Couverture du journal du 02/01/2025 Le nouveau magazine

La musique dans la peau

Disquaires, vendeurs et réparateurs d’instruments de musique neufs ou d’occasion, inventeur d’enceintes mais aussi studios d’enregistrement innovants… De nouveaux commerces et concepts font leur apparition, portés par des passionnés. État des lieux d’un marché attractif qui connaît néanmoins une zone de turbulence.

musique

© Bernard Dugros

« Résiste ! » pourrait asséner la chanson. De fait, l’année 2024, comme 2023, ont été de mauvais millésimes pour les magasins de musique. « Fortement concurrencés par la vente en ligne, mais plus globalement par l’évolution des systèmes de distribution et par les changements d’usages de consommation, d’accessibilité et de mobilité, les magasins de musique sont entrés dans une zone de forte turbulence dont on peut craindre qu’elle puisse, à terme, faire disparaître un grand nombre d’entre eux », annonçait la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI), qui regroupe sociétés et artisans qui fabriquent, réparent, restaurent, distribuent et exportent les instruments de musique, dans un focus spécifique paru en septembre 2024.

Des concepts locaux originaux

Pour autant, dans les Landes, on fait fi du climat ambiant. Ainsi, Music Corner à Seignosse, ouvert début août 2024 par Thomas Temple et Pedro Boccaletti, se veut un concept store original autour de la musique. « Je suis depuis 17 ans dans le milieu et, avec Pedro qui est chef d’entreprise dans la restauration, nous avons décidé d’allier nos expériences complémentaires et d’imaginer un lieu pour tous : musiciens confirmés, débutants ou simplement curieux amoureux de la musique. Le constat est simple : pour acheter rien que des cordes de guitare, sur la côte il n’y avait rien. Il fallait aller à Bayonne ou à Dax. » Aussi, l’offre part de là et comprend plusieurs points d’accroche dont les instruments (guitare, basses, batterie), l’atelier de réparation (Thomas Temple a suivi une formation), il y a également des vinyles et toute une partie culture (livres, BD, affiches), cadeaux (chaussettes, tee-shirts), Hi-Fi (enceintes) et même de l’éveil musical. Prochaine étape : développer la location de backlines pour les concerts. « Après avoir investi 200 000 euros pour notre ouverture, nous allons poursuivre les investissements pour développer cette partie, poursuit Thomas Temple. Notre public est large et l’accueil est déjà très positif. »

Même son de cloche au sein de La Sound Factory qui a ouvert en juillet 2024 dans la zone Pédebert à Soorts-Hossegor sur 67 m2. Après avoir testé leur activité, en 2023, sur 18 m2 grâce au dispositif Graines de boutiques proposé par la ville de Capbreton, David Ménard et Pascal Bellorini sont passés à la vitesse supérieure, boostés par les demandes des clients. « Nous ne nous attendions pas à cette diversité de publics, explique David Ménard, disquaire des lieux avec environ 3 000 références disponibles dans tous les styles. Avec ce nouveau local, nous nous sommes diversifiés. » On trouve sur place les meubles et luminaires upcyclés au design industriel d’Indu’Steel Création aux côtés des enceintes acoustiques PB Speakers, imaginées et fabriquées sur mesure par son associé Pascal Bellorini. Mêlant design rétro, son haute-fidélité, les enceintes satellites et le caisson de basses en bois sont faits main et peuvent être connectés à la télé, à une platine CD ou vinyle et sont aussi Bluetooth. « J’en suis à plus d’une trentaine déjà vendues depuis le lancement il y a deux ans », note le créateur. Alors qu’une nouvelle version vient de sortir intégrant les basses à chacune des enceintes.

Le duo s’est également adjoint les services de William Guillon, luthier et fabricant de cigar box guitar (CBG), pour les réparations et révisions de guitares, basses et amplis. « La Hi-Fi de seconde main est un créneau en plein essor, souligne Pascal Bellorini. Nous avons des demandes quasi quotidiennes pour remettre en état des platines vinyles et cassettes, des amplis… Nous en vendons aussi beaucoup. C’est l’effet vinyle qui assure un engouement certain pour l’ancien matériel et amène à nous des clients de tous âges. »

Le vinyle a la cote

De fait, on assiste aujourd’hui au retour en grâce de ce format longtemps jugé désuet, désormais devenu tendance, allant à l’encontre du tout digital, plateformes de streaming en tête. Ses ventes ont été multipliées par 10 en 10 ans pour atteindre 5,4 millions d’unités écoulées en 2022, au niveau national. Et la tendance s’est confirmée en 2023 pour se stabiliser en 2024. Selon une étude du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), 54 % des acheteurs de vinyles ont moins de 35 ans.
« Après avoir vécu 15 ans à Montréal où il n’y a jamais eu de pénurie de disquaires, j’ai ressenti un gros décalage à mon retour en France en 2020, raconte David Ménard, disquaire de La Sound Factory. Pour autant, le vinyle est redevenu un objet cool. Il matérialise notre rapport à la musique tout en enrichissant l’expérience d’écoute : il stimule les sens (en particulier le toucher et la vue) et s’impose comme un objet fétiche avec une dimension visuelle entière grâce à chaque pochette. »

Vinyles vintage, pressages originaux pour les puristes, mais aussi supports neufs vendus par des majors de la musique (Universal, Sony, Warner), des groupes indépendants et de nombreuses petites structures, il y en a pour tous les goûts et pour tous les âges.
Ce renouveau a encouragé Pauline Dauriac à prendre la succession de Philippe Vernay, qui a tenu pendant neuf années le Vinyl Kafé à Mont-de-Marsan, devenant la seule disquaire indépendante des Landes. Ouvert en août dernier, Betty Jane Rose (clin d’œil au groupe Bijou et aux festivals punk de 1976 et 1977 à Mont-de-Marsan, sa ville natale) propose dans un intérieur orange 60’s, des références rock (le plus gros de la clientèle), du métal, du punk, de la variété française et bientôt un côté électro et rap étoffé. La touche de la disquaire ? En faire un lieu de vie et de rencontres en programmant des show cases et des petits évènements avec des créatrices locales.

« C’est avant tout un métier d’échange, explique David Ménard. Avec le vinyle, on ne fait pas que de la vente, on est surtout des passeurs de passion vers d’autres passionnés ».

La Hi-Fi de seconde main est un créneau en plein essor

Garder le tempo

Et il faut être sacrément passionné justement pour continuer à satisfaire une clientèle qui se tourne toujours plus vers le web pour ses achats. Acteur phare de la région, Ubico musique, dont l’entreprise familiale existe depuis 1961 et qui est installée à Dax sur 500 m2 depuis 2010, peut se targuer d’être LE multispécialiste. « Vente d’instruments en tous genres, sono, matériel DJ, éclairage, nous faisons également de la location et surtout nous assurons sur place le service après-vente de tout ce que nous vendons, explique Nicolas Ubico, son dirigeant. Nous sommes quatre au total à officier et chacun de nous, outre la vente, dispose de compétences techniques particulières. » Un atout à ne pas perdre de vue face à la concurrence qui fait rage. « Si nous ne sommes pas plus chers que les prix d’internet, pour nous en sortir, nous devons compenser avec plus de chiffres, c’est là toute la difficulté, poursuit-il. Imaginez, il y a 20 à 25 ans, la France comptait 1 800 magasins de musique, aujourd’hui nous ne sommes plus que 350 environ. »

À Mont-de-Marsan, Gary Smith fait partie de ces irréductibles. Ancien charpentier anglais, installé ici depuis 20 ans, il travaille aujourd’hui le bois des guitares dans son atelier de réparation le Mojo Moon Music, ouvert fin 2022. « J’ai vu ici une niche dans le marché, confie-t-il. Il n’y avait plus de magasins de musique à Mont-de-Marsan. » En boutique, Gary propose des instruments (guitares et basses essentiellement, batteries) neufs mais aussi des occasions dont des pépites haut de gamme qu’il a révisées et remises à neuf. Il organise également des show cases au fil de ses rencontres. « Ça met du temps à se mettre en place mais les ventes ont déjà augmenté en deux ans d’existence. »

Le vinyle est redevenu un objet cool. Il matérialise notre rapport à la musique tout en enrichissant l’expérience d’écoute

musique

© Ubico musique

Créer du lien social

Il faut dire que les Landes aiment la musique, celle des bandas durant les fêtes, celle des festivals et autres manifestations qui sont de plus en plus nombreuses et courues (Musicalarue, Les Tempos du monde, Chantons sous les pins, Little Festival, Arte Flamenco…). « Nous sommes dans une région où culturellement, nous n’avons pas à nous plaindre, complète Mélanie Hayet, cofondatrice de La Tanière Records à Saint-Perdon. Pourtant, il manque peut-être de lieux pour jouer et notre démarche est partie de là. » Studio d’enregistrement professionnel au décor atypique, l’endroit propose aux musiciens d’enregistrer une session live de 20 minutes gratuitement pour obtenir un support de qualité professionnel afin de démarcher. Si un étage de la maison landaise est consacré à cette activité non rémunératrice, La Tanière Records vit en parallèle de résidences de composition, de l’enregistrement et réalise des clips vidéo… « C’est un lieu pensé et imaginé pour les musiciens façon éducation populaire : la musique pour tous ! Plus de 300 groupes sont passés ici depuis 2018, c’est l’idée de partage avant tout. » Une démarche à découvrir via la chaîne YouTube qui permet de visionner tous les lives qui sont également soutenus et relayés par la radio MdM.

Autre démarche, le tiers lieu culturel Kontainer ouvert à Angresse en 2016 propose aux côtés du coworking, ateliers DIY (Do it yourself) et ateliers d’artistes partagés, un studio de répétition qui est devenu cette année un studio d’enregistrement professionnel. « Le studio Recording United a pour objectif de ramener le son des enregistrements à l’anglaise en France, soit un grain sonore spécifique à ce pays, très recherché dans le rock, explique Alice Forestier, coordinatrice des lieux. Mais Kontainer utilise aussi ce nouveau studio pour proposer une série de workshops autour de l’enregistrement et du mix. » Le tout premier aura lieu en 2025 (12 et 13 avril) et permettra de plonger dans l’univers de la prise de son avec Henri d’Armancourt, un maestro du son, ingénieur pour des géants comme le groupe Phoenix ou Justin Timberlake. Au programme : méthodes de prise de son et mixage de batterie selon l’esthétique souhaitée, mise en phase pour une prise de son multi-microphonique, analyse de session, tricks, astuces et erreurs à éviter.

De quoi continuer à faire vibrer le territoire déjà riche en lieux avec notamment Le Manoir de Léon qui, par le passé, a accueilli au sein de son studio d’enregistrement des artistes comme Alain Souchon, Étienne Daho, Louise Attaque, Noir Désir, Matthieu Chedid ou encore Les Fréros Delavega. Repris depuis 2015 par Karine Boeklage, le Manoir (demeure de 1797, la plus ancienne de Léon, dit-on) est aujourd’hui devenu un établissement qui, autour du fameux studio d’enregistrement, propose résidences d’artistes, une agence d’organisation d’événements, un centre pour séminaires… mais aussi un hébergement où il est possible, même sans être une star de la musique, de profiter d’un séjour d’exception. La culture et l’industrie musicale landaises ne cessent de se réinventer pour s’adapter aux défis de l’ère numérique.

Il y a 20 à 25 ans, la France comptait 1 800 magasins de musique, aujourd’hui nous ne sommes plus que 350 environ.