser nos producteurs ». Second de cuisine en famille en Guadeloupe, l’idée lui vient là-bas, mais c’est en rentrant chez ses beaux-parents, à Sort-en-Chalosse, qu’elle fait son étude de marché, accompagnée par BGE Tec Ge Coop. Moins envie des horaires en coupure des restaurants en devenant maman, elle crée une cagnotte participative sur la plateforme Miimosa, spécialiste des réseaux vrac, et finit dans les trois lauréats de 2021. Sans site internet marchand, le Peugeot Boxer Marylou part en vrac écume, depuis, les marchés de Saint-Paul-lès-Dax, Saint-Vincent-de-Paul, Tilh, Pomarez, Pontenx-les-Forges ou se gare à la ferme Coumet à Préchacq-les-Bains. Elle teste cet été le marché de Vieux-Boucau car « l’été permet de compenser et de faire de la trésorerie. L’hiver est compliqué en Chalosse… »

Cookies et muffins maison

En quelques mois, la Bordelaise qui prépare ses propres cookies et fondants chocolat, a déjà fait évoluer son concept : « Je n’arriverais pas à vivre en vendant des pâtes (de chez Pastadiu à Castelnau-Chalosse) et de la farine (de Saint-Pé-de- Léren) en vrac, alors j’ai ajouté des produits frais, fromages, yaourts et crèmes de Tilh, du cochon fermier en frais, salaison et conserverie avec la ferme du Vieux-Bourg… » 170 références, mais pas de fruits et légumes, « il y en a déjà sur mes marchés ». « Les passages à domicile et en livraison sur commande ne représentent pas plus de 15 % de mon chiffre d’affaires, même si les paniers sont plus gros (30 à 40 euros contre 16 à 20 euros en point fixe), avec surtout des familles ayant des enfants en bas âge à l’heure de la sieste, ou en fin de journée des gens qui travaillent. »

Plus on est nombreux à proposer ces services en proximité, plus les mentalités vont évoluer rapidement

La jeune femme se laisse jusqu’en septembre 2023 pour être sûre de son modèle, elle qui jusqu’ici ne perd pas d’argent, « mais n’en gagne pas assez ». Et à ceux qui pensent que c’est plus cher d’acheter à son camion, elle rétorque : « Au final, on s’y retrouve, on dépense moins qu’au supermarché car on n’achète que ce dont on a besoin, et on mange des produits locaux, pas modifiés, et meilleurs pour la santé. »

GOUMAMI EN PAYS D’ORTHE

Dernière arrivée sur l’activité, en décembre dernier, mais du côté du Pays d’Orthe cette fois, Marine Le Corre a, au départ, tout misé sur la vente via internet avec son site épicerie Goumami (un mix entre umami, « goût savoureux » en japonais, et le goût de mamie), pour des livraisons à domicile ou en point relais.

épiceries mobile Goumami

Marine Le Corre, fondatrice de Goumami © D. R.

Valoriser le travail des agriculteurs

Depuis début juillet, cet ingénieure agronome, spécialisée en management d’entreprise agricole et diplômée en œnologie, a ajouté une cabane de vente, faite avec du bois de récupération, sur une parcelle agricole de son conjoint Rémi Labescau, à Pey. Lui est éleveur de vaches laitières et à viande sur l’exploitation familiale, et va bientôt produire des glaces et des fromages frais. Un couple qui s’y entend pour valoriser les produits et le travail des agriculteurs.

Des produits locaux, pas modifiés, et meilleurs pour la santé

« Je teste ma formule internet, livraison et cabane en vente directe cet été, et je ferai un bilan à l’automne », explique l’Auvergnate qui bénéficie pour l’instant du chômage pour se lancer. Ses investissements ont surtout concerné l’achat de son Fiat Doblo avec caisson réfrigéré (22 000 euros) et la création de son site internet (10 000 euros) où l’on trouve de tout en quasi 100 % local, bio mais pas que, autour d’une quarantaine de producteurs : fruits et légumes de maraîchers de Pey (« mon premier produit d’appel »), pâtes et légumineuses, produits laitiers, porc, poulet, bœuf, bières, gel douche aux pépins de kiwi. Marine Le Corre se bat aussi contre l’idée reçue qu’il est plus cher de se nourrir de la sorte. « Pour les légumes, c’est même archi-faux ! Et il faut comparer ce qui est comparable », dit-elle, persuadée qu’il y a « beaucoup moins de gaspillage quand on vient acheter ici plutôt qu’en supermarché ». Pleine d’espoir sur son modèle, elle estime que « plus on est nombreux à proposer ces services en proximité, plus les mentalités vont évoluer rapidement. »