En France, ce sont entre 90 000 et 130 000 divorces annuels d’après les statistiques de l’Insee. Autant de cas nécessitant de procéder à la liquidation du régime matrimonial et, par conséquent, d’évaluer les récompenses dues à chacun des ex-conjoints.
Dans les missions qui lui incombent, l’expert immobilier est régulièrement amené à évaluer ce que l’on nomme en langage juridique « le profit subsistant ». Ce terme se rencontre dans le contexte de séparation des couples mariés. Les couples qui n’ont pas signé de contrat de mariage sont soumis au régime de la communauté des biens ; créant de ce fait trois patrimoines distincts : le patrimoine propre à chacun des époux et le patrimoine commun. Le patrimoine propre est principalement constitué des sommes reçues par donation ainsi que des biens acquis avant le mariage. Le patrimoine commun est, quant à lui, composé des biens mobiliers ou immobiliers acquis pendant le mariage ou encore des revenus perçus par les époux. Aussi, chaque fois que la communauté a tiré profit d’un bien propre à l’un des époux, elle lui devra récompense au moment du divorce. À l’inverse, si l’un des époux s’est enrichi au détriment de la communauté, c’est lui qui devra récompense. Le système de récompense a ainsi pour objectif de rétablir l’équilibre entre patrimoine commun et patrimoine personnel au moment du divorce.
COMMENT SONT CALCULÉES LES RÉCOMPENSES ?
Le calcul des récompenses est prévu par le Code civil. Ainsi, l’article 1543 du Code civil qui renvoie à l’article 1479 qui renvoie lui-même à l’alinéa 3 de l’article 1469 fixe les principes suivants : « La récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. Elle ne peut, toutefois, être moindre que la dépense faite quand celle-ci était nécessaire. Elle ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l’aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien. »
Ainsi, la récompense ne peut être inférieure au profit subsistant, c’est-à-dire la plus-value réalisée, lorsque la dépense sur fonds propres a servi à acquérir un bien, à le conserver, ou à l’améliorer.
Pour déterminer le profit subsistant, il faudra respecter la méthodologie prévue par le Code civil selon que la dépense aura servi :
. à l’acquisition du bien : il faudra dans ce cas, tenir compte de la valeur du bien au jour de la liquidation selon son état au jour de l’acquisition.
. à l’amélioration du bien : il faudra tenir compte cette fois-ci de la différence entre la valeur du bien amélioré au jour de la liquidation et la valeur de ce même bien si les travaux n’avaient pas été réalisés.
La Cour de cassation rappelle à ce sujet, dans un arrêt du 1er juin 2022, 1re civ, 20-20.202, que chacune de ces créances doit être évaluée séparément quand bien même il s’agirait d’un même bien immobilier.
Comment l’expert doit-il procéder pour évaluer les profits subsistants selon chacune de ces méthodes ?
L’expert devra tout d’abord obtenir un maximum d’informations pour apprécier les créances de chacune des parties : contrat d’emprunt immobilier, versements effectués pendant la durée du mariage depuis le compte joint et depuis chacun des comptes personnels des ex-époux. Il devra ensuite apprécier la composition du bien au jour de la liquidation. Mais, également, l’état du bien avant travaux.
La liquidation est rarement actée lorsque l’expert intervient. Dans ce cas, l’expert se placera au jour de l’expertise. Si la liquidation a déjà eu lieu, il se positionnera à la date indiquée.
Dans tous les cas, l’expert va, comme à son habitude, visiter les lieux et relever les informations importantes : analyse de l’environnement et de l’emplacement, description du bien, détermination de la surface habitable, nature des équipements, entretien de l’ensemble immobilier…
Il va également réunir tous les documents et informations nécessaires à l’évaluation : titre de propriété, taxe foncière, dossier de diagnostics techniques immobiliers, autorisation d’urbanisme et certificat d’achèvement des travaux… Autant d’éléments classiques qui vont servir à l’évaluation du bien.
Là où l’expertise va s’avérer plus délicate, c’est lorsqu’il s’agira d’évaluer le bien au jour de la liquidation dans l’état dans lequel se trouvait le bien au moment de l’acquisition.
Pour pouvoir évaluer le profit subsistant lié à l’acquisition du bien, l’expert devra tenir compte de la valeur du bien au jour de la liquidation dans l’état au jour de l’acquisition. Or, la visite des lieux ne permettra pas à l’expert de constater uniquement l’état actuel du bien. Aussi, devra-t-il faire un travail d’investigation auprès des parties pour avoir connaissance de l’état avant travaux. Pour ce faire, il demandera aux parties de lui transmettre toutes les informations nécessaires : titre de propriété, dossier de diagnostics techniques immobiliers, photos avant travaux, plan avec surfaces du bien immobilier avant travaux.
Toutes ces informations, lorsqu’elles sont en possession des parties, permettront d’apprécier l’état dans lequel se trouvait le bien avant travaux.
Pour pouvoir évaluer le profit subsistant lié à l’amélioration du bien, l’expert devra, cette fois-ci, tenir compte de la différence entre la valeur du bien au jour de la liquidation dans l’état au jour de la liquidation et la valeur du bien au jour de la liquidation dans l’état au jour de l’acquisition. La différence constituera le profit subsistant. Autrement dit, la récompense correspondra à la plus-value réalisée grâce aux travaux d’amélioration réglés sur les fonds propres de l’un des époux.
Là encore, l’expert devra récolter un maximum d’informations auprès des parties pour apprécier la valeur du bien avant et après travaux. Pour ce faire, il demandera aux parties en plus des documents déjà cités : la nature et description des travaux réalisés, les factures lorsque les travaux ont été réalisés par des professionnels, les autorisations d’urbanisme obtenues et certificat d’achèvement et de conformité des travaux s’il y a lieu, les plans avec surfaces actuelles.
Aussi, à partir de toutes ces informations et documents, l’expert pourra apporter une description fidèle du bien avant travaux et du bien après travaux.
L’ÉVALUATION DE LA VALEUR DU BIEN AU JOUR DE LA LIQUIDATION DANS L’ÉTAT AU JOUR DE L’ACQUISITION
Le Code civil précise que le bien doit être évalué au jour de la liquidation dans l’état au jour de l’acquisition pour déterminer le profit subsistant lié à l’acquisition du bien. Cela implique que l’expert se positionne au jour de la liquidation pour les références de biens vendus. Mais, en tenant compte de l’état du bien tel qu’il était au jour de l’acquisition.
Un exemple : achat en 2015 d’une maison de 110 m2 construite en 1970 et composée de : salon, cuisine, deux chambres, salle de bain, WC, terrasse extérieure. Le tout en état d’usage. Montant de l’acquisition : 200 000 euros.
L’un des époux a apporté 50 000 euros grâce à la donation que lui avaient faite ses parents. Le reste a été remboursé par la communauté.
En 2024, les époux se séparent. Pour calculer le profit subsistant lié à l’acquisition, il faudra évaluer la maison au jour de la liquidation dans l’état au jour de l’acquisition.
Aussi, l’expert cherchera des références de prix de maisons vendues en 2024, d’une surface de 110 m2, en état d’usage…
Si la maison est estimée au jour de la liquidation à 400 000 euros, le profit subsistant se fera selon le calcul suivant : 50 000 / 200 000 X 400 000 = 100 000 euros.
Le profit subsistant dans ce cas sera de 100 000 euros.
En 2017, des travaux ont été réglés à l’aide de fonds propres par l’un des époux pour un montant de 150 000 euros. Les travaux ont permis d’agrandir la surface habitable en passant de 110 m2 à 150 m2. Création d’une chambre supplémentaire, agrandissement du salon, création d’une suite parentale et d’une piscine extérieure.
Pour calculer le profit subsistant suite aux travaux d’amélioration, l’expert devra estimer la valeur du bien au jour de la liquidation dans l’état au jour de l’acquisition. Puis, estimer la valeur du bien au jour de la liquidation dans l’état au jour de la liquidation. La différence entre les deux valeurs correspond au profit subsistant. Ainsi, l’expert fera le même travail de recherche pour estimer la valeur au jour de la liquidation dans l’état au jour de l’acquisition, la valeur sera estimée dans notre cas à 400 000 euros. Puis, il cherchera des références de biens vendus correspondant à l’état après travaux : maison récente de 150 m2 avec piscine… Dans ce cas, le profit subsistant correspondra à la différence entre les deux valeurs obtenues. Si la maison après travaux est estimée à 750 000 euros, le calcul sera de 750 000 – 400 000 = 350 000 euros. Le profit subsistant sera de 350 000 euros, alors même que le montant des travaux engagés s’élevait à 150 000 euros.
Si ce travail demande méthode et rigueur de la part de l’expert, il est le seul à être validé par la Cour de cassation, qui sanctionne régulièrement toutes les autres approches. Ainsi, a été sanctionné le fait de procéder à un abattement sur la valeur après travaux pour obtenir la valeur avant travaux : « L’état de l’immeuble devant s’apprécier abstraction faite des travaux qui ont été réalisés » (Cour de cassation, 1re ch.civ ; 15 décembre 2021), ou encore le fait de revaloriser la dépense faite au moment de l’acquisition (Cour de cassation, 1re ch. civ., 13 février 2013).
De même, il n’est pas possible de déterminer le profit subsistant en ne tenant compte que d’une seule approche alors que les fonds propres ont servi d’une part à l’acquisition du bien et d’autre part, à l’amélioration de ce bien. Les deux calculs doivent être faits séparément pour déterminer les récompenses quand bien même, il s’agit du même bien (Cour de cassation, 1re ch. civ., 1er juin 2022).