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Interview avec Laure Vuitton, nouvelle présidente du tribunal judiciaire de Dax

Début mars, à 42 ans, Laure Vuitton a pris ses fonctions de chef de juridiction du ressort de Dax, après avoir été parquetière à Bordeaux. Elle est déterminée à tout mettre en œuvre pour faire entendre davantage la voix de la justice et à lutter contre des moyens matériels et humains très insuffisants. Rencontre.

Laure Vuitton, présidente du tribunal de Dax

Laure Vuitton, présidente du tribunal de Dax © H. R.

Les Annonces Landaises : Comment avez-vous eu envie d’embrasser la carrière de magistrat ?

Laure VUITTON : Déjà en 3e, je disais que je voulais devenir juge. Ma motivation devait être forte, car je dois avouer qu’avant d’être admise à l’École nationale de la magistrature (ENM), je n’avais jamais assisté à une audience. Aujourd’hui, fort heureusement ce n’est plus possible. Il est demandé aux postulants d’avoir une expérience pratique.

LAL : Qu’est-ce qui vous attirait dans ce métier ?

L.V. : Initialement, je voulais être juge des enfants pour les défendre. Je voulais être utile. Appliquer et faire appliquer les lois, rendre la justice, me paraissait essentiel pour le fonctionnement en société.

Ici, comme ailleurs, il y a un nombre d’affaires grandissant notamment à cause de l’augmentation des violences intrafamiliales

LAL : La suite a-t-elle conforté cette idée ?

L.V. : Chaque jour, je mesure la chance que j’ai d’avoir choisi une profession d’une grande richesse intellectuelle, surtout basée sur les relations humaines. De surcroît, la magistrature nous offre la possibilité de faire plusieurs métiers. C’est stimulant. Et puis, je suis attachée à l’idée que la justice, dans un État de droit, est le socle de notre démocratie. Il n’est pas donné à tout le monde de mettre autant de sens dans son travail. Ce sens nous oblige et doit rester notre moteur. C’est pour cette raison que nous devons faire en sorte de le préserver en ayant de hautes exigences. Cela relève de notre responsabilité et de notre déontologie.

LAL : Quel a été votre parcours ?

L.V. : Après des études de droit, en 2004, j’ai été admise à l’ENM à Bordeaux. J’ai obtenu mon premier poste en Charente comme juge d’application des peines. Après cinq ans à Libourne comme juge d’instruction, j’ai été chargée de formation à l’École nationale de la magistrature. Je travaillais en particulier sur la déontologie. J’ai ensuite été nommée vice- procureur secrétaire générale du parquet de Bordeaux. Enfin, j’ai candidaté pour le siège de Dax dont je n’entendais dire que du bien. Parisienne d’origine, depuis mon passage à l’ENM, je n’ai jamais quitté le Sud-Ouest.

Laure Vuitton, présidente du tribunal de Dax

Laure Vuitton, présidente du tribunal de Dax © H. R.

LAL : Vous avez donc la particularité d’être une parquetière devenue présidente d’une juridiction ?

L.V. : Je mesure l’honneur qui m’est fait par le Conseil supérieur de la magistrature et j’oserai dire, l’audace dont ils ont fait preuve en nommant présidente une parquetière. C’est la richesse de notre métier qui nous amène à exercer plusieurs fonctions. Mon poste précédent de secrétaire générale m’a donné, je l’espère, une hauteur de vue. Je veux croire que cette expérience du parquet me permettra de vivre une dyarchie harmonieuse aux côtés du procureur de Dax.

LAL : C’est votre premier poste de chef de juridiction ?

L.V. : Oui et j’aborde la fonction avec beaucoup d’humilité. J’ai tant à apprendre. Mais je sais pouvoir compter sur une équipe de magistrats compétents, motivés et solidaires et sur des fonctionnaires de grande qualité. Mes attributions sont très variées. Tout en assumant ma tâche de juge, je dois faire vivre la communauté de travail et gérer l’administratif et le budget de la juridiction. Je ferai mon possible pour rester accessible, à l’écoute et soutenir l’équipe en tenant la barre par mer calme, comme par gros temps.

LAL : Vous êtes encore en période d’observation. Pour vous, quelle est la typicité du ressort de Dax ?

L.V. : En termes de dossiers, Dax ne se différencie pas d’autres ressorts de la même importance. Il y a, comme ailleurs, un nombre d’affaires grandissant notamment à cause de l’augmentation des violences intrafamiliales. C’est une juridiction à taille humaine, dynamique et innovante notamment sur la procédure pénale numérique (PNN), le système d’information de l’aide juridictionnelle (SIAJ) et la justice de proximité et alternative. Mais, au-delà de ces considérations techniques, ce qui m’a tout de suite frappée, c’est le niveau d’investissement des personnels. La juridiction fonctionne sur le dévouement avec des moyens matériels et humains très insuffisants. Ce qui pose clairement la question du bien-être au travail.

Le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas

LAL : Dans un tel contexte, comment exercer des fonctions de chef de juridiction ?

L.V. : C’est un défi que je vais m’attacher à relever. Pour moi, le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. C’est une des raisons qui motive mon engagement et mon envie de servir l’institution. Je crois avoir la chance d’exercer un métier passion. L’investissement va au-delà d’un métier classique. La charge de travail ne me décourage pas, car je me sens utile aux autres.

Laure Vuitton, présidente du tribunal de Dax

Magistrats du tribunal judiciaire de Dax et Laure Vuitton © Christel Hernandez

LAL : Pour les mois à venir, quelles seront vos priorités ?

L.V. : À Dax, il manque aujourd’hui a minima sept juges, ce qui porterait à 18 le nombre de magistrats pour le siège, un chiffre très inférieur aux moyennes européennes. Il en va de même pour les greffiers et adjoints. Il en manque 4 000 en France. Une de mes priorités sera donc de défendre les moyens humains de notre juridiction. L’équipe peut compter sur ma mobilisation. Retrouver un équilibre entre le temps de travail et l’épanouissement personnel de tous sera garant de la qualité de la justice rendue.

LAL : Et en termes de moyens matériels ?

L.V. : Là aussi le bât blesse. Grâce à la mairie de Dax, les prochaines années seront consacrées à un ambitieux projet immobilier en face de l’actuel palais de justice. Rien n’est encore inscrit dans la pierre, mais cela permettra d’améliorer notre fonctionnement avec bureaux et salles d’audience.

LAL : Vous êtes tout à fait prête à être adoptée par la cité thermale ?

L.V. : Pour les surfeurs et skieurs, comme moi, le Sud-Ouest est idéal. Et je suis impatiente de découvrir les ferias dacquoises dont j’ai beaucoup entendu parler.