Couverture du journal du 07/05/2024 Le nouveau magazine

Marie-José Germain, il était une dernière fois

Marie-José Germain, la directrice artistique du Festival du conte de Capbreton, tirera sa révérence lors de la prochaine édition, du 8 au 11 mai. Une belle histoire dont elle a été l’héroïne discrète et passionnée.

Marie-José Germain, la directrice artistique du Festival du conte de Capbreton © Louis Piquemil - LAL

Sa modestie en souffrira sans doute, mais le Festival du conte de Capbreton c’était elle. N’en déplaise aux élus qui se sont battus pour son financement ou aux techniciens qui ont bataillé pour rétablir le son et la lumière les soirs d’orage, tous s’accorderont pour admettre qu’elle en était la chair, l’âme parfois damnée, l’ambassadrice passionnée, l’audacieuse marionnettiste osant des rencontres improbables flirtant parfois avec le scandale, mais souvent source de magie. Derrière un rideau, en coulisse, Marie-José Germain officiait depuis bientôt 35 ans comme directrice artistique de ce festival à l’exceptionnelle durée. Elle tirera sa révérence lors de la prochaine édition, du 8 au 11 mai. Une édition particulière qu’elle attend avec un sentiment mêlé d’impatience et d’angoisse préparant son « blabla d’adieu », comme elle dit, le crayon sur la tempe pour tenter de ne rien oublier.

35 ANS PLUS TÔT

Et comme pour toute histoire, il y a un début. « Il y a 35 ans, j’étais bibliothécaire au Bouscat, en Gironde, et je diffusais pour la jeunesse, j’inventais à tout-va, je bricolais des expos, j’invitais des cinéastes, des écrivains. Parfois, je racontais en amateur les mercredis, et surtout j’invitais des conteurs et non des moindres. » On y croisait déjà Abbi Patrix, Yannick Jaulin parmi ceux qui feront plus tard les grandes heures du festival de Capbreton. « Et puis une conseillère de la Drac [Direction régionale des affaires culturelles, NDLR] est venue voir ce travail et elle a commencé à me travailler en douceur, m’a demandé si j’avais des projets. Je rêvais de faire un festival de contes dans un endroit que je connais bien du côté de la forêt du Porge, un de ces endroits magiques pour moi, où tu as la forêt dans le dos, et en face la mer. Elle m’a dit : « Il y a une ville qui s’appelle Capbreton, qui veut faire un évènement mais ne sait pas sur quelle thématique. Est-ce que vous seriez partante ? » » Marie José Germain ne connaissait pas Capbreton. Une balade en voiture suffit à la convaincre. Elle dit oui et crée le concept du Festival du conte il y a donc 35 ans avant d’en devenir la programmatrice deux ans plus tard.

LE RIRE DU DIABLE

Au fil de cette longue épopée, l’un des combats qu’elle a gagnés reste d’avoir convaincu le public que le conte n’était pas réservé aux enfants. Même si souvent tout commence là. Et elle doit bien admettre que ce fut le cas pour elle. « Nous étions trois filles et nous passions nos vacances, dans la Corrèze noire et ma grand-mère nous gardait. On galopait toute la journée, on faisait plein de bêtises et puis on rentrait le soir. Elle nous calait dans un grand lit et nous racontait des histoires. Et ce n’était pas de l’eau de rose ! Ma grand-mère faisait terriblement bien le rire du diable. » Et puis, il y eut cet autre épisode douloureux, où éloignée de l’école pendant plus d’un an, la petite fille qu’elle était a cultivé dans la solitude et l’ennui l’art d’inventer des histoires. « J’ai toujours lié réalité et imaginaire. Les contes sont des amis intimes qui m’ont beaucoup aidée, tout au long des difficultés qu’on traverse dans la vie. »

« Il faut avoir vécu, éprouvé toutes sortes de peines, de joies, pour pouvoir vraiment habiter les contes et les porter »

D’UNE ACTUALITÉ TERRIFIANTE

Et encore aujourd’hui. « Très souvent, lors de conversations entre amis, il y a toujours un moment où je vais raconter une toute petite histoire, en lien avec ce dont on parle. J’ai été frappée par la puissance de l’interprétation des conteurs. Comme dit Henri Gougaud, c’est un art de la relation. Au départ, je trouvais bizarre que des conteurs africains ou bretons me disent qu’on ne peut pas raconter avant l’âge de 40 ans. Mais c’est vrai : il faut avoir vécu, éprouvé toutes sortes de peines, de joies pour pouvoir vraiment habiter les contes et les porter. Quand je dis « conte », ce sont à la fois des mythes, des contes merveilleux, des légendes oubliées parfois érotiques, des récits de vie, de guerre, d’amour, des histoires de viols, d’inceste, de loyauté. Les contes sont d’une actualité terrifiante. »

Une diversité du conte qu’elle n’a cessé de promouvoir à la fois dans le choix des conteurs, mais aussi des lieux – de la place Yan du Gouf à la salle du Ph’Art – à travers la variété des thématiques, des invités, qu’ils soient artistes de rue, mimes, clowns ; au gré de performances, de conversations entre le conte et d’autres arts tels que la danse ou le cinéma. Le festival a changé de dates passant de l’été au mois de mai, évolué dans son format, mais a su garder la confiance de ses partenaires institutionnels qui ont accédé au souhait de Marie-José Germain de créer une maison du conte. Ce fut en 2013 l’avènement de la MOP, la Maison de l’oralité et du patrimoine, facilitant l’accueil des artistes en résidence, la médiation culturelle.

© Ville de Capbreton

© Ville de Capbreton

À l’heure du bilan, elle confesse garder en mémoire quelques mini scandales allant parfois jusqu’à des plaintes en mairie lorsque cette compagnie anglaise a osé la déambulation en combinaison chair confinant à la nudité, sous les rires des enfants. Des fiertés aussi comme cette gageure d’avoir lancé l’Heure du hibou à minuit. Le hibou étant pour les Indiens le protecteur des aventuriers et l’occasion pour les artistes d’oser des répertoires rarement entonnés. Ou encore la Nuit du rêve pour partager les songes entre conteurs et public, jusqu’à l’aube. L’un de ses plus beaux souvenirs reste cette soirée où aucun lieu de repli n’avait été prévu. Une pluie torrentielle s’est abattue sur le spectacle musical d’Abbi Patrix et Bernard Chèze. Les fils électriques n’étant pas isolés il a fallu éteindre les lumières. Les artistes étaient trempés, mais le public parti chercher des parapluies est revenu chanter sous la pluie.

Oui il faudra s’habituer à ne plus voir sa longue silhouette se détacher dans l’ombre du festival, mais peut-être la découvrir dans le public. Car le festival va continuer avec un nouveau directeur artistique qu’elle participe à recruter. Elle redoute la charge émotionnelle au moment précis où un hommage* lui sera rendu sur scène en présence des conteurs qui ont tenu si nombreux à lui témoigner amitié et estime. « J’ai adoré faire ça », conclut-elle assurant ne rien savoir de l’avenir. Une chose est sûre, elle continuera à raconter mais seulement à ses petits-fils. Les contes ses fidèles amis ne la quitteront pas.

LE FESTIVAL DU CONTE EN CHIFFRES

33 années de programmations assurées par Marie-José Germain

450 artistes invités

44 accueils d’artistes en résidence de création

130 ateliers destinés aux scolaires