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Entreprises loi PACTE être ou ne pas être ?

La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) du 22 mai 2019 qui aurait pu être dénommée « loi impact » a modifié le Code civil, en reprenant une tendance de fond : la performance économique n’est pas antinomique avec l’intérêt collectif et l’entreprise peut aussi poursuivre un but sociétal et/ou environnemental.

Caroline Prunières Avocate associée de la société d'avocats LEXYMORE - BORDEAUX

Caroline Prunières Avocate associée de la société d'avocats LEXYMORE - BORDEAUX © Atelier Galien

Les étudiants en droit à la Sorbonne au début des années 1990 suivaient les cours de droit des sociétés de l’éminent professeur Yves Guyon qui leur enseignait qu’à l’instar de la société civile au sens politique du terme, la viabilité des sociétés privées impliquait un subtil équilibre et une saine répartition des pouvoirs, notamment entre le pouvoir exécutif (la direction de l’entreprise) et le pouvoir législatif (l’assemblée des associés/actionnaires). C’était l’époque où se posait la question de l’entrée des salariés aux conseils d’administration des sociétés anonymes afin qu’une représentativité de tous ceux qui font l’entreprise puisse s’y exprimer. C’était également l’époque où les actionnaires attendaient au premier chef un retour sur investissement et une rémunération substantielle de leur participation en capital.

La vocation première de la société, quel que soit son objet social, était de faire des bénéfices. Ces bénéfices étaient les profits et les avocats d’affaires étaient souvent questionnés sur l’optimisation desdits profits, via notamment de subtils montages en droit des sociétés. À l’heure où se pose pour chaque citoyen la question du sens, et que la génération « WHY ? » entre dans le monde du travail, il était logique que l’univers du droit des affaires soit également impacté par ces questionnements relatifs à la signification des termes « faire société ».

La loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) du 22 mai 2019 qui aurait pu être dénommée « loi impact » a modifié le Code civil, en reprenant une tendance de fond, puissante et salvatrice : la performance économique n’est pas antinomique avec l’intérêt collectif et l’entreprise peut aussi poursuivre un but sociétal et/ ou environnemental.

L’entreprise du XXIe siècle peut renouer, quelle que soit sa taille, avec la notion de bénéfices au sens étymologique du terme, « beneficio », faire du bien. L’entreprise va pouvoir « dégager des bienfaits ». Son modèle économique sera dès lors basé sur sa contribution dans la société civile. Dans cette perspective, la loi PACTE organise une fusée à trois étages :

  • Premier étage : la loi complète la définition légale de l’intérêt social (1).
  • Deuxième étage : la société peut se doter d’une raison d’être (2).
  • Troisième étage : la société peut adopter le statut « d’entreprise à mission » (3)

L’ENTREPRISE DU XXIe SIÈCLE PEUT RENOUER, QUELLE QUE SOIT SA TAILLE, AVEC LA NOTION DE BÉNÉFICES AU SENS ÉTYMOLOGIQUE DU TERME, «BENEFICIO», FAIRE DU BIEN.

1. L’INTÉRÊT SOCIAL DE L’ENTREPRISE

L’article 1833 du Code civil dans sa nouvelle rédaction dispose que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun de ses associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Conséquence directe : les dirigeants vont devoir déterminer les orientations de l’activité de la société et veiller à leur mise en œuvre conformément à son intérêt social et dans le respect des enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Toutes les entreprises sont concernées par cette nouvelle obligation, quels que soient leur taille (TPE, PME, ETI, grandes entreprises), chiffre d’affaires, secteur d’activité. Si le texte ne prévoit pas de sanction, il sera prudent de conserver les éléments permettant de prouver que les dirigeants ont pris en considération les enjeux sociaux et environnementaux et de se conformer à toutes les obligations prévues dans des dispositifs spécifiques : droit du travail, droit de l’environnement, règlementation monétaire et financière, etc.

 

En dehors de ces textes spécifiques, les tribunaux pourront avoir à apprécier si les dirigeants ont suffisamment pris en compte les enjeux sociaux et environnementaux dans leur gestion de la société. Pour se prémunir de toute action en responsabilité, les directions vont avoir recours aux études d’impact, courses aux labels, rapports d’expertise, audits voire coaching, etc. Tous les dirigeants d’entreprises vont devoir se former sur la RSE, l’éthique, les soft skills. Évidemment, cela va avoir un coût, mais n’est-il pas plus satisfaisant de déminer les problèmes en amont, d’anticiper sa stratégie de développement en étant accompagné par des professionnels, de travailler collectivement pour les bienfaits de l’entreprise, que d’intervenir a posteriori ? Chacun sait combien les procédures peuvent être bien plus coûteuses et qu’elles aboutissent à des décisions définitives des années plus tard, dans un délai par définition incompatible avec celui de la vie des affaires. Chaque dirigeant doit donc désormais se questionner sur ce que sont aujourd’hui les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de sa société, rendre des comptes à ce sujet à ses associés, à son personnel mais aussi à ses partenaires qui sont soumis aux mêmes contraintes. Tel est le premier étage de la fusée de la loi PACTE : la responsabilisation des acteurs de l’entreprise.

 

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2. LA SOCIÉTÉ PEUT SE DOTER D’UNE RAISON D’ÊTRE

L’article 1835 du Code civil dans sa nouvelle rédaction dispose que « les statuts doivent être établis par écrit. Ils déterminent, outre les apports de chaque associé, la forme, l’objet, l’appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son fonctionnement. Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Conséquence directe : si une raison d’être a été définie dans les statuts, donc décidée par les associés fondateurs ou ultérieurement par l’assemblée des associés, les dirigeants vont devoir la prendre en considération. Là encore, cette notion de « raison d’être », qui n’est pas définie, implique une nouvelle manière de voir le profit : la société serait riche de ce qu’elle est et non seulement de ce qu’elle a, de ce qu’elle possède. La raison d’être serait le projet de long terme dans lequel s’inscrit l’objet social de l’entreprise. Quelle que soit la raison d’être choisie, il va sans dire que son non-respect par les dirigeants ou associés pourra être juridiquement sanctionné. Il s’agira alors de sanctionner une violation du pacte social.

La raison d’être doit donc être un fil conducteur pour les dirigeants et associés, un guide dans la gestion de la société qui doit les amener à la gérer conformément à son intérêt social, tout en respectant sa raison d’être. À défaut, une décision non conforme devrait en principe pouvoir faire l’objet d’une annulation. À n’en pas douter, c’est aux tribunaux qu’il appartiendra, dans les années à venir, de préciser les contours de cette notion et ses conséquences juridiques, nécessairement au cas par cas, tant chaque société a son intérêt propre et aura sa raison d’être spécifique. L’accompagnement sur mesure des dirigeants d’un point de vue juridique sera donc très utile sinon nécessaire pour limiter les risques inhérents au choix stratégique d’une raison d’être. L’enjeu, eu égard à la réputation de l’entreprise, sera également très important.

Tel est le deuxième étage de la fusée de la loi PACTE : choisir avec la collectivité des associés une raison d’être qui conditionnera les prises de décision et engagera la société à l’égard non seulement de ses associés, salariés et partenaires, mais également de ses clients.

3. LA SOCIÉTÉ PEUT ADOPTER LE STATUT D’ENTREPRISE À MISSION

La loi PACTE prévoit la possibilité pour les entreprises d’adopter le statut juridique de « société à mission ». Il faut pour cela faire respecter les critères cumulatifs suivants :

  • Les statuts de la société doivent préciser une raison d’être ;
  • Les statuts doivent aussi définir les objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ;
  • Ils doivent également préciser les modalités de suivi de l’exécution de la mission, via la création d’un comité de mission composé d’au moins un salarié, et qui est distinct des organes de gestion. Ce comité peut procéder à des vérifications et se faire communiquer tous les documents nécessaires à l’exercice de la Il rend un rapport chaque année qui est présenté à l’assemblée générale avec le rapport de gestion ;
  • Un organisme tiers et indépendant vérifie l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux et son avis est joint au rapport annuel du comité de mission ;
  • La société déclare au greffe son statut de société à mission, qui en effectue la publication.

Si l’un de ces critères n’est pas respecté ou si l’organisme tiers indépendant rend un avis négatif, le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le juge des référés pour qu’il fasse injonction au dirigeant de supprimer la mention « société à mission » de tous les actes officiels et supports de communication de la société. Avec ce statut, l’entreprise entre dans la communauté des entreprises de « l’économie responsable », qui veulent et doivent concilier but lucratif et prise en compte des impacts sociaux et environnementaux.

Toutes les entreprises peuvent décider d’adopter ce statut, ce que beaucoup de chefs d’entreprise ignorent.

Ce dernier étage de la fusée de la loi PACTE est encore plus exigeant, et s’inscrit dans le nouveau modèle entrepreneurial attendu notamment par les jeunes générations.

Beaucoup d’entreprises sont soucieuses de contribuer à l ’intérêt général et sont adeptes d’un nouveau capitalisme : il s’agit d’une dimension stratégique. Les outils juridiques offerts par la loi PACTE sont un formidable potentiel de différenciation, dès lors qu’ils sont utilisés avec engagement, responsabilité, cohérence et sincérité. Alors, pour redonner du sens à votre projet d’entreprise, posez-vous les bonnes questions : Quelle est votre raison d’être ? Quelle est votre mission ?