Les Annonces Landaises : Dans quel contexte s’inscrit votre étude sur la sobriété foncière dans les Landes ?
Clémence de Selva : Notre étude porte sur les différentes formes urbaines des villes et villages landais et doit proposer des hypothèses de densification respectueuses de la qualité urbaine. L’enjeu est de sensibiliser à la sobriété foncière, avec en filigrane la mise en œuvre de la loi Zéro artificialisation nette (ZAN) qui prévoit que d’ici 2050, tout ce qu’on artificialise devra être compensé par une renaturation quelque part. Dès 2031, il faudra avoir diminué par deux la consommation d’espaces par rapport aux 10 années précédentes. Si ces objectifs ambitieux ont suscité de nombreux débats parmi les élus locaux, loi ou pas loi, il faut aujourd’hui trouver des solutions pour consommer moins de sol.
LAL : Pourquoi la sobriété foncière s’impose-t-elle aujourd’hui ?
C. de S. : Au-delà du fait que la construction est un secteur très émetteur en gaz à effet de serre avec des matériaux qui sont des poids lourds climatiques comme le ciment et l’acier, la croissance des villes, des bourgs et des villages prospère plutôt aujourd’hui sur le mode de l’extension urbaine et consomme du sol. Or, le sol est vivant, il mettra des centaines et des milliers d’années à se reconstituer, à retrouver un fonctionnement biologique, une fertilité. Et n’oublions pas que les sols jouent aussi un rôle dans la régulation de l’eau et son infiltration naturelle. On sait que chaque fois qu’on touche un peu de sol, on contribue au changement climatique et on augmente la vulnérabilité des zones construites.
Pour continuer à développer des logements, de l’activité, des équipements, dans les bourgs, les villages comme dans les grandes villes sans consommer de la ressource sol non renouvelable, il faut porter des projets urbains intelligents qui réussissent à intensifier et densifier [voir l’encadré] l’existant en ajoutant à la fois des mètres carrés et des usages.
Chaque fois qu’on touche un peu de sol, on contribue au changement climatique
LAL : Quelles sont les pistes pour ces « projets urbains intelligents » ?
C. de S. : L’objectif est de faire changer de regard et de culture sur l’aménagement urbain. Arrêter de parler de développement mais plutôt d’aménagement ou même de ménagement, c’est-à-dire prendre soin des ressources naturelles et humaines autant que des ressources bâties dont nous héritons. À partir de situations locales, l’idée est de proposer une grille de lecture pour répertorier les « gisements invisibles » en identifiant les friches, les dents creuses, les bâtis vacants ou pas occupés comme ils le devraient, pour les réhabiliter et optimiser les usages des logements comme des équipements.
LAL : Sur un marché globalement tendu dans les Landes, comment produire des logements sans consommer de sol ?
C. de S. : Les solutions seront différentes selon qu’on s’adresse à une commune du littoral soumise à une forte pression foncière avec des résidences secondaires qui représentent 50 % des logements, ou à une commune rurale avec une problématique de vacance et des opportunités différentes.
Plusieurs réflexions peuvent être menées autour de la densification.
On peut, par exemple, se demander comment faire de la division foncière concertée dans certains lotissements des années 1950-1960 dotés de grandes parcelles, et programmer des opérations d’intensification-densification plutôt que de créer des nouveaux quartiers, aussi écologiques soient-ils.
Dans les centres-bourgs, a-t-on encore de la place pour construire, entre deux immeubles, par exemple, ou rehausser ? Les centralités de certaines communes du littoral, souvent issues des programmes touristiques des années 1970, ne sont pas très denses, avec des bâtiments en R+1 ou R+2 autour de la mairie, des services et des commerces. On peut y étudier des plans de recomposition urbaine pour soutenir un peu la densité à certains endroits stratégiques.
Dans des villages ruraux qui rencontrent un phénomène de désertification et de fragilisation, comment peut-on réinvestir une ou plusieurs maisons de maître ou des immeubles inoccupés depuis longtemps, en les divisant en plusieurs appartements, pour éviter qu’ils tombent en ruine ?
Un plan sur les parcours résidentiels et le vieillissement est aussi une piste pour la sobriété foncière
LAL : Ces réflexions sur le logement doivent-elles prendre en compte l’évolution démographique du territoire ?
C. de S. : L’un des gisements invisibles réside effectivement dans la sous-occupation des logements qui est forte dans les Landes comme dans tout le territoire national.
Aujourd’hui, les ménages sont majoritairement composés d’une seule personne, souvent âgée alors que parallèlement ce sont les grandes maisons qui dominent le parc résidentiel et il en résulte un phénomène de sous-occupation mal connu et peu visible. Comme on sait qu’on va avoir de plus en plus de seniors, il faut à tout prix créer de bonnes conditions pour vieillir en ville. Une réponse est de restaurer une diversité d’offre au sein de chaque quartier pour répondre à la fois au vieillissement et à tous les parcours de vie émergents (jeunes ménages, familles monoparentales, colocations choisies…) et ainsi favoriser la rotation des ménages.
Cela passe par la création de plus petits logements au plus proche des commerces, des services, par exemple en transformant des maisons existantes au sein des quartiers, en favorisant la re-cohabitation, ou bien sous la forme d’opérations nouvelles dans un format plus compact (petite résidence, maisons en bandes par exemple).
Un plan sur les parcours résidentiels et le vieillissement constitue aussi une piste pour la sobriété foncière.
LAL : Vous évoquez les commerces, les services en centre-bourg. Comment les dynamiser ?
C. de S. : C’est toujours complexe de rétropédaler maintenant que les supermarchés sont implantés à chaque sortie de ville. On n’a pas encore tout le recul nécessaire pour évaluer la fragilisation des centres qui se vident progressivement de leurs commerces et de leurs habitants. Les centres-bourgs sont les lieux de convergence de la vie publique, il faut les réinvestir !
Mais réhabiliter une grosse bâtisse de cœur de village, à forte valeur patrimoniale certes, mais peut-être vétuste et peu adaptée aux standards de surface et de confort actuels est complexe et de telles opérations sont rares car souvent déficitaires pour les collectivités ou les bailleurs sociaux.
Face au déficit d’opérateurs, on voit l’émergence d’acteurs alternatifs comme les foncières solidaires qui portent du foncier sur du long terme et sans rentabilité pour réinstaller des petits commerces, des cafés associatifs, des logements locatifs parfois absents dans la commune… En lien avec ces foncières, les habitants qui ont envie de réinvestir plus de sociabilité, de vie urbaine, peuvent aussi lancer des projets de développement local pour une reprise en main citoyenne de la fabrique de la ville.
Les habitants peuvent lancer des projets de développement local pour une reprise en main citoyenne de la fabrique de la ville
LAL : Dans cette réflexion globale sur le Zéro artificialisation nette, quelles sont les perspectives pour les zones d’activité économique ?
C. de S. : Il n’y a pas de raison pour que les zones d’activité ne participent pas à cet « effort de guerre » sur la sobriété foncière. D’une manière générale, en France, les zones d’activité sont très peu denses. Elles sont toujours considérées comme incompatibles avec un environnement urbain résidentiel alors que bien souvent elles ont été rattrapées par l’urbanisation, et sont entourées par des zones pavillonnaires. La plupart des zones d’activité économique sont des gisements fonciers largement sous-exploités où les possibilités sont multiples : optimisation, mutualisation des parkings des aires de stockage ou de manœuvre, superposition des fonctions…
LAL : À quels niveaux du territoire doit se réfléchir cette approche ?
C. de S. : Il y a bien sûr l’échelle communale et intercommunale qui est celle des plans d’urbanisme. Mais pour profiter pleinement du potentiel que représente l’optimisation du patrimoine existant, il faut aussi engager une réflexion sur l’aménagement du territoire, miser et travailler sur une coopération plutôt qu’une concurrence entre territoires.
Ce n’est pas une difficulté supplémentaire mais un changement d’échelle identique à celui nécessaire à la transition écologique dans les années à venir : enjeux de démobilité pour rapprocher les zones d’emplois des logements, de mutation agricole pour un système plus respectueux du sol et du vivant, de relocalisation industrielle, de rénovation thermique… C’est un défi énorme, mais plutôt enthousiasmant !
L’Atlas du foncier invisible : entre densification et intensification
« L’Atlas du foncier invisible est un manuel pédagogique et didactique pour permettre aux élus et acteurs locaux de porter un nouveau regard sur les ressources foncières et bâties dont ils disposent », résume Clémence de Selva. Élaboré en 2023 par l’agence d’architecte Selva et Maugin dans le cadre d’une expérimentation de l’État « Territoire pilote de sobriété foncière » sur la communauté d’agglomération du Grand-Poitiers, l’outil propose une grille de lecture permettant d’identifier les opportunités d’intensifier (sans construire) et de densifier (construire sans artificialiser). L’Atlas est organisé autour de quatre grands axes : lutter contre la vacance ; agir sur la sous-occupation ; recycler les dents creuses et les friches et densifier les tissus. « Il s’agit de mettre en lumière la variété des occasions de produire sans nécessairement construire et de densifier sans artificialiser. »