Couverture du journal du 07/05/2024 Le nouveau magazine

Chez D’Artigues, le foie gras a de l’avenir

Les soubresauts de la filière palmipèdes n’ont pas dissuadé Pascal Lannebère et Jérôme Sarciat de reprendre la conserverie D’Artigues, à Pomarez, en 2022. Des projets plein la tête, ils envisagent le futur avec sérénité.

D'Artigues

Jérôme Sarciat et Pascal Lannebère © D. R.

« Un petit chez soi vaut aussi bien qu’un grand chez les autres… » : Pascal Lannebère et Jérôme Sarciat ont adopté la maxime. Après une vingtaine d’années dans de grands groupes internationaux, l’un comme directeur financier dans l’agroalimentaire, l’autre comme responsable commercial dans le domaine de l’optique, les deux quinquagénaires ont souhaité mettre leur expérience au profit d’une aventure entrepreneuriale. Ils ont ainsi repris les établissements D’Artigues, à Pomarez, en 2022.

Tous deux sont amis d’enfance. Originaire de Doazit, « dans la banlieue de Pomarez », Pascal Lannebère rencontre son acolyte dacquois sur les bancs du lycée de Borda. Ensemble, ils suivent également une prépa à Bayonne, avant que leurs carrières respectives ne les éloignent l’un de l’autre. « Mais nous nous sommes retrouvés à Dax, il y a une quinzaine d’années », raconte Jérôme Sarciat.

Au fil des discussions, ils se rendent compte qu’ils partagent le même rêve : s’engager dans un « deuxième parcours de vie professionnelle », en reprenant une entreprise qui a du sens pour eux. Rapidement, ils jettent leur dévolu sur D’Artigues, conserverie réputée pour ses foies gras, rôtis de magret et autres spécialités à base de canard. « Elle possède un véritable savoir-faire, plusieurs fois récompensé au Concours général agricole. Et même si elle n’a jamais communiqué, elle jouit d’une belle notoriété qui s’est construite unique- ment sur la qualité de ses produits. »

En 2015, ils font une offre à Didier d’Artigues. Mais le cédant n’est pas prêt à lâcher l’entreprise qu’il a créée 40 ans plus tôt. Ils ne se découragent cependant pas et arrivent à leurs fins le 11 janvier 2022. « Didier n’aurait pas laissé son entreprise à n’importe qui et il a fini par nous accorder sa confiance. Il a compris que nous souhaitions maintenir ce qu’il a créé et son niveau d’exigence. »

30 000 CANARDS TRANSFORMÉS PAR AN

Les deux hommes n’ont pas hésité à investir plus d’1 million d’euros dans une filière fragilisée par de multiples épisodes d’influenza aviaire. « On peut y voir du panache ou de l’inconscience, sourit Pascal Lannebère. Nous, nous voyons surtout des perspectives positives. Le foie gras reste un des plats préférés des Français pour les fêtes de fin d’année. La filière est effectivement mal-menée, mais cela ne va pas mettre fin à la production ni à la consommation. Nous ne nous lançons pas en mode investisseurs. Nous nous inscrivons dans la durée et nous y croyons. »

En plein cœur de la « Silicon Valley du foie gras », D’Artigues transforme 30 000 canards par an. « Notre prédécesseur travaillait avec quelques producteurs et le négoce. Nous avons changé notre fusil d’épaule en nous appuyant beaucoup plus sur les producteurs locaux », indique Jérôme Sarciat. Le duo a ainsi négocié des tarifs à l’année avec une dizaine d’éleveurs-engraisseurs installés dans un rayon de 50 kilomètres autour de la

conserverie. « C’est ce qui nous a un peu sauvés cette année. Un seul de nos producteurs a été touché par l’influenza aviaire. Nous avons maintenu nos approvisionnements grâce aux neuf autres, alors que le négoce avait très peu de foies à vendre. » Contractualiser avec des producteurs leur a également permis de développer l’offre en cuisses et magrets. « Cela nous assure des ventes tout au long de l’année et dilue un peu la saisonnalité de notre activité. » D’Artigues réalise en effet 75 % de son chiffre d’affaires en deux mois.

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L’entreprise a contractualisé avec une dizaine d’éleveurs-engraisseurs installés dans un rayon de 50 kilomètres autour de la conserverie © D. R.

D’ARTIGUES DANS LE GAULT & MILLAU

Dans son édition 2023 des Escapades gourmandes en Nouvelle-Aquitaine, le célèbre guide Gault & Millau consacre un article à D’Artigues. Dans ses pages spéciales « Saveurs locales », il met en avant le confit de canard comme produit phare de la région et distingue la conserverie de Pomarez pour ses cuisses confites.

TROIS EMBAUCHES EN SEPTEMBRE

Ce chiffre d’affaires est en augmentation. Alors qu’il était de 1,2 million d’euros lors de la reprise, il est monté à 1,3 million l’an dernier, et il devrait atteindre 1,8 million fin 2023. « L’idée n’est pas de devenir les champions du canton, mais de grandir tout doucement pour rester une entreprise forte sur le territoire et créer de l’emploi localement. » Trois embauches sont d’ailleurs prévues en septembre, ce qui portera à 14 l’effectif de la conserverie.

« Il s’agit d’emplois pérennes, précisent les dirigeants.  Nous évitons d’avoir recours à des saisonniers afin de faire perdurer le savoir-faire qui est notre force. Et ce savoir-faire, ce sont nos salariés qui le détiennent. Ils sont là depuis longtemps : lorsqu’on a repris, le plus jeune avait 15 ans de boîte ! » Pour assurer le confort et la fidélité de l’équipe, les contrats sont annualisés. Les employés travaillent quatre jours par semaine pendant neuf mois et cinq jours sur les trois derniers mois de l’année.

D'Artigues

La boutique d’usine attenante à la conserverie va être transformée en magasin de producteurs locaux © D. R.

DIVERSIFICATION DANS LE GIBIER

Si en 2022, Pascal Lannebère et Jérôme Sarciat se sont assurés de poursuivre l’activité en conservant les clients historiques, ils entendent désormais apporter leur touche à l’entreprise. Et les projets ne manquent pas, à commencer par la transformation de la boutique d’usine attenante à la conserverie en magasin de producteurs locaux. Une alternante les a rejoints fin août pour développer ce projet destiné à « générer du trafic sur le site et à devenir un lieu de vie locale ».

En s’appuyant sur les savoir-faire de ses salariés, D’Artigues proposera bientôt des préparations à base de gibier, en plus de celles à base de canard. « Nous sommes soutenus par la Fédération départementale des chasseurs et les services vétérinaires, car actuellement, il n’y a pas de structure agréée pour travailler le gibier dans le département. » Un atelier dédié a été mis en place. « On sait assaisonner, fumer, sécher… Cela nous est apparu comme une démarche responsable pour le territoire. Non seulement nous allons professionnaliser cette filière en valorisant une viande naturelle avec très peu de matière grasse, mais ce projet est aussi générateur d’emplois sur le site. » En attendant d’obtenir l’agrément officiel pour lancer la production, les deux hommes travaillent sur différentes recettes. À côté des traditionnels civets de chevreuil ou de cerf, ils testent un axoa de sanglier et du sanglier façon pulled pork…

« TRAVAILLER À DEUX EST UNE FORCE AU QUOTIDIEN » LE PROCESSUS DE REPRISE

Jérôme Sarciat : « Reprendre une entreprise à deux nous est apparu d’autant plus facile que nos profils sont complémentaires. C’est notre capacité à monter un projet solide et à nous mettre en perspective qui nous a permis de convaincre le cédant de nous faire confiance. Et travailler à deux est une force au quotidien. Contrairement à un entrepreneur isolé, quand on a un problème, on le partage. Le conseil d’administration, on l’a tous les jours à la machine à café ! »

LE FINANCEMENT

Pascal Lannebère : « Outre nos apports personnels, nous avons été très bien accompagnés par le Crédit Agricole. Nous sommes également lauréats de Réseau Entreprendre Adour qui nous a accordé un prêt et apporté son soutien à toutes les étapes du projet. Enfin, la région Nouvelle-Aquitaine va nous aider à investir dans la modernisation de l’outil industriel, car nous sommes également lauréats du programme Usine du futur. »

LA COMMUNICATION

Jérôme Sarciat : « À date, nous n’en faisons presque aucune. Notre meilleure communication, c’est la notoriété de nos produits que notre prédécesseur a su construire. Nos seules opérations consistent à envoyer un catalogue à nos clients historiques et à être partenaires de la course landaise et des associations locales à Pomarez.

Toutefois, s’il ne nous a pas été nécessaire d’investir d’emblée sur ce poste, c’est quelque chose que nous allons développer dès 2024 avec une nouvelle identité visuelle, un nouveau site internet et de la communication sur les réseaux sociaux. »

LES FACTEURS CLÉS DU SUCCÈS

Pascal Lannebère : « La première clé de notre réussite a vraiment été de trouver l’entreprise telle qu’elle nous avait été décrite. Certains se retrouvent avec de mauvaises surprises après une reprise. Ça n’a pas été notre cas, le cédant a été complètement sincère. D’ailleurs, il nous a accompagnés pendant pas mal de temps, car il est très soucieux de la pérennité de l’entreprise qu’il a créée. La deuxième clé, c’est d’avoir conservé l’équipe. Ce sont les salariés qui sont détenteurs du savoir-faire. Enfin, notre plus, ce sont nos 25 années d’expérience professionnelle dans des métiers différents. Cela nous donne de bons réflexes en matière de gestion. »