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Constat d’inaptitude au travail : la réglementation

Entre nécessaire protection de l’état de santé du salarié et impasse pour les entreprises, le constat d’inaptitude d’un salarié par le médecin du travail doit répondre à une procédure précise avant que l’employeur ne soit contraint de prononcer un licenciement.

David BRIVOIS, avocat associé, département droit social, et Euphrasie LUPI, avocat, département droit social, au cabinet Fidal de Dax Congés

David BRIVOIS, avocat associé, département droit social, et Euphrasie LUPI, avocat, département droit social, au cabinet Fidal de Dax © Patxi Beltzaiz

Le suivi de l’état de santé des salariés a toujours constitué une priorité du droit du travail et il ne saurait être question de remettre en cause l’ordre des priorités : l’activité professionnelle expose à des risques qu’il est nécessaire de prévenir, d’éviter et de réduire autant que possible1 outre l’obligation, pour l’employeur de s’assurer que l’état de santé de ses salariés leur permet bien d’occuper les fonctions confiées.

C’est à ce stade que le médecin du travail et son équipe pluridisciplinaire sont amenés à intervenir, tant par des actions sur le milieu de travail que par le suivi médical des salariés.

Ce suivi médical peut intervenir à tous les moments de la relation, que ce soit au moment de la visite d’information et de prévention2, de la toute récente visite médicale de mi-carrière3, de la visite médicale de reprise4 ou encore de la visite médicale ponctuelle5 dont l’initiative relève tant du médecin du travail que du salarié ou encore de l’employeur.

Bref, le salarié peut rencontrer le médecin du travail à tout moment et l’ensemble des visites précitées peut, potentiellement, conduire au constat d’une inaptitude. Nous mettrons ici le cas de la visite de pré-reprise6 de côté en ce qu’elle ne peut, elle, aucunement conduire au constat d’une inaptitude7.

LE RÉGIME JURIDIQUE DU CONSTAT D’INAPTITUDE

L’inaptitude est régie par l’article L.4624-4 du Code du travail qui exige, avant tout avis, qu’il ait été procédé :

  • à une étude de poste ;
  • à un échange avec le salarié ;
  • à un échange avec l’employeur ;
  • et, surtout, que le médecin du travail « constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste » avant de pouvoir prononcer une inaptitude.

1 Le Code du travail se charge de le rappeler, a minima, par les articles L.4121-1 et suivants du Code du travail et la jurisprudence de la Cour de cassation de le mettre en musique via l’obligation générale de sécurité.

2 Article L.4624-1 du Code du travail

3 Article L.4624-2-2 du Code du travail

4 Article L.4624-2-3 du Code du travail

5 Article L.4624-1 du Code du travail

6 Article L.4624-2-4 du Code du travail

7 Circ. DGT n°13, 9 novembre 2012 – point n°3.2.3

L’article L.4624-5 du Code du travail ajoute que « le médecin du travail reçoit le salarié, afin d’échanger sur l’avis et les indications ou les propositions qu’il pourrait adresser à l’employeur ».

La partie règlementaire des textes8 confirme l’impérativité de ces étapes préalables et, du reste, le modèle d’avis d’inaptitude9 tout autant.

Ce n’est donc qu’après avoir mené ces échanges et investigué l’alternative d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste que le médecin du travail peut prononcer une inaptitude.

La situation se doit d’être différenciée de la phase de reclassement du salarié déjà déclaré inapte qui, elle aussi, se doit d’être envisagée de concert avec le médecin du travail.

Les dispositions relatives à l’obligation de reclassement à laquelle sont tenus les employeurs sont visées dans une partie différente du Code du travail située aux articles L.1226-2 et suivants pour les inaptitudes d’origine non professionnelle et aux articles L.1226-10 et suivants pour les inaptitudes d’origine professionnelle.

Ici encore, le médecin du travail apportera son conseil pour éclairer l’employeur dans les mesures qui pourront être envisagées.

La formulation retenue au titre de l’obligation de reclassement est la suivante :

  • « Les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise » ;
  • « L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ».

Il est établi que l’obligation de reclassement concerne, cette fois, l’adaptation d’autres postes que celui occupé par le salarié au moment de sa déclaration d’inaptitude :

  • à la fois de par la localisation de ce second ensemble de textes dans le Code du travail ;
  • et de par l’usage du pluriel au terme « postes existants ».

Force est pourtant de constater que le premier ensemble de textes est bien souvent expédié pour n’engager une véritable discussion avec l’employeur qu’au stade du reclassement.

Ce raccourci n’est pas sans conséquence pour l’entreprise.

L’IMPASSE À LAQUELLE SE CONFRONTENT DE PLUS EN PLUS D’ENTREPRISES

L’insuffisance des démarches menées en amont du constat d’inaptitude peut conduire l’entreprise à une impasse en ce qu’elle peut se voir contrainte de prononcer, in fine, un licenciement.

Le licenciement pour inaptitude suppose de caractériser :

  • à la fois une inaptitude : c’est acquis à ce stade ;
  • et une impossibilité de reclassement10.

La difficulté à laquelle les entreprises se confrontent peut alors être de deux ordres :

  • soit l’avis d’inaptitude formulé par le médecin du travail exonère l’entreprise de toute recherche de reclassement, tel que cela est permis par le Code du travail11 au gré des formules « magiques » suivantes :

→ « Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ;

→ Ou « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » ;

  • soit le salarié refuse l’ensemble des solutions de reclassement qui lui sont proposées.

Précisons, dans ce cas, que le refus ne peut avoir pour effet de priver le salarié de son indemnité de licenciement ; tout au plus, il pourra être question de le priver des indemnités spécifiques aux inaptitudes professionnelles12, mais la démonstration du caractère abusif du refus devra être faite, ce qui n’est pas une mince affaire.

Dans l’une et l’autre des situations, les entreprises peuvent se voir confrontées à l’obligation de prononcer le licenciement de leur salarié.

La situation n’est pas sans causer un déséquilibre certain lorsque le salarié aura initié une rencontre avec le médecin du travail dans un contexte où il aura, par exemple, déjà exprimé sa volonté de quitter l’entreprise.

Sans qu’il soit question de stigmatiser l’ensemble des déclarations d’inaptitude prononcées au sortir de visites à l’initiative du salarié, il est tout de même permis de s’interroger sur la légitimité d’une proportion d’entre elles.

Tel sera notamment le cas du salarié dont la rupture conventionnelle aura été préalablement refusée par son employeur et qui décidera, en désespoir de cause, de convaincre le médecin du travail de son inaptitude au poste.

La chronologie se veut intrigante et, hélas, de plus en plus fréquente en pratique.

Nul doute que le risque qui pèse désormais sur les abandons de poste13, renforcera encore la probabilité de ce type de démarches…

La vigilance de l’ensemble des parties prenantes au constat d’une inaptitude se doit d’être de mise et des pistes existent pour y remédier.

LES PISTES OFFERTES POUR RÉÉQUILIBRER LA SITUATION

Une fois encore, et sans qu’il soit question de stigmatiser ni la faculté pour le salarié de solliciter une rencontre avec le médecin du travail, ni encore la nécessité pour ce dernier de prononcer une inaptitude lorsqu’elle se justifie par l’état de santé du salarié, il apparaît nécessaire de rappeler la distinction qui existe entre chacune des phases présentées.

Il est ainsi impératif que les médecins du travail se saisissent davantage des articles L.4624-4 et -5 du Code du travail pour questionner l’employeur sur les possibilités d’adaptation du poste (sans « s » et donc du poste occupé par le salarié).

Il apparaît tout aussi impératif qu’aucun amalgame ne soit fait entre ce premier ensemble de textes et celui relatif à l’obligation de reclassement qui, lui, vise une adaptation des postes (avec « s » et donc par référence aux autres postes de l’entreprise ou du groupe, selon la configuration).

Invitation se doit ainsi impérativement d’être faite aux entreprises d’alerter leur médecin du travail du contexte qui aura précédé sa rencontre avec le salarié et de prendre soin de préciser, par exemple, que des démarches ont déjà été initiées dans le sens d’un départ négocié.

Cela permettra aux médecins du travail d’avoir une parfaite connaissance du contexte et d’y veiller à la fois lors du prononcé de l’avis médical et, dans le cas d’une inaptitude, lors de l’utilisation de l’une des deux formules exonérant l’employeur de toute recherche de reclassement.

Les textes précités se doivent d’être maîtrisés par chacune des parties prenantes, services de santé y compris, à défaut de quoi ils pourraient être dévoyés et conduire à une sorte d’autolicenciement.

8 Article R.4624-42 du Code du travail

9 Arrêté du 16 octobre 2017 – NOR : MTRT1716161A – annexe 3

10 Cass. Soc. 31 janvier 2006 n° 05-41.188 et encore

Cass. Soc. 26 septembre 2012 n° 11-14.989

11 Articles L.1226-2-1, L.1226-12 et L.1226-20, outre l’article R.4624-42 du même Code

12 Doublement de l’indemnité de licenciement et indemnité équivalente à ce qu’aurait été le préavis

13 Par référence à la présomption de démission instaurée par le nouvel article L.1237-1-1 du Code du travail

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