Au printemps et au début de l’été, quand les eaux vives se réchauffent un peu (mais pas trop), la truite des Landes se pare de ses plus belles couleurs et offre aux gourmands sa chair délicate et parfumée. Pour Michel Guérard, qui a reçu cette année la Toque d’Or de la Fédération des tables et auberges de France pour son exceptionnelle contribution à l’art culinaire, ce mets possède une saveur particulière : « Quand j’étais enfant, j’habitais la Normandie. J’ai connu la Seconde Guerre Mondiale, avec toutes ses restrictions. On se débrouillait alors comme on pouvait et la pêche en rivière restait un moyen de se nourrir correctement. J’habitais dans un bourg entouré de sources qui se jetaient dans des rivières. Ces rivières étaient fastueusement garnies de truites. J’avais un copain d’école qui faisait partie d’une famille de 14 enfants et, avec ses frères, il braconnait. Il m’a appris à pêcher la truite sans canne à pêche ni épuisette. Nous étions en culottes courtes et nous marchions dans la rivière. On repérait une truite, on s’en approchait tranquillement et on finissait par la chatouiller sous le ventre. Quand elle était suffisamment en confiance, on la remontait à la surface et on l’attrapait. »
PISCICULTURES LOCALES
Si à l’époque, Michel Guérard pêchait des truites fario, pigmentées de points rouges, aujourd’hui, c’est la truite arc-en-ciel, reconnaissable à sa bande rose tout au long de son flanc, que l’on retrouve quasi systématiquement sur les étals. Une truite issue de la pisciculture puisque, « en tant que chef, nous n’avons pas le droit de vendre de truite sauvage au restaurant », rappelle celui qui fût l’un des fondateurs de la nouvelle cuisine.
Ce poisson de rivière, Michel Guérard le travaille depuis longtemps et en a fait un classique de sa carte. Les Landes, mais aussi le Pays basque, possèdent de nombreuses piscicultures de qualité. À l’image de celles de la famille Truchetet à Geloux et de la famille Goicoechea à Banca. Si l’idéal est de « s’en remettre à la renommée du pisciculteur ou du poissonnier », une belle truite bien fraîche possède quelques indices facilement identifiables au moment de la choisir : des yeux brillants, un ventre ferme, une peau visqueuse et des ouïes bien rosées.
DÉLICATESSE ET PRÉCISION
Pour la cuisiner, le chef conseille de « préserver sa naturalité », en la préparant de manière assez simple. Il évoque une cuisson en papillote ou au four avec un trait de vinaigre de vin rouge qui donne « un petit coup de reins ». Une préparation meunière, avec la caramélisation de la peau dans le beurre, ou « un joli beurre blanc » peuvent également sublimer ce poisson. « Quand la truite est bien cuisinée, elle possède une jolie noblesse grâce à l’élégance de sa chair », estime Michel Guérard qui regrette l’image un peu négative, pas très noble, qui entoure les poissons de rivière comparée à l’aura des poissons de mer.
En cuisine, il met en garde contre un écueil majeur : la surcuisson. « La truite est un poisson tout à fait sympathique et toujours prêt à se laisser faire. Mais un dépassement de cuisson peut être fatal. Le poisson serait alors mort pour rien. » Pour accompagner une truite cuisinée avec délicatesse et donc servie rosée, Michel Guérard propose un flacon de son Baron de Bachen blanc, assemblage de plusieurs cépages emblématiques du Sud-Ouest : manseng, sauvignon et baroque.
Enfin, pour celles et ceux qui souhaiteraient apporter une touche originale, un peu exotique, à une belle truite de Nouvelle-Aquitaine, Michel Guérard, confortablement installé face au luxuriant jardin des Prés d’Eugénie, improvise un surprenant mariage : « Face à moi, il y a des arbustes, des kumquats et des bananiers notamment. Je verrais bien des lamelles de kumquats recouvrir la truite, avec un hachis de feuilles de bananier qui, s’il ne se mange pas, parfumerait joliment le plat. » On en salive déjà !
INGRÉDIENTS POUR 4 PERSONNES
4 filets de truite de 100 g
4 grandes feuilles de papier sulfurisé
40 g de beurre demi-sel
2 cl d’huile d’olive
4 pommes de terre cuites dans l’eau salée en robe des champs
La garniture
8 mini-carottes fanes orange
8 mini-carottes fanes jaunes
8 petites pommes de terre Grenaille
40 g de petits pois
4 mini-navets
2 mini-pâtissons verts
2 mini-pâtissons jaunes
2 artichauts poivrade tournés et coupés en 2
4 mini-oignons fanes
4 petites feuilles de chou vert tendre
L’huile de persil
50 g de persil effeuillé
30 g d’huile de pépins de raisin
35 g d’huile d’olive
18 g de gingembre haché
¼ d’une gousse d’ail hachée
1 pincée de sel
1 pincée de sucre
Le bouillon
250 g de bouillon de légumes en tablette déshydratée bio et dégraissée
100 g de beurre doux
6 chips d’ail (cuisson lente au four)
Une cuillère à café de sauce teriyaki non sucrée
RÉALISATION
Cuire tous les légumes séparément dans de l’eau bouillante salée, puis les refroidir.
Rôtir les artichauts en cocotte à l’huile d’olive et aromates.
Au dressage de la papillote, réchauffer tous les légumes avec un peu d’eau et une noix de beurre afin de les étuver ensemble.
3. Réalisation de l’huile de persil
Faire suer quelques secondes le gingembre avec une cuillère d’huile d’olive.
Mettre les huiles dans le bol mixeur avec le gingembre puis 10 minutes au congélateur.
Au bout de 10 minutes, ajouter l’ail, le persil effeuillé, la pincée de sel et la pincée de sucre. Mixer le tout pendant 3 minutes.
Débarrasser et réserver au frais.
4. Confection et finition du bouillon
Faire bouillir les 250 g de bouillon de légumes avec les 100 g de beurre, les 6 chips d’ail et la cuillère à café de sauce teriyaki. Mixer et passer au chinois étamine.
On réchauffera le bouillon au moment du dressage de la papillote.
5. Cuisson du poisson
Cuire les portions de truite individuelles préalablement assaisonnées dans du papier film avec les 10 g de beurre demi-sel et 1 cl d’huile d’olive.
Cuire 3 minutes en pleine vapeur.
6. Finition
Napper 1/3 de la truite au pinceau avec l’huile de persil.
Réchauffer les légumes. Les disposer au centre de la papillote. Positionner la truite au centre des légumes. Napper légèrement la pomme de terre coupée en deux de beurre monté, quelques grains de fleur de sel et de poivre noir concassé sur le dessus de la pomme de terre.
Ajouter 2 cuillères à soupe de nage dans la papillote.
On peut ajouter quelques pluches d’estragon, de cerfeuil, d’aneth et de cresson pour la touche finale.