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Barreau de Dax : bilan et perspectives, interview avec Maître Pierre-Olivier Dilhac, bâtonnier

Crise sanitaire, réformes en série et perspectives pour la profession… Pierre-Olivier Dilhac qui a pris ses fonctions de bâtonnier du barreau de Dax il y a un an, fait le point.

Maitre Pierre-Olivier Dilhac, bâtonnier du barreau de Dax © Jpeg studios

Maitre Pierre-Olivier Dilhac, bâtonnier du barreau de Dax © Jpeg studios

Les Annonces Landaises : Comment les avocats ont-ils vécu la crise sanitaire ? Avec les affaires renvoyées pendant les confinements, certains se sont-ils retrouvés en difficulté ?

Pierre-Olivier DILHAC :  Pendant le confinement du 17 mars au 11 mai 2020, tous les secteurs ont été impactés. La juridiction a connu pendant cette période un arrêt total d’activité. La reprise a été progressive et nous avons retrouvé un rythme normal de juridiction à partir du printemps 2021.

Nous avions mis en place une cellule de veille pour les confrères. Si l’un d’eux a bénéficié d’une aide financière, contrairement à d’autres barreaux, nous n’avons connu aucun dépôt de bilan.

LAL : Avez-vous observé une augmentation de l’usage du numérique et de la visioconférence pendant cette période ?

P.-O.D. : Sans audience et sans rendez-vous, nous avons continué à échanger entre avocats, en travaillant depuis nos cabinets respectifs ou d’autres lieux, puisque maintenant les logiciels de gestion des cabinets sont hébergés dans le Cloud. Depuis plusieurs années nous bénéficions par ailleurs du Réseau privé virtuel des avocats (RPVA), le réseau intranet qui nous permet de communiquer de manière sécurisée avec les tribunaux du ressort de la cour d’appel de Pau : Dax, Mont-de-Marsan, Bayonne, Tarbes et Pau.

Nous avons également développé la visioconférence qui reste surtout appropriée pour le contentieux des entreprises et l’activité de conseil. Dès l’instant où l’on traite des dossiers en lien avec l’individu et la sphère personnelle, le contact humain demeure privilégié.

Les tribunaux de Dax et de Mont-de-Marsan conservent leurs compétences principales

LAL : L’année 2021 a été marquée dans les Landes par l’inauguration du nouveau palais de justice de Mont-de-Marsan. Qu’en pensent les avocats du barreau de Dax ?

P.-O. D. : Les conditions de travail des magistrats, des greffiers, des personnels de greffe et des avocats ainsi que les conditions d’accueil des justiciables étaient indignes ; le palais de justice de Mont-de-Marsan était insalubre. Le nouveau palais inauguré au mois de septembre 2021 est moderne, lumineux, fonctionnel, équipé des dernières technologies ; toutes les salles d’audience sont dotées de matériel de visioconférence. C’est la justice du XXIe siècle. Les esprits chagrins diront que cette nouvelle organisation entraîne des changements d’habitudes : la sécurisation de tous les accès avec des badges rend les déplacements moins aisés à l’intérieur du palais de justice et les services du greffe sont moins accessibles qu’auparavant. Il faut savoir ce que l’on veut.

LAL : Ce nouvel équipement landais pourrait-il constituer une menace pour le tribunal de Dax ?

P.-O. D. : Lorsque la réforme de la carte judiciaire a été envisagée en 2007, le tribunal de Dax était menacé ; tel n’est pas le cas aujourd’hui. La politique actuelle de la Chancellerie favorise le maillage territorial et la proximité avec les justiciables. Un décret a été signé le 28 décembre dernier visant à répartir les contentieux entre les deux juridictions de Dax et de Mont-de-Marsan : il a été finalement décidé que chacune conserverait ses compétences principales ; la répartition se limite à quelques contentieux spécifiques mineurs. Au niveau du contentieux pénal, si le pôle d’instruction reste à Mont-de-Marsan, le champ d’intervention du cabinet d’instruction dacquois va se développer.

La conséquence du manque d’effectif dans les tribunaux se caractérise par l’allongement parfois insensé des délais de procédure

À Dax, l’effectif des magistrats, des greffiers et des personnels administratifs a été renforcé. Dans la mesure où le contentieux augmente, le palais de justice a besoin de mètres carrés supplémentaires pour lesquels des projets immobiliers sont envisagés.

Barreau de Dax

© Shutterstock

LAL : Au niveau national, les magistrats sont montés au créneau en fin d’année sur le manque de moyens dans les tribunaux. Cette pénurie rejaillit-elle sur les avocats ?

P.-O. D. : Les avocats ont été solidaires de ce mouvement, intervenu après le suicide d’une magistrate de Béthune, en août dernier. Les magistrats à qui on en demande toujours plus sans leur donner les moyens ont effectivement des conditions de travail dégradées. Comme pour les équipements matériels, lorsque la juridiction sollicite la création de postes, ils ne sont pourvus qu’après un long processus administratif. Dans l’intervalle, les contentieux se sont développés, de nouvelles règles ont été fixées… et l’effectif ne répond toujours pas à la situation. La justice dans son ensemble s’en trouve décrédibilisée.

La conséquence de  ce  manque de postes de magistrats, de greffiers et de personnel administratif se caractérise par l’allongement parfois insensé des délais de procédure, des délais de convocation notamment. Pensez qu’à ce jour, une demande en résiliation de bail d’habitation pour défaut de paiement des loyers est audiencée par le greffe en septembre prochain ; c’est parfaitement anormal. Une fois de plus, la justice s’en trouve décrédibilisée.

Le secret constitue la pierre angulaire de notre profession

LAL : Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a suscité le débat entre la profession et la Chancellerie à l’automne dernier, en particulier sur les exceptions à la protection du secret professionnel des avocats sur les activités de conseil en matière fiscale. Qu’en pensez-vous ?

P.-O. D. :   Au-delà des débats, le texte tel qu’il a été voté par le Parlement est conforme aux propositions qui avaient été faites par la Conférence des Bâtonniers. Le secret professionnel doit être protégé au maximum ; les seules restrictions se limitent aux infractions de fraude fiscale, de corruption et de financement du terrorisme, ainsi qu’à leur blanchiment. Si les exceptions étaient plus nombreuses, nous n’aurions pas la confiance de nos clients. Si l’on avait la liberté de divulguer leurs confidences, nous les trahirions. Le secret constitue la pierre angulaire de notre profession.

 

LAL : Le recours à la médiation judiciaire qui avait déjà pris de l’ampleur avec la loi de réforme de la justice en 2019, vient d’être renforcé par la loi du 22 décembre 2021, avec notamment la création du Conseil national de la médiation. Quel rôle joue le barreau de Dax en la matière ?

P.-O. D. : Nous avons créé la chambre de médiation des Landes, il y a cinq ans environ. Cette association est exclusivement animée par des avocats du barreau dacquois. Elle a deux missions : faire de la médiation conventionnelle lorsque deux parties au moins décident d’avoir recours à un médiateur pour mettre un terme à leur différend en dehors de toute procédure. Elle pratique également la médiation judiciaire dont le fonctionnement est identique à la médiation conventionnelle si ce n’est qu’elle est initiée dans ce cas par le magistrat qui mandate la chambre de médiation pour tenter de régler un différend dont le tribunal est saisi. Quel que soit le type de médiation (conventionnel ou judiciaire), l’objectif est identique : parvenir à une solution amiable plus rapidement que s’il fallait attendre un jugement.

La digitalisation va forcément révolutionner nos métiers

« AVOCATS, ACTEURS DANS LA CITÉ »

Représentant des 74 avocats du barreau de Dax pour deux ans, le bâtonnier est garant de la déontologie professionnelle. Il a notamment pour mission de gérer les conflits entre clients et avocats et les différends entre avocats. « Le bâtonnier assure également le lien entre les avocats du barreau et nos instances nationales -le Conseil national du barreau et la Conférence des Bâtonniers- qui nous tiennent très régulièrement informés des évolutions de la profession, des réformes et débats en cours », résume Pierre-Olivier Dilhac. « Les avocats sont également acteurs dans la cité, avec des missions auprès de la préfecture, de la chambre de commerce et d’industrie et de la chambre de métiers et de l’artisanat. Nous tenons des permanences mensuelles pour tout type de consultation au sein du tribunal de commerce de Dax, à la mairie de Dax, de Capbreton, de Soustons et de Peyrehorade sans parler des consultations que nous nous apprêtons à reprendre dans nos cabinets. »

LAL : Quel est votre point de vue sur la réforme de la procédure des mesures disciplinaires des avocats ?

P.-O. D. : Le système précédent fonctionnait très bien. Avec la récente réforme qui entrera en vigueur le 1er juillet 2022, les justiciables auront la possibilité de saisir directement le conseil de discipline. Dès la première instance, le conseil de discipline sera présidé par un magistrat, alors que, jusqu’à présent, il était exclusivement composé d’avocats. Il semblerait que la raison de ce changement réside dans la volonté d’éviter d’éventuelles collusions.

LAL : Attendez-vous des résultats particuliers des États généraux de la justice lancés en octobre dernier ?

P.-O. D. : La profession y participe activement par la mise en place d’ateliers de recherche  au  sein du Conseil national des barreaux (CNB) et de la Conférence des Bâtonniers. Toutefois, il s’agit d’un projet d’envergure qui mérite que nous disposions de délais suffisants, ce qui n’est pas le cas. De ce fait, la profession reste dubitative.

LAL : Craignez-vous que la réforme des retraites qui avait provoqué un mouvement de grève dans votre profession en janvier 2020 s’invite de nouveau dans les débats dans les mois à venir ?

P.-O. D. : C’est probable. Dans ce cas, les avocats seront vigilants. Nous disposons d’une caisse autonome excédentaire du fait de sa saine gestion par la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) qui a également profité d’une progression favorable du nombre d’avocats. Nous avons aujourd’hui plus de cotisants que de retraités. Si notre caisse est excédentaire, venir en récupérer le fruit pour abonder le puits sans fond du régime général ne servirait à rien. C’est la raison pour laquelle la profession a été très mobilisée lorsque ce projet a été présenté. Notre régime ne pose pas de problème ; il n’y a donc pas de raison de le remettre en cause.

LAL : Comment imaginez-vous les évolutions de votre métier ?

P.-O. D. : Il est actuellement difficile de savoir quelle va être la part que prendront les legaltechs qui restent encore marginales. S’agissant de la justice prédictive, elle n’en est qu’à ses balbutiements. La Chancellerie continue de numériser toutes les décisions de justice. On en verra peut-être les effets dans 10 ans.

Mais, la digitalisation va forcément révolutionner nos métiers. Les cabinets vont s’externaliser et les audiences en visioconférence pourraient se développer ce qui nous permettrait de plaider devant toutes les juridictions françaises depuis notre cabinet. Il est probable néanmoins que l’on plaidera de moins en moins. Si l’oralité est encore privilégiée devant le juge pénal, le juge aux affaires familiales, devant le conseil des prudhommes, devant le tribunal de commerce et parfois encore devant le juge civil, les effets de manches sont rares. La plaidoirie se concentre aujourd’hui aux points essentiels sur lesquels le juge souhaite des explications. On est passé à la plaidoirie interactive.

Maitre Pierre-Olivier Dilhac, bâtonnier du barreau de Dax

Maitre Pierre-Olivier Dilhac, bâtonnier du barreau de Dax © Jpeg studios

PIERRE-OLIVIER DILHAC

LE PARCOURS

Maître Pierre-Olivier Dilhac traite principalement le droit des assurances, le droit commercial, le droit social et le droit civil général à Dax.

Janvier 1997

Prestation de serment à Bordeaux où il débute sa carrière

Novembre 1999

Arrivée à Dax avec un exercice professionnel à titre individuel

De 2006 à 2015

Exercice en cabinet groupé

2016

Création du cabinet Astréa avec deux associés pour une activité pluridisciplinaire

2021

Bâtonnier du barreau de Dax « Mon rôle de bâtonnier s’inscrit dans la continuité de mon modeste parcours et de mon implication dans l’intérêt des confrères », résume Pierre-Olivier Dilhac, élu par ses pairs bâtonnier de Dax en 2020. Après deux mandats au Conseil de l’Ordre à partir de 2005, il a successivement siégé au conseil d’administration de l’école des avocats Aliénor à Bordeaux, au conseil de discipline dans le ressort de la cour d’appel de Pau, et au sein de la CARPA, l’organisme qui gère les fonds remis aux avocats dans le cadre de leur activité professionnelle.