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Loi Partage de la valeur : transformer la contrainte en opportunité

Depuis la loi de 2023, les entreprises privilégient la Prime de partage de la valeur (PPV) pour sa simplicité, alors que l'intéressement peut offrir un meilleur traitement fiscal et social ainsi qu'un levier de performance permettant d'atteindre des objectifs collectifs spécifiques.

Partage de la valeur

DAVID BRIVOIS ET EUPHRASIE LUPI © Patxi Beltzaiz - Hans Lucas

La loi relative au partage de la valeur au sein de l’entreprise parue en novembre 2023 [1] conduit nombre d’entreprises à privilégier la simplicité de la Prime de partage de la valeur (PPV) et, pour certaines d’entre elles, à mettre rapidement de côté l’outil plus traditionnel qu’est l’intéressement. Pourtant, l’intéressement doit être rappelé au bon souvenir des entreprises, d’abord parce que la simplicité de la PPV a désormais un coût, ensuite parce que l’intéressement permet de conditionner son bénéfice à la réalisation d’objectifs spécifiques et d’accéder ainsi à un pilotage affiné de la performance de l’entreprise en même temps qu’il est question d’en partager la création de valeur.

Les obligations issues de la loi relative au partage de la valeur

La loi de 2023 incite les entreprises à mieux associer leurs salariés à la performance, selon deux formes qui sont fonctions de la configuration de l’entreprise :

– Une première, à destination des entreprises soumises à l’obligation de mettre en place un régime de participation, qui disposent d’au moins un délégué syndical et qui consiste en une obligation de négocier.

La négociation devra porter sur la définition de ce qu’est, au sein de l’entreprise, une augmentation exceptionnelle de son bénéfice net fiscal, ainsi que sur les modalités de partage de la valeur qui devront en découler.

À ce stade il pourra être question de se limiter, dans un premier temps, à l’engagement d’ouvrir de nouvelles négociations ayant pour objet la mise en place d’un dispositif spécifique de partage au sein de l’entreprise, si le résultat exceptionnel est constaté.

Les entreprises déjà dotées d’un dispositif de participation comportant une formule de calcul plus favorable que celle issue de la loi ou d’un accord de participation voire d’intéressement intégrant déjà des dispositions spécifiques et relatives à la prise en compte de bénéfices exceptionnels [2] seront exonérées de l’obligation de négocier un dispositif supplémentaire.

Précisons que les négociations sur le sujet devaient être engagées avant le 30 juin 2024 [3] ;

– Une seconde, expérimentale pour cinq années, cette fois à destination des entreprises d’au moins 11 salariés et non tenues à la mise en place d’un accord de participation, constituées en la forme de société (hors SAPO) et qui réalisent un bénéfice net fiscal positif au moins égal à 1 % de leur chiffre d’affaires au titre de trois années consécutives [4].

Ces entreprises ont l’obligation de se doter d’au moins un dispositif de partage de la valeur au cours de l’exercice suivant les trois années consécutives décrites plus haut [5].

Il est utile de préciser que :

– L’application de l’une ou l’autre des obligations ne peut se déterminer au regard du seul critère de l’effectif qui serait inférieur ou égal à 50 salariés : certaines subtilités rédactionnelles nécessitent ainsi d’être prises en compte pour déterminer à quelle obligation est tenue l’entreprise.

– Si le législateur n’a envisagé aucune sanction spécifique au non-respect des obligations qui précèdent, il serait excessif de penser qu’aucune action ne pourrait être menée individuellement ou collectivement pour que l’entreprise soit contrainte de se mettre en conformité avec le risque, alors, de perdre la maîtrise du sujet.

Les dispositifs de partage de la valeur qu’il est possible de retenir

Selon l’obligation à laquelle sera tenue l’entreprise, les dispositifs de partage de la valeur pourront être plus ou moins étendus.

Il est bien évident que dans le cas d’une entreprise soumise à l’obligation de négocier sur la prise en compte d’une augmentation exceptionnelle de son bénéfice net fiscal, si le choix se tourne vers un supplément d’intéressement [6] ou un supplément de participation [7], les leviers permettant de transformer la contrainte en opportunité seront limités.

Il sera en effet question de déterminer un montant supplémentaire à distribuer et, le cas échéant, des règles spécifiques de répartition entre les salariés bénéficiaires mais aucunement d’intégrer de nouveaux leviers de performance spécifique.

La marge de manœuvre sera également limitée lorsque le choix des entreprises se tournera vers un dispositif de participation volontaire, voire un dispositif en lien avec un plan d’épargne salariale.

L’engouement pour la simplicité des Primes de partage de la valeur

Il faut constater que les entreprises privilégient massivement le dispositif de la PPV, particulièrement lorsque leur effectif est restreint.

La PPV présente l’intérêt d’être à la fois simple à mettre œuvre et peu exigeante en termes de valorisation puisqu’aucun plancher n’est véritablement imposé si ce n’est, certainement, l’exclusion d’un dispositif qui serait dérisoire dans son montant.

L’intérêt du dispositif pourrait toutefois rapidement être gommé par la dégradation progressive de son traitement fiscal et social, quand bien même une période transitoire a été accordée aux entreprises de moins de 50 salariés jusqu’au 31 décembre 2026.

Ainsi [8] :

– Dans les entreprises de moins de 50 salariés, la PPV bénéficiera d’une exonération, sous plafond [9], de cotisations sociales, de CSG, de CRDS, le cas échéant de taxe sur les salaires, de forfait social ainsi que d’impôt sur le revenu pour les salariés bénéficiant d’une rémunération inférieure à 3 SMIC.

Les salariés disposant d’une rémunération supérieure verront leur PPV soumise à CSG, à CRDS, le cas échéant à la taxe sur les salaires et à impôt sur le revenu à moins que les sommes transitent par un plan d’épargne salariale et bénéficient, alors, d’une exonération plafonnée d’impôt sur le revenu.

– Dans les entreprises de 50 salariés et plus, la PPV bénéficiera d’une exonération, sous plafond [10], de cotisations sociales mais en revanche d’un assujettissement à la CSG, la CRDS, le cas échéant la taxe sur les salaires, le forfait social si l’effectif est supérieur ou égal à 250 salariés, ainsi qu’à l’impôt sur le revenu, à moins que les sommes transitent par un plan d’épargne salariale et bénéficient, alors, d’une exonération plafonnée d’impôt sur le revenu.

Notons que le régime des entreprises de 50 salariés et plus sera étendu aux entreprises plus restreintes à compter du 1er janvier 2027.

Bref, à cette échéance, le dispositif de faveur sera gommé.

Il est utile de préciser que la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 prévoit le principe d’une réintégration des PPV versées dans la rémunération utilisée pour le calcul de la réduction générale de cotisations sociales depuis le 1er janvier 2025 [11].

Dit autrement : le fait d’octroyer de la PPV a toutes les chances d’avoir un impact à la baisse sur les réductions générales de cotisations sociales dont bénéficient les employeurs, au titre des bas salaires.

L’évolution questionne et il n’est pas certain que la PPV soit encore aujourd’hui le dispositif le plus efficace à retenir.

L’intérêt de privilégier un accord d’intéressement 

L’intéressement « traditionnel » pourrait souvent [12] se révéler aussi efficace que la PPV sur le plan de son traitement fiscal et social quand il ne serait d’ailleurs pas meilleur (l’intéressement n’a, par exemple, pas d’impact sur la réduction générale de cotisations des bas salaires).

Des mesures d’impact mériteront d’être réalisées.

Au-delà du strict traitement fiscal et social des sommes versées, il apparaît nécessaire de rappeler que la PPV se résume, en tout et pour tout, au versement d’un avantage financier aucunement lié à la réalisation d’objectifs collectifs spécifiques.

Caricaturalement, la PPV pourrait se résumer à un don dépourvu de toute contrepartie, là où l’intéressement pourrait être un savant outil de motivation permettant de conduire le personnel vers des niveaux de performances spécifiques.

Et il ne saurait être question de résumer l’intéressement à de la performance financière : les entreprises pourront y trouver un outil de conduite à la fois puissant par sa diversité (les critères de l’intéressement pourront notamment viser des ratios d’absentéisme, de casse de matériel, d’accidentologie ou encore tout critère en lien avec la RSE) et suffisamment précis pour distinguer la situation de populations à la fois collectives et ciblées (il sera en effet possible de faire varier les modalités de calcul de l’intéressement selon les établissements et même de simples unités de travail [13]).

Les critères de l’intéressement mériteront, bien entendu, d’avoir été déterminés en amont et suffisamment tôt [14] pour que le caractère aléatoire du dispositif soit respecté.

La démarche pourra s’inscrire dans la durée, ici encore avec une flexibilité prononcée puisque les accords d’intéressement pourront durer entre une et cinq années [15].

Pour les entreprises qui craindraient de s’engager dans le temps, il est hélas très probable que les salariés n’appréhendent pas beaucoup mieux l’idée qu’une PPV versée d’année en année soit subitement suspendue… Mieux vaut ainsi prévoir en amont les conditions du partage, ou non, de la valeur, plutôt que d’avoir à trouver des explications à chaud.

Ces développements pourraient conduire les entreprises à tirer le plein profit du dispositif imposé par la loi de 2023 et à saisir, ainsi, l’opportunité d’intéresser leurs salariés à la réalisation des objectifs collectifs qu’elles jugeront primordiaux pour la conduite des défis futurs.

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