Les Annonces Landaises : Que recouvre exactement la notion de « paysage » ?
Jean-Pierre Thibault : Selon la définition internationale, celle de la Convention européenne du paysage, signée en 2000 sous l’égide du Conseil de l’Europe, « le paysage est une partie de territoire, telle que perçue par les populations, et dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains de leurs interrelations », ce qui signifie que le paysage évolue dans le temps et qu’en gros, chacun a sa perception et sa sensibilité qui lui font percevoir son environnement de telle ou telle façon. Mais quand on se rassemble pour confronter ces perceptions, on peut mettre au point un « projet de paysage » pour faire évoluer ce qui nous entoure dans l’objectif de l’embellir, mais aussi de faciliter la vie quotidienne.
LAL : Comment le collectif Paysages de l’après-pétrole aborde-t-il cette démarche ?
J.-P. T. : Notre idée est que le paysage n’est pas une sorte de carte postale qui serait figée, intangible, objet de nostalgie, mais qu’il bouge en permanence et que ce mouvement peut être accompagné, porté par la population.
Nous pensons que dans le tournant pour l’humanité que représentent le changement climatique et la transition écologique, notre pays et les territoires qui le composent peuvent utiliser valablement le paysage comme démarche pour démocratiser cette transition, parfois anxiogène, pour en faire une transition désirable et pas seulement subie comme l’ont été les précédents épisodes de la transformation de nos territoires, tout particulièrement les Trente Glorieuses avec leur cortège de remembrements, d’implantations d’autoroutes… Le paysage est ainsi une méthode pour une écologie heureuse.
LAL : Quel est, selon vous, le principal enjeu en termes de paysage ?
J.-P. T. : Le premier enjeu concerne la transition énergétique avec la réapparition de la production d’énergie dans le paysage du quotidien – autrefois il y avait partout des moulins ! -, avec les implantations d’éoliennes, de centrales solaires, d’installations de production de biomasse. Nous pensons qu’aujourd’hui, on doit mieux choisir les lieux d’installation pour faire de ces équipements de vrais « éléments de paysage ». Au préalable, il faudrait aussi considérer l’énergie comme un tout, donc développer aussi notre capacité à en consommer moins : faire de la sobriété énergétique une réalité avec moins d’étalement de la ville, plus de transport décarboné avec les pistes cyclables ou les chemins piétonniers, mais aussi avec l’isolation des bâtiments qui peut changer leur apparence.
LAL : À propos d’installations d’énergie renouvelable, que pensez-vous de l’agrivoltaïsme qui tend à se développer dans les Landes ?
J.-P. T. : L’agrivoltaïsme est une déclinaison de la question : où implanter les renouvelables ? Les hangars existants sont autant de supports possibles aux panneaux photovoltaïques. Les positionner à la place des cultures, c’est plus délicat. Cela va dépendre des cas et des contextes. Peut-on cultiver en dessous des panneaux et quoi ? Sans doute faire du pacage d’animaux un peu rustiques. Une des intuitions du collectif est qu’il ne faut pas avoir un seul usage des sols. Il faut multiplier les fonctions d’un même espace et de ce point de vue, l’agrivoltaïsme est intéressant, à condition de ne pas l’installer n’importe où, n’importe comment, comme ce fut le cas pour l’implantation des premières éoliennes des années 2000 qui obéissait à la seule opportunité foncière.
LAL : Quels sont justement les défis en matière agricole ?
J.-P. T. : C’est le deuxième enjeu en matière de paysage. Le paysage agricole de l’après-pétrole, c’est davantage de haies, de bosquets, d’éléments de paysages dans lesquels nichent ces « auxiliaires des cultures » qui permettent de réduire l’usage des pesticides. Un travail important doit également être réalisé autour des pratiques de l’agroécologie pour la conjugaison d’une agriculture de production vivrière et des enjeux écologiques (eau, biodiversité…). La démarche paysagère permet cette mise en liaison.
« Le paysage est d’abord une méthode pour une écologie heureuse »
LAL : Quels projets pour les villes ?
J.-P. T. : Le troisième enjeu concerne effectivement l’urbain, dans lequel de réels progrès ont été accomplis dans la manière d’aménager et requalifier les centres anciens, pour y remettre de la population de toutes natures et de tous âges. L’angle mort, ce sont les zones de jonction entre la ville et la campagne, c’est-à-dire le périurbain avec de vastes lotissements de plus en plus lointains, souvent des passoires thermiques, des centres commerciaux proliférants sans réelle justification commerciale et qu’il faut aujourd’hui requalifier.
LAL : Dans les villes, comment négocier la pression foncière ?
J.-P. T. : Il y a l’approche quantitative et très abstraite du Zéro artificialisation nette (ZAN) qui impose de réduire les zones urbanisables de 50 % en 2030 et d’arriver à zéro net en 2050. Une fois qu’on a dit qu’il fallait être sobre en foncier, comment faire, territoire par territoire, pour accueillir quand même une population ou des activités ? Et c’est là que la démarche paysagère intervient pour dire : « Dans l’aménagement actuel de votre espace, de quelles réserves de densification disposez-vous ? » Il ne s’agit évidemment pas de « remplir » tout ce qui reste comme espace libre dans les villages ou les villes, parce qu’il faut que les villes « respirent ». Il faut s’interroger sur la manière d’agencer ces espaces en fonction de l’histoire, de la géographie du lieu et de la perception de la population. Le paysage, c’est la manière de faire du ZAN désirable, adapté à chaque contexte sans répondre mécaniquement à un tableur Excel.
LAL : Quelles sont aujourd’hui les politiques du paysage et comment sont-elles mises en œuvre ?
J.-P. T. : Au-delà des outils de connaissance que sont les atlas des paysages au niveau des départements et les observatoires photographiques qui proposent au grand public de prendre des photos à intervalles réguliers d’un même endroit avec la même focale, il existe une politique de passage à l’action : ce sont les « plans de paysage » que nous avons évoqués avec les représentants des collectivités locales, lors de la réunion organisée sur le sujet par le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE 40), le 28 mai dernier. C’est à la fois une démarche de connaissance plus fine d’un territoire, le plus souvent intercommunal, sur lequel on fait un état des lieux du paysage avant de fixer des objectifs conjoints entre collectivités, habitants, acteurs locaux, pour faire bouger qualitativement le paysage, qu’il soit plus intéressant, plus fonctionnel et mieux apprécié. Le tout étant illustré par un programme d’actions qui va viser, par exemple, à requalifier un carrefour, un bord de route, une place de village, mettre en place des pistes cyclables, un système de haies ou d’arbres… Il pourra éventuellement se traduire dans le document d’urbanisme en modification ou en révision, voire en élaboration. Des appels à projets annuels du ministère sont organisés pour diffuser l’usage de ces outils.
« Dans les villes, il faut s’interroger sur la manière d’agencer ces espaces en fonction de l’histoire, de la géographie du lieu et de la perception de la population… »
LAL : Quels exemples concrets de ces politiques en faveur du paysage dans les Landes ?
J.-P. T. : Il y a notamment le travail du Parc naturel régional des Landes de Gascogne avec le recrutement d’un paysagiste concepteur qui va suivre la maîtrise d’ouvrage de l’ensemble des démarches paysagères menées par le parc. Ces démarches sont amenées à se développer avec le soutien à la fois du ministère de l’Écologie, de l’Ademe et de l’Office français de la biodiversité. Elles donnent un coup de flash paysager pendant deux ou trois ans sur un territoire. Ensuite, il faut pérenniser ces démarches pour que les collectivités (particulièrement les intercommunalités) se dotent de personnels à temps plein ou fassent appel à des organismes de conseil comme les CAUE. Au niveau national, une convention a été signée entre l’État, la Fédération des CAUE et l’Association des maires de France pour sensibiliser et former les élus à la démarche paysagère : après une année expérimentale qui a concerné quatre départements, ce sont 40 d’entre eux qui vont prendre la suite dès 2024.
Collectif Paysages de l’après-pétrole
POUR LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE PAR LE PAYSAGE
Créé en 2015, le collectif Paysages de l’après-pétrole rassemble, au niveau national, une soixantaine de professionnels de l’aménagement (paysagistes, architectes, urbanistes, agronomes, chercheurs en sciences sociales ou philosophes), regroupés autour de l’idée de redonner durablement à la question du paysage un rôle central dans les politiques d’aménagement du territoire, dans un contexte de transition énergétique. Ce groupe de réflexion, qui propose notamment des actions de sensibilisation, de mise en réseau des acteurs, des outils et méthodes est présidé par Jean-Pierre Thibault, ancien inspecteur général de l’environnement (de 2014 à 2022) et auteur d’Aménager les territoires du bien-être (éd. du Moniteur) qui synthétise les principales thèses du collectif.
PLAN DE PAYSAGE, MODE D’EMPLOI
En plus des aides de l’État dans le cadre d’appels à projets, le Département des Landes soutient financièrement l’élaboration des plans de paysage par les collectivités locales qui peuvent être conseillées et accompagnées, à leur demande, par le CAUE 40. « C’est une excellente chose pour inciter les communes à porter ces thématiques qui sont facilitatrices des transitions en cours, créatrices de bien-être et qui portent la participation citoyenne à l’aménagement à un niveau plus systématique », juge Jean-Pierre Thibault.