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Bâtiment : « Susciter des vocations » Jean-Luc Tachon, président de la Capeb 40

Président de la Confédération artisanale des petites entreprises du bâtiment (Capeb) des Landes depuis le 1er décembre 2020, soit juste avant le premier confinement Covid, Jean-Luc Tachon, menuisier à Bascons, s’inquiète du contexte international incertain, entre pénurie de matériaux et hausse des coûts de l’énergie. Le point sur les conséquences locales dans un secteur qui peine toujours à recruter.

Jean-Luc Tachon, Président de la Capeb des Landes

Jean-Luc Tachon, Président de la Capeb des Landes © JPEG Studios

Les Annonces Landaises : Comment qualifieriez-vous la situation actuelle dans le secteur du bâtiment dans les Landes ?

Jean-Luc Tachon : Actuellement, c’est une situation satisfaisante en termes de volume d’affaires, mais inquiétante en termes de difficultés d’approvisionnement et de hausse de prix. Depuis deux ans avec la Covid, les prix augmentent, le marché a explosé. La guerre Russie-Ukraine est très problématique : ces pays sont de gros pourvoyeurs de bois blanc, d’aluminium. L’aciérie de Tarnos se fournissait à 40 % en Ukraine par exemple. Au niveau des tuiles, certains producteurs locaux préfèrent cesser de produire plutôt que de produire trop cher du fait de l’explosion du coût de l’énergie. On est dans une économie mondiale et on en voit bien les limites. L’avenir proche va être encore plus difficile. Tous les trois mois, on constate une augmentation de 10 %. Sur les 12 derniers mois, l’acier pour la construction a pris 48,5 %, le cuivre 25,7 %, le PVC 60,7 %, etc. Chez moi, par exemple, côté menuiserie, on a des hausses de 15 % sur des blocs-portes. C’est très difficile de maintenir les marges, de faire des devis, d’aller voir les clients et leur dire que ça coûte plus cher.

Une situation satisfaisante en termes de volume d’affaires, mais inquiétante en termes de difficultés d’approvisionnement et de hausse de prix

LAL : Comment réagissent les clients ?

J.-L. T. : Sur le terrain, le particulier ne comprend pas. Nous avons fait un courrier d’explication que les artisans peuvent montrer aux clients sur les augmentations et l’instabilité des prix, pour bien expliquer que ces problèmes ne sont pas le fait de l’artisan lui-même. Sur les métaux, les négociants n’assurent pas le prix au-delà de deux heures sur certains produits indexés au cours mondial tels que l’acier, tellement les marchés sont volatils.Seuls 55 % des artisans ont vraiment répercuté la hausse des matériaux, pour l’instant ils ponctionnent surtout leur marge. On ne peut pas forcément tout répercuter sur les particuliers. Et on est toujours confronté à des problèmes de validité de devis. On leur conseille donc d’au moins baisser leur validité à un mois au lieu de trois habituellement. On est là pour les sécuriser, les conforter, pour ne pas mettre en péril leur activité.

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LAL : Comment voyez-vous les mois à venir ?

J.-L. T. : Nous avons la chance d’être sur des territoires très attractifs, mais nous craignons un effondrement de la trésorerie à la fin de l’année. Ça va être très compliqué, ça nous inquiète beaucoup. Heureusement, les Prêts garantis par l’État (PGE) sont prolongés mais à un moment, il faudra bien les honorer. Des collègues artisans, notamment des peintres, voient par ailleurs ces derniers temps, les demandes de devis se tarir, cela nous inquiète.  Ils sont sur un marché de cadre de vie parfois plus accessoire, les clients repoussent la prise de décision comme il n’y pas d’urgence à repeindre une façade, contrairement à la réparation d’une chaudière qui tombe en panne.

Vu l’instabilité des prix, on conseille aux artisans de baisser la validité des devis à un mois au lieu de trois habituellement

Nous faisons constamment remonter ces ressentis. Nous participons d’ailleurs, toutes les trois semaines, à un comité de veille économique mis en place par la préfecture, avec les chambres consulaires, les autres organisations professionnelles comme l’U2P, le Medef, la Fédération française du bâtiment (FFB), et aussi la Banque de France, Pôle emploi, les collectivités locales, etc.

LAL : Qu’en est-il des marchés publics ?

J.-L. T. : On a dû soutenir des adhérents face à des collectivités locales qui refusaient toute augmentation par rapport aux contrats, mais des artisans ont des matériaux qui ont doublé de prix en six mois ! Au niveau national, on a obtenu en début d’année de ne pas être pénalisé si on n’arrive pas à obtenir des produits du fait des pénuries, qu’il n’y ait pas de pénalités de retard sur des problèmes qui ne seraient pas dus à l’artisan, mais au contexte global.

On avait demandé aussi une meilleure actualisation de l’index BT de l’Insee, compte tenu de la croissance exponentielle des coûts : le ministre de l’Économie a demandé à l’Insee un index plus fréquent, tous les 45 jours au lieu de trois mois. La Capeb a obtenu gain de cause.

Jean-Luc Tachon, Président de la Capeb des Landes

Jean-Luc Tachon, Président de la Capeb des Landes © JPEG Studios

L’ARTISANAT DU BÂTIMENT EN CHIFFRES DANS LES LANDES

4 640 entreprises artisanales dont 3 248 sans salarié (70 %)

7 224 salariés

343 contrats d’apprentissage

75 % des apprentis engagés en CDI à l’issue de leur formation

50 % des salariés formés deviennent chefs d’entreprise dans les 10 ans

68 % des artisans sont patrons avant l’âge de 30 ans

À la Capeb, plus de 650 adhérents dans les Landes, avec 80 % d’entreprises de moins de 10 salariés dont 40 % en solo. Entre 6 % à 7 % de croissance par an depuis trois ans.

Lors de la dernière mesure de représentativité des organisations patronales, la Capeb est devenue, en décembre 2021, l’organisation majoritaire en France pour les entreprises jusqu’à 10 salariés, en nombre d’entreprises (54 042) et de salariés (125 336).

LAL : Dans ce contexte, la problématique du recrutement reste essentielle…

J.-L. T. : Côté recrutement, on est sinistré, c’est une question qui fâche, surtout en cette période où le carnet de commandes est très intéressant malgré le contexte tendu. De nombreuses entreprises limitent leur volume d’affaires par manque de personnels (maçons, charpentiers, menuisiers, peintres, etc.). C’est très frustrant, il y a de l’activité et on ne peut pas répondre à la demande. Voilà pourquoi nous avons mis en place des actions de valorisation des métiers du bâtiment, à commencer par l’amélioration des conditions de travail et de rémunération. On le dit peu mais on gagne bien, voire très bien sa vie dans le bâtiment. Il est grand temps que notre profession soit reconnue.

De nombreuses entreprises limitent leur volume d’affaires par manque de personnels. C’est très frustrant

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LAL : En quoi consiste votre opération « Artisan messager », mise en place depuis quatre ans ?

J.-L. T. : Il s’agit de susciter des vocations pour nos métiers. L’idée est de valoriser nos filières dans les collèges du département, notamment auprès des élèves des classes de 4e et 3e avec une matinée consacrée à la présentation de l’activité et des formations du bâtiment. Puis une après-midi dédiée au travail pratique : assemblage d’éléments de charpente, d’un petit escalier, d’éléments de plomberie, branchement d’un tableau électrique basse tension pour allumer une lampe… Toute cette journée pédagogique repose sur trois de nos collègues artisans qui prennent sur leur temps pour mettre en avant notre secteur d’activité auprès des jeunes.

Avec Artisan messager, on essaie de susciter des vocations pour nos métiers du bâtiment en allant directement dans les collèges

Ils touchent la matière, loin du monde virtuel, parfois ils ne veulent même pas partir en récréation tellement ils sont passionnés. Et on arrive là à toucher un public féminin, en expliquant que les conditions de travail se sont améliorées. 78 % des apprentis sont formés par des petites entreprises, c’est pour cela qu’on travaille beaucoup sur les jeunes. Au centre de formation des apprentis en BTP de Morcenx, il y avait moins de 300 étudiants en 2019, ils sont 343 cette année. La forte activité du secteur du bâtiment conjuguée à des mesures financières gouvernementales incitatives ont créé un effet de levier qui a dynamisé l’apprentissage. La création de titre professionnel en formation courte d’un an a aussi permis d’attirer un nouveau public : des adultes en reconversion professionnelle, des profils très intéressants de personnes volontaires qui sont très motivées.

BTP ET POMPIERS

Combiner l’apprentissage des métiers du bâtiment avec la formation de pompier volontaire, il fallait y penser. Le centre de formation des apprentis de Morcenx, le Service départemental d’incendie et de secours des Landes (SDIS 40) et la Capeb 40, l’ont fait. Les problèmes de recrutement des deux domaines sont récurrents, d’où l’idée de les réunir en un diplôme, autour de valeurs communes : l’esprit d’équipe, le respect des règles de sécurité et de la hiérarchie… La deuxième promotion du CAPA BTP Pompier sera constituée à la rentrée 2022-2023. Une section jusqu’ici unique en France.