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Fiscalité internationale : changement de paradigme

Les ministres des Finances et gouverneurs de banque centrale du G7 ont acté, le 5 juin à Londres, un accord de principe sur l’adaptation des principes internationaux de taxation des profits des entreprises multinationales à l’évolution numérique de l’économie. Un tournant décisif.

Nicolas GENESTIER

Nicolas GENESTIER Administrateur, conseil en stratégie et gouvernance d'entreprise, Talleyrand de Granvelle, Bayonne © D. R

Il est des temps remarquables par les profonds changements qu’ils véhiculent. Du point de vue de la vie des affaires, la période actuelle en fait partie. La fiscalité internationale finit sa révolution initiée au lendemain de la crise financière de 2008. Reprenant le fil inachevé des discussions du début du XXe siècle, les principales puissances économiques ont tenté de trouver un accord mondial pour préserver leurs finances publiques mises à contribution par leurs réponses politiques Keynésiennes aux crises. Faute d’accord multilatéral général, la fiscalité internationale s’articule aujourd’hui principalement entre conventions fiscales, règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), traités bilatéraux d’investissement et accords économiques (incluant selon le degré d’intégration de la zone ou communauté économique les droits de douane, les taxes indirectes et les impôts directs)… Les entreprises sont les premières à supporter les conséquences de ces accords épars tant du point de vue du fond, avec des règles qui in fine n’apportent pas toujours des solutions à la projection et aux échanges internationaux, que de la forme, avec des déclarations et documentations fiscales très coûteuses.

 

Le multilatéralisme concernant la transparence fiscale et l’échange automatique de renseignements entre administrations fiscales a progressé de manière décisive après le premier G20 tenu à Washington en 2008. Ce n’est qu’à partir de 2012, lors du G20 de Los Cabos, que l’amendement des règles concernant l’impôt sur les sociétés a fait l’objet d’un consensus. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a alors reçu le mandat d’élaborer des propositions pour réduire l’érosion des bases imposables et le transfert artificiel de profit imposable d’un État à un autre (moins onéreux fiscalement).

Un patchwork de règles inchangé dans un cadre international luttant désormais contre l’évasion fiscale

Un plan de 15 actions dénommé « BEPS » (« Base Erosion and Profit Shifting ») fut annoncé au G20 d’Antalya de 2015, suivi dès 2016, de la mise en place d’un cadre inclusif par l’OCDE. Ce sont désormais plus de 139 États ou territoires qui ont pris part à cette réforme. L’implémentation de toutes ces actions, sauf une, s’est faite à plusieurs niveaux : modifications des conventions fiscales existantes, émission de nouvelles directives en ce qui concerne l’Union européenne et lois amendant le code général des impôts d’un point de vue français. La déclaration prix de transfert, sa documentation et la déclaration pays par pays ne sont à cet égard rien d’autre que des éléments saillants de ce nouveau cadre. Il en est résulté non pas (encore) une harmonisation mondiale sur les bases assujetties à l’impôt sur les sociétés mais à tout le moins une limitation des situations d’absence de base d’imposition ou de base d’imposition très réduite. Le principe du patchwork de règles et interlocuteurs fiscaux dans un contexte international reste donc inchangé. Seule l’optimisation fiscale pratiquée par certains grands groupes internationaux disparaît. La réunion des ministres des Finances et gouverneurs de banque centrale du G7 qui s’est tenue le 5 juin à Londres vient d’acter un accord de principe sur la seule de ces 15 actions qui était restée lettre morte faute de consensus jusqu’alors. Il s’agit de la première d’entre elles, la plus épineuse, puisqu’elle concernait l’adaptation des principes internationaux de taxation des profits des entreprises multinationales à l’évolution numérique de l’économie. Fondée depuis sa création au début du XXe siècle sur l’idée de présence physique dans un pays comme condition d’imposition, la fiscalité internationale devait se réinventer face à l’essor du commerce électronique, puis des nouveaux services de monnaie et paiement électroniques, les boutiques d’application, la publicité en ligne, le cloud, les transactions à haute fréquence et les plateformes collaboratives… Cette adaptation nécessaire du partage du droit d’imposition entre les États s’est heurtée depuis 2015 aux réticences des États disposant des plus grands champions numériques. L’absence d’accord global sur cette question a engendré la création de taxes –annoncées comme temporaires sur les services numériques variant d’État à État, d’une zone économique à l’autre. Les entreprises concernées ont dû faire face à ce patchwork de règles avec des coûts de gestion dépassant parfois les réels enjeux.

La fiscalité internationale devait se réinventer face à l’évolution numérique de l’économie

L’annonce du 5 juin constitue donc un tournant décisif pour la fiscalité directe des entreprises multinationales. Il est prévu que le pays dit « de marché » puisse imposer au moins 20 % du profit excédant 10 % de taux de marge pour les entreprises multinationales les plus grandes et les plus profitables. Quels seront les seuils retenus in fine ? Question clef à laquelle le prochain
G20 de juillet en Italie doit apporter des premiers éléments de réponse. Les taxes sectorielles diverses et variées qui ont foisonné dans le monde au cours des cinq dernières années devraient donc laisser place à une nouvelle donne fiscale internationale : la présence fiscale taxable détachée de toute empreinte physique ou juridique dans un État du seul fait de disposer de clients résidents fiscaux de cet État. Cartographier la résidence fiscale de ses clients Business ou Customer deviendra donc vital pour les entreprises qui tomberaient dans le champ de ces nouvelles règles, tout comme procéder aux choix qui s’imposent en fonction des conséquences fiscales locales. Telle est la nouvelle ligne à porter à l’agenda fiscal des décideuses et décideurs confrontés à l’internationalisation de leurs activités.

Fiscalité

© Shutterstock – Andrei_R

 

Cette nouvelle présence taxable n’est pas la seule annonce issue de ce G7. Le taux de l’impôt sur les sociétés devra désormais respecter un minimum autorisé. Dirigeant.e.s, gardez la main sur la carte et pointez désormais la localisation de vos filiales, succursales et autres présences taxables reconnues à ce jour. Le taux d’impôt sur les sociétés de chacune de ses implantations ne doit pas être inférieur à 15 %. Les détails sont à venir mais l’axe est clair : les localisations fiscales privilégiées du point de vue de l’impôt sur les sociétés entament ici leur champ du cygne après la première épreuve, en 2015, de la transparence fiscale accrue et
de l’échange automatique de renseignement entre administrations fiscales.

C’est bien là la quadrature du cercle de cette révolution. Après le cadrage des bases imposables, les États s’étaient lancés dans une compétitivité par le bas en matière de taux d’impôt sur les sociétés. La France n’a fait que suivre ce mouvement amplifié par les États-Unis. Cette compétition a donc désormais un seuil limite de 15 %, fruit d’un consensus très politique. Mais au-delà de la mise à mal de certaines stratégies fiscales se conjuguant désormais à l’imparfait et qui doivent être ajustées en conséquence, cette réforme à venir pourrait devoir interroger aussi celles et ceux dont les entreprises disposent d’implantations subies, fruit d’une histoire, qui ne respecteraient pas ce seuil minimal de taux d’impôt sur les sociétés.

Le taux d’impôt sur les sociétés de chacune des implantations à l’international ne doit pas être inférieur à 15 %

Il n’y a là qu’un pas pour s’interroger sur l’effet des 14 autres mesures sur l’organisation et le fonctionnement de son groupe…L’articulation de cette question avec celle des règles internationales applicables en matière de TVA ou taxes indirectes équivalentes offre une aire de jeu intellectuelle exigeante, notamment s’il est question de supply chain.

Pour les consommateurs ou fournisseurs significatifs de biens cette réflexion se conclut avec celle sur la gestion des droits de douane, terrain où se concentre désormais les rivalités fiscales des blocs économiques et politiques.

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