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Congés payés et maladie : les nouvelles règles

Une décision de la Cour de cassation du 13 septembre dernier établit que les salariés en arrêt maladie acquièrent désormais des congés payés sans limitation de durée. Les mesures à mettre en œuvre au sein de l’entreprise pour sécuriser les congés payés.

David BRIVOIS, avocat associé, département droit social, et Euphrasie LUPI, avocat, département droit social, au cabinet Fidal de Dax Congés

David BRIVOIS, avocat associé, département droit social, et Euphrasie LUPI, avocat, département droit social, au cabinet Fidal de Dax © Patxi Beltzaiz

La Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence considérable le 13 septembre dernier, par quatre arrêts relatifs à l’impact, sur les congés payés, des arrêts maladie (trois arrêts) [1] et des congés parentaux [2].

La décision, aussi prévisible qu’elle pouvait l’être du point de vue du droit de l’Union, de l’interprétation qui en était déjà faite par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et des appels à légiférer formulés par la Cour de cassation dans ses différents rapports annuels, n’en ébranle pas moins la pratique des entreprises et les certitudes qu’elles pouvaient avoir jusqu’à aujourd’hui.

Il est ainsi désormais établi que les salariés absents pour cause de maladie (que l’arrêt de travail soit lié à une maladie de droit commun, une maladie professionnelle ou un accident du travail, les conséquences étant désormais les mêmes) acquièrent des congés payés sans limitation de durée.

La Cour de cassation prend d’ailleurs soin de préciser que son revirement concerne tant le congé de quatre semaines, garanti par le droit de l’Union, que la cinquième semaine spécifique au droit français ou encore les congés payés d’origine conventionnelle.

Le propos pourrait être relativisé pour l’avenir grâce à une intervention du législateur français.

La genèse des décisions de septembre mérite d’être précisée en ce qu’elle conduit à n’appliquer, pour l’heure, qu’une partie des mécanismes envisagés par le droit de l’Union.

La Cour de cassation a en effet laissé une partie de la législation française « inappliquée » (celle qui était contraire au droit de l’Union en ce qu’elle exigeait un travail effectif pour acquérir des congés payés et encore la limitation à 12 mois pour l’acquisition des congés pendant les d’arrêts d’origine professionnelle) pour la rendre compatible avec le droit de l’Union, mais sans ajouter quoi que ce soit d’autre à la législation française.

LES CONSÉQUENCES POUR L’ENTREPRISE

La carence du législateur français pour mettre le droit français en conformité avec le niveau supérieur conduit ainsi les entreprises à craindre une situation des plus inconfortables :

  • les salariés acquerraient des congés payés sans limitation de durée ;
  • en même temps qu’aucun plafonnement des droits à congés ne pourrait leur être opposé ;
  • voire qu’aucune prescription ne pourrait être opposée non plus.

Cette position est soutenue dans certaines communications syndicales qui commencent à être adressées aux entreprises, comme par des salariés individuellement qui peuvent, pour certains, avoir déjà quitté l’entreprise.

Le droit de l’Union doit pourtant conduire à un équilibre entre ce qui correspond, dans les congés payés et selon la CJUE, à l’« effet positif pour le travailleur en sa qualité de temps repos » et ce qu’est une « période de détente et de loisir », la juridiction estimant en effet qu’« un droit à un tel cumul illimité de droits au congé annuel payé, acquis durant une telle période d’incapacité de travail, ne répondrait plus à la finalité même du droit au congé annuel payé » [3].

UN DÉLAI DE REPORT DE 15 MOIS DES CONGÉS PAYÉS ?

Il est ainsi permis de soutenir que certes, les congés payés s’acquièrent désormais de manière continue et sans limitation de durée pendant les arrêts de travail mais que passé un certain temps d’absence, ces mêmes congés acquis pendant la maladie finiraient par se perdre une fois une période de report dépassée.

Il faut reconnaître que la situation d’un salarié qui a effectivement travaillé pour générer un droit à congés payés n’est pas exactement dans la même situation qu’un salarié placé en arrêt de travail et qui n’a donc, de fait, aucunement travaillé pour acquérir ce même congé.

Ce serait ainsi inéquitable… cette fois vis-à-vis de celui qui a travaillé de manière effective.

Sur ce sujet, il est acquis qu’une période de report de 15 mois est satisfaisante pour la CJUE [4].

Il est ainsi envisageable de faire perdre le bénéfice de congés payés « anciens » au-delà de cette période de report.

Mais ce délai de report de 15 mois (et donc de perte au-delà) est-il une possibilité ou une obligation ?

Tout porte à croire qu’il est seulement « possible » au sein des États de l’Union, de sorte qu’une action serait requise pour le sécuriser, qu’elle provienne du législateur à proprement parler (mais dans quel délai ? Le ministre du Travail a indiqué travailler sur le sujet, mais le projet de loi n’est pas encore porté au débat et sa version votée encore moins publiée…), des partenaires sociaux de la branche ou encore du niveau de l’entreprise.

Notons tout de même que nous parlons ici du cas spécifique d’un salarié absent de manière continue pendant plusieurs exercices successifs, c’est-à-dire un cas en pratique extrêmement rare.

Il n’en demeure pas moins nécessaire de fixer ce délai de report (et donc de perte) des congés payés.

L’information précise des salariés quant à leur droit à congés payés supposera notamment d’avoir fait le point sur la situation de chacun

INFORMER LES SALARIÉS DE LEURS DROITS À CONGÉS PAYÉS

Au titre des actions requises pour sécuriser plus largement le sujet des congés payés (c’est-à-dire au-delà du cas spécifique des arrêts de longue durée), il convient d’attirer l’attention des entreprises sur la nécessité, a minima pour l’avenir :

  • d’informer spécifiquement les salariés de leurs droits à congés payés, que ce soit au titre des congés acquis avant toute période d’arrêt maladie, des congés acquis pendant une période d’arrêt maladie ou encore des congés potentiellement perdus au-delà de la période de report de 15 mois ;
  • de s’assurer que les salariés qui n’ont pas été absents de manière continue sur des exercices successifs ont effectivement été mis en mesure de prendre leurs congés avant toute perte et même qu’ils ont été incités à les prendre.

Précisons que la charge de la preuve reposera sur l’employeur.

Des mesures vont ainsi devoir être prises par les entreprises, mais il apparaît nécessaire de prendre d’abord le temps d’une réflexion sérieuse sur les incidences de la jurisprudence de septembre dernier.

L’information précise des salariés quant à leur droit à congés payés supposera notamment d’avoir fait le point sur la situation de chacun des salariés dans l’entreprise et d’avoir réglé la question de la prescription applicable aux éventuels rappels de congés, voire d’indemnités compensatrices.

C’est à cette occasion qu’il sera également nécessaire pour les entreprises de se pencher sur la question du provisionnement des sommes pour la clôture de leur exercice (avec d’ailleurs des impacts plus ou moins forts sur les dispositifs d’épargne salariale de l’ensemble du personnel et encore de l’assiette d’imposition de la société…).

Sur le point de la limitation dans le temps, il apparaît inaudible (cela est, a minima, contesté) qu’aucune prescription ne puisse s’appliquer au motif que le salarié n’aurait jamais été mis en mesure de prendre ses congés payés.

Le propos d’une prescription inopposable trouve son origine dans l’arrêt n° 22-10.529 dont il apparaît nécessaire de préciser qu’il concernait, non un salarié titulaire d’un contrat de travail et informé chaque mois via son bulletin de paie du solde de ses congés, mais d’un travailleur indépendant ayant obtenu, devant le juge, la requalification de sa situation de travailleur indépendant en contrat de travail.

Dans cette configuration spécifique, il est incontestable que le « salarié » n’a jamais été en mesure de prendre ses congés payés puisqu’il n’a, en pratique, jamais été traité comme un « salarié ». Du propos même du conseiller doyen à la chambre sociale de la Cour de cassation en charge du dossier « le dossier qui nous était soumis était très particulier » [5].

Il n’est ainsi aucunement acquis que l’éventualité de rappels de congés soit dépourvue de toute prescription, ni encore que l’article du Code du travail français relatif à la prescription des rappels de salaires [6] puisse être aussi automatiquement mis de côté.

D’ailleurs, pour justifier son raisonnement, la Cour de cassation prend soin de citer la jurisprudence de la CJUE, laquelle estime qu’« il ne saurait être admis, sous prétexte de garantir la sécurité juridique, que l’employeur puisse invoquer sa propre défaillance, à savoir avoir omis de mettre le travailleur en mesure d’exercer effectivement son droit au congé annuel payé ».

S’il est incontestable dans l’arrêt du 13 septembre dernier que l’employeur était défaillant en n’ayant pas offert le contrat de travail que les conditions d’emploi exigeaient, il ne saurait être soutenu que les entreprises françaises ont été défaillantes en appliquant un Code du travail qui s’imposait à elles [7].

Les règles classiques de prescription pourraient ainsi être maintenues, faute de défaillance véritable des entreprises.

La défaillance de l’État apparaît, elle, plus évidente et les recours en responsabilité risquent de se multiplier, y compris d’ailleurs sur l’initiative de syndicats.

Aucun doute, la suite ne sera pas de tout repos !

[1] Cass. Soc. 13 septembre 2023 n° 22-17.340 ; 22-17.638 ; 22-10.529

[2] Cass. Soc. 13 septembre 2023 n° 22-14.043

[3] CJUE 22 novembre 2011 C-214/10, KHS AG / Schulte – points 30, 31 et 33

[4] CJUE 22 novembre 2011 C-214/10, KHS AG / Schulte

[5] Entretien pour Semaine Sociale Lamy – n° 2060 – 25 septembre 2023

[6] Article L.3245-1 du Code du travail

[7] Semaine Sociale Lamy – n° 2066 – 6 novembre 2023 – Article Michel MORAND

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