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Management : « Tout est émotions »

Béatrice Darot intervient en entreprise comme consultante, coach et formatrice en intelligence émotionnelle. Fidèle à sa réputation de ne « pas brosser dans le sens du poil », elle livre son point de vue sur les difficultés relationnelles auxquelles ont été confrontés les dirigeants pendant la crise sanitaire… et avant.
« L’entreprise est une identité à part entière qui a ses valeurs, ses croyances, ses émotions »

Béatrice Darot

Béatrice Darot

Les Annonces Landaises : Vous intervenez en entreprise sur l’intelligence émotionnelle. Quels en sont les ressorts ?

Béatrice DAROT : Contrairement aux idées reçues, les émotions ne sont ni positives, ni négatives. Nos émotions se créent dans l’apprentissage neurologique de notre vie pour éclairer notre jugement, nous aider à nous protéger des risques, ou nous faire prendre de bonnes décisions. Elles peuvent aussi conduire à des situations difficiles physiques ou psychologiques. Quand on met un mouchoir sur une émotion, elle explose, parfois 20 ans après. L’intelligence émotionnelle est la capacité de reconnaître les émotions de soi et des autres, d’identifier et d’utiliser les solutions qu’elles représentent pour atteindre des objectifs. Les découvertes neurologiques montrent que prendre une décision rationnelle dépend d’un traitement émotionnel et qu’il est possible d’optimiser cette capacité, grâce à la programmation neurolinguistique (PNL) pour accroître le bien-être, la motivation et donc la performance à court et long termes. C’est la bonne émotion au bon moment.

LAL : Quelle est la raison d’être de l’intelligence émotionnelle dans l’entreprise ?

B. D. : L’intelligence émotionnelle s’apprend, elle me semble même indispensable à l’évolution du management. Trop peu apportée aux managers qui sont censés accompagner l’humain dans l’entreprise, elle permet de mettre les bonnes performances au bon endroit et pour cela, il faut placer chaque profil émotionnel au bon endroit. La démarche conduit en général à plus de tolérance, de motivation, d’implication et de justesse dans la communication et la relation. Ce qui évite la colère démesurée, les conflits incompris et la frustration, tant dans la gestion humaine interne à l’entreprise que dans la relation avec son client. Parce que, dans l’entreprise tout est une question d’émotions. Et les enquêtes le montrent. Selon un sondage Ipsos publié en 2020, 74 % des salariés déclarent ainsi avoir été absents psychologiquement au travail en 2019 : 49 % par perte de sens ou de motivation, 43 % à cause de tensions avec leurs collègues, 39 % avec son ou sa responsable, 40 % en raison d’un niveau de stress élevé, d’un burn out ou de harcèlement, et 49 % pour des préoccupations personnelles.

On a le droit d’être en colère. Il faut arrêter d’avoir peur du conflit.

LAL : Quel ont été vos principaux constats sur les difficultés de fonctionnement rencontrées par les entreprises pendant le confinement ?

B. D. : Le confinement a révélé les problèmes sous-jacents. Cette période a puissamment développé la tendance à faire passer les valeurs personnelles avant les valeurs professionnelles. Sans en avoir toujours conscience, de nombreux salariés se sont questionnés, souvent incapables de formuler l’incompatibilité entre valeurs personnelles et valeurs professionnelles. Cette perception a souvent suscité du mécontentement, surtout dans des structures qui connaissaient des problèmes de communication. De plus, dans beaucoup d’entreprises, le jugement fait partie intégrante de la relation à l’autre. Entre la hiérarchie, les manageurs et les salariés, il empêche la fluidité, la rapidité dans les objectifs et trop souvent le bien-être de tous.

LAL : Quelles sont, selon vous, les principaux enjeux en matière de management pour cette rentrée ?

B. D. : Une partie des salariés a compris qu’à l’issue du confinement il faudrait peut-être travailler plus pour faire repartir l’activité, en particulier dans les petites structures. Dans une petite entreprise, il y a des émotions, ce qui est moins le cas dans les grosses structures, où l’espace entre les salariés et la direction générale se creuse. Aujourd’hui, tout le monde est dans la peur, dans l’incertitude. Il est important d’accompagner les salariés dans ce qu’ils veulent, d’avoir un message positif, même s’il va falloir être transparent, et accepter que nous ne sommes pas obligés d’être d’accord sur tout. La stratégie de l’entreprise est aussi à respecter.

LAL : Comment éviter les éventuels conflits dans ce contexte ?

B. D. : Aujourd’hui, il faudrait que tout le monde soit d’accord avec tout le monde. On a le droit d’être en colère. Il faut arrêter d’avoir peur du conflit. Le conflit n’est pas un échec, c’est un message de connaissance pour nous, pour l’autre, sur nous et sur
l’autre. C’est la place pour s’exprimer, mais sans pour autant crier à tout va, bien au contraire. Les dirigeants doivent trouver le juste milieu en définissant ce qui n’est pas négociable, en étant francs et honnêtes. Ils doivent apporter leur vision de l’entreprise aux salariés, leur expliquer que l’entreprise est une identité à part entière qui a ses valeurs, ses croyances, ses émotions et qu’elle a besoin d’objectifs et de stratégie pour exister. Il est important de remettre les choses en place. Cette attitude sécurise et rassure. Chaque individu a ensuite le droit de se positionner en fonction de ses valeurs personnelles et professionnelles.

Le développement personnel ne veut pas dire égoïsme et individualisme. Le développement personnel c’est mieux vivre avec les autres.

LAL : Quels conseils donneriez-vous aux salariés qui ne se trouvent plus en phase avec leur entreprise ?

B. D. : Tenter de définir ses émotions pour comprendre comment on en est arrivé là. Il est important de redéfinir ses valeurs professionnelles pour se reconnecter avec elles tout en respectant ses valeurs personnelles : le contexte de vie que nous avons créé quelques années en arrière est-il toujours écologique pour nous ? (Comme pour l’écologie de la planète, est-ce bon pour moi dans mon évolution ?) Quel est notre critère de vie professionnelle le plus important aujourd’hui ? Ce n’est pas parce qu’on va se rattacher aux valeurs de l’entreprise qu’on va perdre ses valeurs personnelles. Nous sommes dans une société du développement personnel, mais le développement personnel ne veut pas dire égoïsme et individualisme. Le développement personnel c’est vivre mieux avec les autres.