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2023, année de bascule de l’immobilier

Après 20 ans d’effervescence, les marchés immobiliers occidentaux se retrouvent percutés par la crise. Avec la remontée des taux d’intérêt et le durcissement des conditions d’accès au crédit, le nombre de transactions a chuté en 2022, et les prix suivent. La poursuite du reflux du secteur en 2023 entraînera-t-elle l’économie dans son sillage ?

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C’était le credo du printemps dernier : l’immobilier serait parmi les meilleures protections contre l’inflation. Les arguments étaient tellement aiguisés qu’il valait mieux laisser au temps celui de produire ses effets plutôt que de tenter de convaincre du scénario inverse. Il n’a, de fait, pas fallu attendre longtemps avant que les signaux d’alarme clignotent, aux États-Unis, en premier lieu, puis sans tarder au Royaume-Uni, dans les pays scandinaves, en France, voire en Allemagne, sans parler du reste du monde.

Après un premier semestre de hausses des prix portées par l’effondrement des taux d’intérêt réels, les signes de craquement ont commencé à se multiplier et le bilan en ce début d’année 2023 ne laisse guère de place au doute : le cycle immobilier est en bout de course, et le renchérissement du crédit sur fond de dégradation des indicateurs de solvabilité pèsera sur le marché. La question à ce stade est celle de l’ampleur du choc qui pourrait en découler en termes d’activité d’une part, d’effets richesse et de risques financiers, de l’autre, après 20 ans d’effervescence.

L’ENVOLÉE DES PRIX DEPUIS LA CRISE DE 2008

Qui se souvient de la crise immobilière de 2008 ? À première vue, peu d’individus en dehors des particuliers directement frappés par la déferlante de faillites qui suivit la crise des subprimes aux États-Unis et, plus généralement, celle du surendettement de l’époque. Une chose est sûre néanmoins, cette crise n’a pas sonné le glas de l’envolée des prix. Si les victimes de la crise ont été rendues, dans leur grande majorité, au rang de locataires, d’autres ont profité de l’aubaine et pris le relais sur un marché, partout, de plus en plus élitiste. Sauf de rares exceptions, dont la France et le Portugal, qui ont profité de l’afflux d’une population émigrée du reste de l’Europe, les taux de propriétaires ont fortement reflué depuis la crise de 2008. Pour autant, les prix des logements ont rarement connu de périodes aussi fastes dans un contexte de politiques monétaires des plus porteuses pour la population la plus solvable. L’idée que l’investissement immobilier est une valeur sûre s’en est trouvée d’autant renforcée dans un marché, dorénavant, principalement soutenu par l’investissement locatif dont les rendements ont la réputation d’être particulièrement bien indexés sur l’inflation. Après une première vague de renfort à l’occasion de l’épidémie de Covid, l’immobilier a retiré des bénéfices substantiels des premiers mois de résurgence de l’inflation, lesquels se sont accompagnés d’une chute des taux d’intérêt réels proportionnelle à l’envolée de cette dernière avant que les banques centrales ne s’attaquent au problème de manière plus sévère. Il s’est alors écoulé peu de temps avant que l’envolée des prix et la remontée des taux d’intérêt ne produisent leurs effets.

Le renchérissement du crédit sur fond de dégradation des indicateurs de solvabilité pèsera sur le marché

RETOURNEMENT GÉNÉRALISÉ

Comme toujours, c’est en provenance du monde anglo-saxon que nous sont parvenus les premiers signaux du début du déraillement. Il faut dire que dans ces pays, comme ailleurs, les banques n’ont pas lésiné sur leurs marges. Aux États-Unis, l’écart entre les taux hypothécaires à 30 ans et ceux des emprunts du Trésor de même échéance s’est envolé de quasiment 300 points de base, ce qui n’avait plus été observé depuis les années 1980.

Après une flambée des prix moyens de quasiment 40 % entre la mi-2020 et la mi-2022, celle des taux d’emprunts – à 7 % à taux fixes – a évincé du marché une proportion de plus en plus importante d’acquéreurs, tandis que, dans le même temps, le revenu exigible pour solliciter un financement doublait. L’effondrement du taux de solvabilité a, de fait, été sans précédent avec un indicateur retombé sur ses plus bas historiques en un temps record, sans commune mesure, même, avec l’épisode de 2007/2008.

Si les conséquences de ces ajustements ont pris un peu de temps à se concrétiser dans le marché de la construction, elles sont maintenant indiscutables.

Les transactions se sont effondrées, tout comme les perspectives des constructeurs et les demandes de financement. Les mises en chantier de logements, un temps protégées par le report de l’ancien devenu inaccessible vers le neuf, plus exigu, se replient à vive allure ces derniers mois. Le marché se retourne et les prix suivent depuis l’été.

Les constats ne sont pas très différents dans les autres pays où les transactions ont souvent fondu comme neige au soleil depuis l’été, aux spécificités nationales près : la crise britannique a potentiellement exacerbé le resserrement des conditions de prêts, tandis qu’en France, les contraintes imparties au taux d’usure ont sans aucun doute accéléré le retournement du marché.

Les mises en chantier de logements se replient à vive allure ces derniers mois

LES FACTEURS NÉGATIFS

Il serait, pour autant, surprenant, pour ne pas dire miraculeux, que les marchés immobiliers occidentaux résistent à l’accumulation des facteurs négatifs en présence.

  • Les perspectives économiques restent moroses, sur fond, au mieux, de maigres gains de pouvoir d’achat que devrait autoriser le reflux de l’inflation et de la grande frilosité des ménages.
  • La hausse des taux ne s’interrompra pas avant que la croissance ait franchement décéléré, c’est-à-dire lorsque les conditions du marché de l’emploi commenceront à pâtir de la détérioration des marges des entreprises. Or, le mouvement est partout amorcé et la désinflation, contrairement à ce qui est souvent envisagé, pourrait ne pas aider, bien au contraire, en érodant l’effet prix dont ont bénéficié les résultats nominaux des sociétés l’an dernier.
  • Les banques, où qu’elles soient, ont commencé à ajuster leur offre de crédit et promettent un resserrement significatif de leurs conditions de prêts à venir.
  • Enfin, l’attrait de l’investissement locatif, déjà largement entamé avant l’envolée des taux d’intérêt, a tout lieu de l’être davantage dans un contexte d’extrême fragilité sociale dont les conséquences ont tout lieu de limiter la capacité d’indexer les loyers au rythme de l’inflation.

Le contexte immobilier et celui de la construction résidentielle sont, au total, bien mal lotis pour cette année. Qu’en attendre ?

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LE SPECTRE D’UNE CRISE

Si tout le monde s’accorde à dire que la situation en présence n’a pas grand-chose à voir avec celle qui prévalait avant la crise de 2008, on aurait tort de considérer qu’une récession immobilière puisse, pour autant, être indolore.

Les récessions immobilières ne se sont jamais arrêtées aux portes de ce marché spécifique et ont toujours entraîné dans leur sillage les économies dans leur ensemble, avec ou sans crise bancaire, selon les cas.

Il est probable que les risques financiers associés à la correction à venir soient moins intenses qu’ils l’ont été en 2008, ne serait-ce que par la solvabilité des emprunteurs d’un marché devenu très sélectif ces dernières années. A contrario, les effets de levier d’une population d’investisseurs le plus souvent multipropriétaires sont sans aucun doute importants et susceptibles, en cas d’accélération à la baisse des prix, de retentir sur les banques. C’est notamment le cas au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves où les taux d’endettement des ménages défient les lois de l’équilibre.

Sur le front de la croissance, les achats de biens durables, équipement du foyer, mais également dépenses de construction, sont très sensibles au marché sous-jacent de l’immobilier. Le contrecoup d’un retournement de marché risque fort de fragiliser davantage les dépenses de consommation des ménages et l’emploi dans la construction, secteur économique toujours très influent. Enfin, les effets richesse ont été très importants ces dernières années et leur disparition, ou plus précisément, leur retournement en territoire négatif n’aidera pas la conjoncture et risque simultanément d’exacerber la réduction de l’offre de crédit.

Au total, les perspectives du secteur pèsent bel et bien sur l’appréciation des perspectives 2023 et pourraient constituer la goutte d’eau susceptible de faire basculer le monde occidental dans la récession qui le guette de plus en plus, quoi qu’il en soit du retournement à venir de l’inflation et de l’arrêt vraisemblable des hausses des taux des banques centrales quelque part d’ici l’été.