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Bail commercial : évaluation de l’indemnité d’éviction

L’indemnité d’éviction due par le bailleur en cas de refus de renouvellement du bail permet de garantir au locataire d’un bail commercial la stabilité de l’exploitation de son fonds de commerce.

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Madeleine PERRIN Expert immobilier en valeur vénale et locative, expert près la cour d’appel de Pau, organisme de formation en immobilier © Bernard Dugros

LE PRINCIPE DU « DROIT AU RENOUVELLEMENT » DU BAIL COMMERCIAL ET L’INDEMNITÉ D’ÉVICTION

La spécificité du régime juridique du bail commercial institué par le décret n°53-960 du 30 septembre 1953, modifié en grande partie par la loi Pinel n°2014-1317 du 3 novembre 2014, tient principalement au transfert de la propriété commerciale au profit du locataire.

Concrètement, cette protection se traduit pour le locataire par un « droit au renouvellement » du bail arrivé à son terme et au versement d’une compensation financière dénommée « indemnité d’éviction » en cas de refus de renouvellement.

Pour en bénéficier, le locataire doit être titulaire d’un bail commercial appelé communément bail 3/6/9. Ainsi, les baux de courte durée (inférieurs à trois ans) ou le bail saisonnier sont exclus de ce régime protecteur.

Le bail commercial classique est généralement conclu pour une durée de neuf ans. Arrivé à son terme, le bail ne se renouvelle pas automatiquement, il se poursuit aux mêmes conditions. À la demande de l’une ou l’autre des parties, un nouveau bail écrit sera formalisé. Pour prétendre au renouvellement de son bail, le locataire doit toutefois remplir certaines conditions :

  • avoir exploité le fonds de commerce de manière effective et continue dans les trois années précédant l’expiration du bail ;
  • être inscrit au registre des commerces et des sociétés ou au répertoire des métiers ;
  • être propriétaire du fonds du commerce.

Par ailleurs, l’article L145-17 du code de commerce prévoit également quelques exceptions au droit au renouvellement quand bien même le locataire respecterait les conditions imposées.

Il s’agit :

  • d’un motif grave et légitime dont peut justifier le bailleur vis-à-vis du locataire sortant (non-paiement du loyer, des charges, non-respect de la destination des lieux, par exemple, mais uniquement après mise en demeure restée infructueuse plus d’un mois après son envoi par acte extra-judiciaire) ;
  • immeuble devant être totalement ou partiellement démoli : immeuble insalubre ;
  • reconstruction par le propriétaire ou ses ayants droit, d’un nouvel immeuble comprenant des locaux commerciaux. Le locataire a, dans ce cas, un droit de priorité pour louer dans l’immeuble

En dehors de ces cas, et dès lors que le locataire remplit l’ensemble des conditions telles que précisées ci-dessus, le bailleur qui lui refuserait le renouvellement du bail commercial sera tenu au versement d’une indemnité d’éviction.

LE LOCATAIRE PEUT RESTER DANS LES LIEUX TANT QUE L’INDEMNITÉ N’EST PAS VERSÉE

De manière concrète, le bailleur va envoyer un courrier par acte extra-judiciaire notifiant à son locataire son refus de renouvellement au moins six mois avant la fin du bail.

Le bailleur doit indiquer qu’il offre une indemnité d’éviction ou invoquer le cas d’exclusion prévu par les textes.

Le locataire peut rester dans les lieux tant que cette somme n’a pas été versée par le bailleur. Il sera tenu, dans ce cas, de payer une indemnité d’occupation jusqu’à son départ.

Le locataire peut également décider de partir à tout moment.

Il a deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné pour réclamer son droit à indemnité.

COMMENT EST ÉVALUÉE L’INDEMNITÉ D’ÉVICTION ?

L’indemnité d’éviction n’est pas, contrairement aux idées reçues, uniquement fixée en fonction du chiffre d’affaires réalisé par l’exploitant.

L’article L145-14 du code de commerce précise en effet que l’indemnité d’éviction est égale « au préjudice causé par le défaut de renouvellement ».

Le texte poursuit en précisant que cette indemnité comprend notamment « la valeur marchande du fonds de commerce […], augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ».

Ainsi, l’indemnité doit correspondre à l’intégralité du préjudice subi.

Le propriétaire et le locataire peuvent librement se mettre d’accord sur le montant de l’indemnité. Mais, en général, il est déterminé par un expert immobilier indépendant.

L’expert va ainsi avoir pour mission d’estimer l’intégralité du préjudice.

Pour ce faire, il devra dans un premier temps s’assurer de la nature du préjudice qui peut prendre deux formes :

  • la perte de fonds : conséquence de la perte de clientèle attachée au lieu de situation ;
  • le transfert du fonds : conséquence de l’installation du locataire dans de nouveaux locaux sans perte de la clientèle.

Le préjudice est évalué au jour le plus proche de l’éviction : soit au jour du départ effectif du locataire, soit à la date de la décision de justice, si le locataire est encore dans les lieux le jour où les juges statuent.

Puis, dans un second temps, il s’agira d’analyser l’étendue du préjudice.

Enfin, il faudra évaluer le montant de cette indemnité en distinguant l’indemnité principale et les indemnités accessoires.

L’INDEMNITÉ LIÉE À LA PERTE DE FONDS : INDEMNITÉ DE REMPLACEMENT

Le texte pose le principe que l’indemnité correspond à la valeur marchande du fonds, c’est-à-dire la perte du fonds.

L’indemnité principale consistera dans cette hypothèse à l’évaluation de la valeur du fonds de commerce.

Elle se fera selon les usages de la profession et par conséquent selon les méthodes habituelles d’évaluation d’un fonds de commerce :

  • méthode du ratio par le chiffre d’affaires en fonction de l’activité exploitée ;
  • méthode par comparaison ;
  • méthode par l’EBE (excédent brut d’exploitation).

Mais, le montant ne se limite pas à cette simple évaluation.

Il s’agira d’évaluer ensuite l’ensemble des indemnités accessoires :

  • les frais normaux de déménagement : uniquement si c’est le cas ;
  • les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur : uniquement si le preneur acquiert un nouveau fonds ;
  • les indemnités de licenciement en cas de rupture des contrats de travail du personnel salarié : sont remboursées sur justificatifs en cas de licenciement total (perte du fonds) ou partiel (réinstallation de moindre importance) impliquant la suppression d’une partie des postes salariés ;
  • les frais d’installation non amortis : les aménagements sont normalement compris dans la valeur du fonds de commerce dans l’hypothèse de l’indemnité d’éviction de remplacement ;
  • le trouble commercial : une indemnité pour trouble commercial (ou gain manqué) est allouée afin de couvrir le préjudice résultant de l’interruption d’activité durant le déménagement, puis la réinstallation ou, faute de réinstallation, de l’arrêt d’exploitation ;
  • la perte sur stocks : couvre le préjudice subi par le locataire exploitant, notamment en cas de vente du stock à bas prix ou dans des conditions qui lui sont financièrement préjudiciables.

Ne sont jamais estimés :

  • le matériel, le mobilier et les droits incorporels car ils sont et restent la propriété du locataire évincé ;
  • les aménagements et travaux réalisés dans le local dont le bail n’est pas renouvelé ;
  • les impôts dus au titre des plus-values ;
  • le préjudice

En cas de simple transfert de fonds, c’est le cas de la réinstallation ailleurs sans perte majeure de clientèle : il s’agit d’une indemnité de déplacement.

L’indemnité principale correspond au droit au bail.

Le droit au bail est évalué en fonction de la méthode du différentiel : différence entre le montant du loyer que le locataire évincé aurait payé si le bail avait été renouvelé et celui du loyer qu’il va devoir payer en allant s’installer dans un autre local (valeur locative).

Il est appliqué un coefficient de capitalisation ou de situation fonction de l’activité et de la commercialité de l’emplacement.

Les indemnités accessoires vont correspondre à tous les préjudices subis pour transfert de fonds et seront à évaluer au cas par cas. Ce sont notamment :

  • les frais de déménagement : réglés sur présentation de devis ou en fonction de la situation sur forfait ;
  • les frais administratifs : les coûts liés pour faire connaître à la clientèle et aux fournisseurs la nouvelle adresse de l’exploitation (nouvelles cartes de visite, envoi de courriers notamment) ; les coûts de transfert des abonnements ; les frais d’actes et formalités de changement de siège social ;
  • les frais de remploi : destinés à couvrir les frais et droits de mutation à régler pour l’acquisition d’un fonds de commerce ou d’un droit au bail de même valeur ainsi que les frais d’agence et de rédaction

d’acte. L’indemnité de remploi ne sera pas due si le propriétaire apporte la preuve que le locataire ne s’est pas réinstallé. Dans les autres cas, le remploi est dû et son montant peut être établi au réel (cf. art. 719, Code général des impôts) ou de façon forfaitaire (8 à 12 % du montant de l’indemnité principale) ;

  • les frais de double loyer : correspondent au double loyer éventuellement réglé par le locataire ;
  • le trouble commercial : une indemnité pour trouble commercial (ou gain manqué) est allouée afin de couvrir le préjudice résultant de l’interruption d’activité durant le déménagement puis la réinstallation ou, faute de réinstallation, de l’arrêt d’exploitation ;
  • la perte sur stocks : idem que pour la perte de fonds ;
  • s’il y a, au contraire, indemnité de déplacement, les installations du preneur sont indemnisées dans la mesure où elles n’ont pas été entièrement amorties et qu’elles ne sont ni récupérables ni transférables. Mais, la jurisprudence est fluctuante sur ce point et il s’agira d’apprécier réellement la situation du preneur.

Le juge pourra également demander à l’expert d’estimer le montant de l’indemnité d’occupation due par le preneur à compter de la fin du bail jusqu’à sa sortie. Le locataire n’étant plus locataire du local, il n’est plus redevable d’un loyer, mais d’une indemnité d’occupation qui peut être supérieure.

LA FACULTÉ DE DÉDIT : LE DROIT DE REPENTIR DU BAILLEUR

Le bailleur dispose d’un droit de dédit dans les 15 jours qui suivent la décision du juge fixant l’indemnité d’éviction. Ce droit permet au bailleur de ne pas verser l’indemnité fixée et de revenir sur son refus de droit au renouvellement. Dans ce cas, le bail est renouvelé et le locataire peut se maintenir dans les lieux aux conditions prévues initialement.

Néanmoins, le droit de repentir ne peut s’exercer que si le locataire n’est pas parti.

COMMENT PROCÉDER ?

Aussi, l’indemnité d’éviction s’estime au cas par cas. L’indemnité peut être fixée à l’amiable entre les parties. Mais, le recours à un expert immobilier indépendant permet de s’assurer, pour le bailleur comme pour le locataire, de la juste indemnisation du préjudice subi. L’expert saura conseiller dans les différentes étapes d’estimation de l’indemnité d’éviction. Il apportera notamment son éclairage sur la nature et le montant de l’indemnité principale et des indemnités accessoires à prendre en compte.

Par ailleurs, l’accompagnement d’un avocat-conseil, spécialiste en matière de bail commercial, s’avèrera judicieux pour formaliser l’accord entre les parties et/ou mettre en œuvre la procédure adaptée.

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