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Bicok : la tiny house version couteau suisse

Hébergement d’urgence ou touristique, poste de secours, établissement commercial ou administratif… les tiny houses, conçues et fabriquées par Bicok à Seyresse, se plient à tous les besoins.

Bicok Espeleta , tiny house

Bicok Espeleta © D. R.

Lors qu’ on tape « tiny house » dans un moteur de recherche, on tombe invariablement sur d’adorables petites maisons à l’intérieur soigné et installées dans des endroits de rêve. Des lieux qui peuvent changer du jour au lendemain, puisqu’il suffit d’atteler la tiny house à sa voiture pour la déplacer où l’on veut.

Né aux États-Unis au début des années 2000, le concept du nomadisme version chic n’est pourtant qu’une part infime de la réalité du marché. « La mobilité n’intéresse qu’une minorité de nos clients », confirme Christophe Herbreteau, co-fondateur de Bicok, avec Yannick Faure.

Bicok

Christophe Herbreteau, co-fondateur de Bicok, avec Yannick Faure © D. R.

Les deux associés ont créé l’entreprise à Seyresse en janvier 2020.

Mêlant leurs compétences de la conception technique, du design et de l’architecture, ils se sont spécialisés dans la fabrication de tiny houses. « J’ai été urbaniste pendant 20 ans, reprend Christophe Herbreteau. Et ce n’est pas tant l’aspect nomade que la réponse à un contexte d’habitat relativement tendu qui m’a fait me lancer dans ce projet. »

CONTRAINTES URBANISTIQUES

Car quitte à casser un mythe, pouvoir installer sa tiny house n’importe où est une utopie. « Techniquement, c’est possible, bien sûr. Déposées sur remorque, nos constructions peuvent être tractées par une voiture sur des centaines, voire des milliers de kilomètres. Mais légalement, c’est autre chose. En France, les espaces naturels et agricoles sont préservés. Seuls les terrains constructibles peuvent donc les accueillir. »

À vrai dire, la tiny house n’est même pas une catégorie définie par le Code de l’urbanisme. Si elle est posée sur une remorque, elle est assimilée à une caravane. Si elle n’est pas mobile, elle est considérée comme une construction classique. Dans ce dernier cas, il faut déposer une déclaration préalable (en dessous de 20 m2) ou un permis de construire (au-delà de 20 m2) pour pouvoir l’installer. Et malgré tout, c’est cette option que choisissent la majorité des clients de Bicok. Car être assimilé à une caravane a un inconvénient de taille. Selon le Code de l’urbanisme, on ne peut pas y vivre plus de huit mois par an.

« Nos clients qui souhaitent habiter à l’année dans leur tiny house préfèrent donc la désolidariser de la remorque. Jusqu’à maintenant, il y avait trop peu de tiny houses pour que le Code de l’urbanisme les prenne en compte. Comme ce marché de niche devient de moins en moins confidentiel, la législation devra forcément s’adapter. Ce n’est qu’une question de temps. »

DE L’HABITAT DIVERSIFIÉ

L’habitat est le premier usage de la tiny house. Mais il recouvre des réalités très diverses. Bien sûr, des particuliers choisissent ce type d’hébergement à la fois minimaliste et écologique pour en faire leur résidence principale ou secondaire. La crise de la Covid a ouvert les yeux à de nombreuses personnes qui en veulent moins, mais mieux.

Mais des bailleurs sociaux font également appel à Bicok. « L’un d’eux vient de nous acheter 15 tiny houses destinées à héberger de jeunes travailleurs isolés en zone rurale. » Les collectivités s’y mettent aussi, pour en faire des logements d’urgence aptes à accueillir des personnes en difficulté ou des migrants.

L’intérêt de la petitesse, c’est qu’on peut amener les tiny houses où on veut, quand on en a besoin

« C’est un dispositif agile. L’intérêt de la petitesse, c’est qu’on peut les amener où on veut, quand on en a besoin. » Les établissements touristiques commencent aussi à s’y intéresser. « Les hébergeurs qui font appel à nous veulent se distinguer des mobil-homes, avec des prestations sur mesure, une qualité supérieure et une touche insolite. La commune d’Arudy (Pyrénées- Atlantiques) vient ainsi de nous commander une tiny pour accueillir les touristes. » Une commune littorale de la région envisage, pour sa part, de se doter de tiny houses pour héberger ses saisonniers durant la période estivale.

POUR TOUS LES PUBLICS

Le concept s’adapte à tous les publics. Le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) de Pau dispose ainsi d’une demi-douzaine de tiny houses pour loger des étudiants. Parallèlement, Bicok vient de développer la Silver Bicok. « Conçue en partenariat avec un ergothérapeute, elle est intégralement accessible aux personnes à mobilité réduite. Dans 18 m2, on trouve une chambre, une salle de bain et une cuisinette. Distribuée par notre partenaire Dom&Vie, elle est proposée avec des services de portage de repas à domicile et d’aide-ménagère afin de faciliter le maintien à domicile des personnes âgées. » Bicok espère en commercialiser une trentaine par an.

BICOK UNE ENTREPRISE EN CROISSANCE

Près de deux ans et demi après son lancement, Bicok réalise un chiffre d’affaires d’un million d’euros et connaît une belle croissance. Installée à Seyresse dans les anciens locaux du Centre de formation des apprentis (CFA) du bois, elle est aujourd’hui un peu à l’étroit dans ses ateliers de 1 000 m2. Et même sa croissance externe, via le rachat par les deux associés d’Abris Nomades (Magnac-Lavalette-Villars en Charente) en janvier 2022, ne suffit pas à répondre à la demande.

En plus des deux associés, l’entreprise emploie au total 11 salariés sur ses deux sites de production : un agent administratif, un dessinateur spécialisé en ossature bois, une designeuse d’intérieur et huit menuisiers. « Aujourd’hui, avec notre montée en puissance, nous voudrions constituer de nouvelles lignes de production, indique Christophe Herbreteau, co-fondateur de Bicok. Nous recherchons donc de nouveaux locaux, mais aussi de nouveaux salariés. Ce qui n’est pas facile sur un marché de l’emploi tendu dans les métiers de la menuiserie. »

DES APPLICATIONS ILLIMITÉES

Limiter l’usage des tiny houses à de l’habitat serait une erreur. Le concept se prête également très bien aux locaux professionnels. De nombreuses personnes utilisent les tiny comme bureau ou atelier mobile. Un espace naturel de baignade en Mayenne a commandé une Bicok pour en faire un poste de secours. Le Groupement d’intérêt public (GIP) Littoral de Nouvelle-Aquitaine pourrait faire de même.

Une commune littorale envisage de se doter de tiny houses pour héberger ses saisonniers

« Nous avons aussi des demandes plus insolites. L’assureur MAIF nous a commandé un exemplaire pour en faire un espace de promotion des usages numériques. Un agriculteur voulait une bergerie de haute montagne. Des restauratrices nous ont demandé un espace de restauration mobile pour faire les marchés. Et nous avons également aménagé un escape game dans une tiny house pour les besoins d’un client. Les applications sont illimitées. Et pour notre plus grand plaisir, on n’arrête pas d’en découvrir de nouvelles ! »

NE L’APPELEZ PAS MOBIL-HOME !

Mis à part son aspect compact, une tiny house n’a rien à voir avec un mobil-home. Structurellement, les deux types d’hébergement sont « radicalement différents », confirme Christophe Herbreteau, co-fondateur de Bicok. Les mobil-homes sont ainsi constitués de panneaux sandwich avec un parement contreplaqué d’un côté, aluminium de l’autre et de la mousse polyuréthane au milieu. Les tiny houses, pour leur part, sont de véritables constructions à ossature bois, « comme les maisons landaises traditionnelles », avec un concept d’isolation beaucoup plus performant.

Autre différence de taille : la mobilité. « Le nom mobil-home est trompeur, car ce ne sont pas véritablement des maisons sur roues. Certes, on peut les déplacer sur une dizaine, voire une centaine de mètres, mais pas plus. C’est seulement un alibi règlementaire. » Au contraire, placée sur une remorque, la tiny house peut être tractée et prendre la route. En matière de durabilité, là encore, le fossé est très large. Alors qu’un mobil-home a une durée de vie de 15 à 20 ans, une tiny house est totalement pérenne. « Les plus vieilles constructions du monde sont à ossature bois », rappelle Christophe Herbreteau. Enfin, pour ce qui est du design et de l’architecture, « l’avantage va bien évidemment aux tiny houses qui peuvent s’adapter à toutes les envies ».