Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Des « Feve » pour faire pousser les agriculteurs

Vivian et Julie Santos viennent de reprendre la ferme du Trey, à Parleboscq, grâce à Fermes en vie (Feve), une entreprise bordelaise qui rachète, via l’épargne citoyenne, des exploitations à des agriculteurs en fin de carrière pour les louer, avec option d’achat, à des repreneurs motivés par l’agroécologie.

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Simon Bestel, Marc Baty et Vincent kraus, Les créateurs de Fermes en vie © Feve

La signature a eu lieu chez le notaire le 28 février, et dès le 1er mars, ils étaient aux champs sur cette enclave landaise dans le département du Gers. À Parleboscq, Vivian et Julie Santos qui se sont rencontrés au lycée agricole de Cahors (Lot), ont enfin trouvé leur perle rare, après quatre tentatives de reprise avortées en trois ans, jusqu’à l’Aveyron. Des cédants finalement pas prêts à laisser leur exploitation hors cadre familial, un agriculteur qui a profité de leur investissement humain avant de se rétracter, des exploitations trop onéreuses, un refus d’installation pour n’être pas du coin… Les natifs de Montauban (Tarn-et-Garonne) n’ont pas lâché prise.

N’INVESTIR QUE DANS LE MATÉRIEL AGRICOLE

En trouvant l’annonce de la ferme du Trey via la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural), les voilà renvoyés sur le site internet de Fermes en vie (Feve). « J’ai tout de suite accroché au principe et on s’est dit : « On tente le tout pour le tout » », se rappelle Vivian Santos qui a toujours baigné dans le milieu agricole à la ferme de ses grands-parents en Haute-Garonne, des métayers qui élevaient des bovins pour leur patron, sans donc de possibilité de reprise familiale.

« Via l’école d’agriculture et mes stages, je me suis rendu compte que c’était quasi-impossible de reprendre si on n’était pas fils d’agriculteur. » Il se recycle alors comme technicien semencier, technico-commercial en tracteurs et moissonneuses, puis commercial chez un assureur d’exploitations agricoles, en continuant à prospecter pour des reprises : « J’ai toujours eu ça dans un coin de ma tête ! »

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Vivian Santos © J. D.

LE PRINCIPE DES FERMES EN VIE (FEVE)

En 2021, Simon Bestel, Marc Baty (ingénieurs agronomes) et Vincent Kraus (ingénieur) ont créé, à Bordeaux, une foncière qui achète les fermes (minimum 30 hectares) pour ensuite les louer à des porteurs de projet qui s’engagent dans une démarche agroécologique. En 20 mois, sept reprises ont ainsi été soutenues, dont cinq en Nouvelle-Aquitaine, une en Occitanie et une en Normandie. Objectif cette année : financer une douzaine de projets, en achetant les terres et les murs.

La structure juridique (11 personnes y travaillent, bientôt 12) est financée par des particuliers qui peuvent investir à partir de 500 euros et jusqu’à des centaines de milliers d’euros chacun. À ce jour, il y a environ 700 souscripteurs – quasiment que des Français et quelques Européens – pour 7 millions d’euros collectés (10 000 euros en moyenne, avec tout type de personnes et de gros écarts, certains ayant déposé 500 euros quand d’autres ont investi 200 000 euros). La valeur des parts des investisseurs est réévaluée chaque année, grâce aux loyers payés et à l’évolution du prix du foncier. L’entreprise ayant l’agrément économie sociale et solidaire (ESS), une réduction d’impôts de 25 % du montant investi est consentie.

www.feve.co/investir

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© J. D.

Découvrir le réseau Feve lui a alors « tout simplifié », dit-il aujourd’hui, un an après leur premier contact. 48 heures après avoir posé sa candidature, un chef de projet l’a contacté : « Ils ont voulu mieux me connaître, mon parcours, mon expérience professionnelle, pour déterminer nos capacités à monter le dossier. » Une fois achevé le prévisionnel, il est passé en comité Fermes en vie, puis au travail avec les techniciens, la Safer, la chambre d’agriculture « en étroite collaboration avec Feve qui nous accompagne et nous appuie, en médiateur ». Un rôle de médiation très important aussi avec le cédant : « On a pu se regarder, s’écouter, avoir confiance les uns envers les autres et ainsi, au fur et à mesure, voir tout se concrétiser. »

Avec Feve, « on est comme en couple, un genre de mariage : ils sont garants de l’acquisition du foncier, du bâtiment d’exploitation et de la maison d’habitation, et nous du matériel agricole », explique-t-il.

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Installation en famille à Parleboscq © J. D.

DIVERSIFICATION DES CULTURES

Sur les 180 hectares jusque-là en monoculture maïs, le couple s’est engagé à diversifier les productions (maïs doux et pop-corn, tournesol, orge, colza, haricots verts, pommes de terre…) et arrêter le labour, tout en implantant en inter-cultures des couverts végétaux (trèfle, légumineuses…) de façon à améliorer la fertilité naturelle et mieux stocker carbone et eau dans les sols.

« Le but est simple : diminuer au maximum les intrants et les postes énergivores (GNR) et optimiser l’eau sur l’exploitation », selon Vivian Santos, pas peu fier d’avoir réussi les débuts de son pari d’installation. Le nouveau locataire a sept ans pour faire ses preuves, et « la huitième année, si on le souhaite, on pourra activer l’option d’achat. Ça redonne espoir à tout type de candidat qui souhaite s’installer ».

«DES RISQUES DIVISÉS PAR QUATRE »

LES DIFFICULTÉS SURMONTÉES

« Avec Feve, on a réussi à réaliser un projet qui, sans eux, n’aurait jamais pu se faire. Pour nos débuts, on attend toujours une machine qu’on a commandée, le strip-till qui permet en un passage cinq actions et laisse les sols tranquilles. Comme la saison a commencé, je suis allé récupérer un engin d’occasion qu’on nous prête, j’ai dû retaper pas mal de choses dessus, mais on s’en sort ! »

L’INVESTISSEMENT

« Travailler avec Feve assouplit le montage financier. Les risques sont divisés par quatre sur une structure comme celle-là dans la mesure où ils prennent en charge les bâtiments et le foncier. Nous avons investi 500 000 euros sur toute la mécanisation de l’exploitation : irrigation, séchage, traction et travail au sol. La banque, le Crédit Agricole, nous a suivis sans problème, ils savent de quoi ils parlent, tout se passe sans ambiguïté. »