Par 30 °C à l’ombre en ce 1er avril, le public se presse à Gamarde-les-Bains pour le bootcamp À Contre-Sens 2035. Sous la végétation ébouriffée par les tempêtes de l’hiver, on savoure la fraîcheur des citronnades citron, menthe, aux sons et vibrations des bols tibétains de « Feel Good », dernière création du groupe Gong qui s’annonce déjà comme l’un des tubes de l’été.
Pour cette 11e édition, Landes Innovation a choisi l’éco-ferme de François Griman, l’un des huit premiers lauréats de son anti-concours, lancé à Dax en 2025. « L’idée, cette année, est de rendre hommage aux pionniers, rappelle Txomin Ansotegui, directeur du technopôle Pulseo, initiateur de l’événement. Depuis, À Contre-Sens a pris une dimension nationale puis internationale, tout en préservant ses objectifs : « favoriser la coopération plutôt que la compétition » et « se relier au vivant » pour mieux « le réparer, le soigner, le régénérer en le mettant au centre de chaque action et de chaque décision ».
Organiser l’événement à l’éco-ferme « Au plaisir chez François » s’est donc imposé comme une évidence. Il y a 10 ans, les 17 hectares de terres étaient à l’abandon. Aujourd’hui, « c’est une ruche qui bourdonne », se réjouit François Grima, dont le regard balaie fièrement l’étendue verdoyante où s’entremêlent agroforesterie, maraîchage, élevage et culture de plantes médicinales. L’espace, qui fait vivre six agriculteurs indépendants unis par un esprit d’entraide, va bien au-delà de la simple production agricole. Ouvert sur l’extérieur, il est devenu un véritable lieu de transmission accueillant régulièrement des établissements scolaires, proposant des ateliers de formation à l’agriculture régénérative, et organisant des événements festifs qui retissent le lien entre producteurs et consommateurs.
Valorisation des déchets
Parmi les fournisseurs privilégiés de l’éco-ferme figure un autre des lauréats d’À Contre-Sens 2025 : le Sitcom Côte Sud dont les coquilles d’huîtres concassées enrichissent l’alimentation des poules pondeuses Label Rouge élevées à Gamarde. « Ça nous paraît bizarre aujourd’hui, mais il y a encore 10 ans, lorsqu’on mangeait des huîtres, on jetait les coquilles à la poubelle ! », rappelle Florian Chabaud, chargé de mission économie circulaire au Sitcom Côte sud des Landes. Ce qui était autrefois considéré comme un déchet sans valeur, avec des centaines de tonnes incinérées chaque année, est maintenant une ressource précieuse transformée en multiples usages : alimentation animale, matériau de remblayage pour les routes, matière première pour la fabrication de peinture et même de combinaisons de surf. Mais la plus belle réussite de cette transformation réside dans ses retombées indirectes. Les bénéfices tirés de la valorisation de ces déchets ont financé un meilleur assainissement des eaux autour du lac d’Hossegor. Depuis plusieurs années, plus aucune fermeture sanitaire n’est venue perturber la production, pour le plus grand bonheur des professionnels et des amateurs d’huîtres.
Applications incontournables
La révolution numérique n’est pas en reste dans ce mouvement régénératif. Le premier millésime d’À Contre-Sens a vu l’émergence de deux applications qui ont profondément transformé nos habitudes. La première, PortraiScopie, a complètement réinventé le marché du travail. Grâce à son approche facilitant l’expression des compétences et des savoir-être, « les entreprises ne proposent plus des offres d’emploi, mais font des demandes de compétences », souligne sa créatrice, Patricia Pierre-Gérôme, qui observe avec satisfaction comment cela a fluidifié les recrutements tout en valorisant les parcours atypiques et les compétences transversales.
En parallèle, la plateforme Oasis est devenue le carrefour incontournable de l’entraide et du partage. Sa fonction « troc actif » permettant d’échanger des objets inutilisés contre des compétences, a progressivement supplanté les transactions marchandes traditionnelles, reléguant Le Bon Coin et Vinted aux archives d’internet. Au niveau national, 100 000 tonnes de déchets ont été évitées sur la seule année 2034. Plus impressionnant encore, sa section « écologie » a permis la transformation de 10 000 jardins par an en véritables havres de biodiversité grâce à des chantiers participatifs qui renforcent également le lien social dans les quartiers.
Réalisations publiques
Les institutions publiques, souvent accusées d’inertie face aux défis environnementaux, ont également trouvé dans À Contre-Sens un catalyseur de changement. La ville de Saint-Vincent-de-Tyrosse a ainsi métamorphosé l’ancienne friche industrielle Bellocq-Adidas en un écosystème tourné vers l’environnement et le partage de savoirs. Sans l’espace de mémoire installé au rez-de-chaussée, qui pourrait imaginer que ces lieux abritaient autrefois une manufacture de chaussures ? La médiathèque avec son large choix d’ouvrages et ses conférences autour de l’écologie a remplacé les ateliers poussiéreux. Les anciennes machines-outils ont cédé la place à un verger intérieur, une grainothèque florissante et un fab lab qui promeut le partage de moyens et de compétences. Quant aux bruits industriels d’antan, ils se sont effacés devant les concerts organisés en partenariat avec le centre de formation musicale Pôle Sud.
À quelques kilomètres de là, à Dax, c’est le site thérapeutique du Lanot qui a connu une renaissance complète sous l’impulsion du Centre hospitalier. Avec son espace arboré remarquable planté de chênes tricentenaires, il est devenu le poumon vert du quartier de Saubagnacq et un site de référence du soin par la nature. Aujourd’hui, des Ehpad du monde entier viennent s’inspirer de la philosophie et des aménagements mis en place au sein de l’établissement.

© Photos d’archives Pulseo – Avril 2025
Pin et bambou
L’arbre est aussi le point commun des deux derniers pionniers d’À Contre-Sens. La Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Gemme la forêt a réussi l’exploit de ressusciter une tradition landaise qu’on croyait perdue : l’extraction de la résine de pin. Abandonné à la fin des années 1980 au profit des résines synthétiques, le gemmage connaît aujourd’hui une renaissance spectaculaire, porté par l’engouement pour les biomatériaux. « Le gemmage en vase clos bonifie la récolte en qualité et en quantité », précise Dominique Puyoo, membre du conseil d’administration de la SCIC, en ajoutant que « les activateurs biosourcés respectent désormais l’arbre et le milieu ». Aujourd’hui, 200 gemmeurs parcourent le massif des Landes de Gascogne pour récolter 3 000 tonnes de résine par an, transformées et utilisées localement dans diverses applications.
Romain Touvenin, pour sa part, exploite le bambou qu’il transforme… en vélos-cargos haut de gamme ! Malgré le succès de son modèle « Herbe », le fabricant a fait le choix délibéré de conserver une production artisanale limitée à une trentaine d’exemplaires par an. Les vélos sont 100 % landais : le bambou est cultivé localement et même séché dans des séchoirs à maïs ! Offrant un confort incomparable grâce aux propriétés naturelles du matériau qui absorbe mieux les chocs et les vibrations que l’aluminium, ils sont plébiscités par les artisans qui l’utilisent comme véhicule professionnel, par les voyageurs à vélo et par les esthètes friands de pièces uniques.
En observant ces initiatives qui ont germé il y a 10 ans et donnent aujourd’hui leurs fruits, nul doute que les participants au bootcamp 2035 devraient trouver l’inspiration et le soutien nécessaires pour proposer de nouvelles pépites régénératives.

© Photos d’archives Pulseo – Avril 2025