« On ne sort pas du chemin comme on s’y jette », reconnaît volontiers Jean Eimer, 43 ans après s’être lancé dans le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Alors reporter pour le quotidien Sud-Ouest, coutumier des expériences au long cours, entre une traversée des Pyrénées par le GR10 ou une expérience de clochard sur la Côte d’Azur, il part à pied de La Coquille (Dordogne), le 8 juin 1981. Le lendemain, Michelle Hoyez, s’élance à vélo depuis Saint-Omer (Pas-de-Calais) sur la longue route où ils se rencontreront à deux reprises.
Réunis dans l’ouvrage Un Voyage oublié (éditions Cairn) par les hasards de la vie et la détermination de la médiéviste Denise Péricard-Méa, coprésidente de l’Institut de recherche jacquaire, le reportage du journaliste bordelais de 38 ans et le journal intime de l’étudiante en médecine de 20 ans se croisent. Dans un style précis, émaillé d’envolées poétiques, de références littéraires ou cinématographiques et de traits d’humour pour lui, avec une plume sûre et incisive pour elle.
PARCOURS BALISÉ
On est à l’époque, loin du phénomène de mode actuel et des 438 000 cheminants recensés en 2023 par le bureau d’accueil qui leur est dédié à Saint-Jacques-de-Compostelle. « Dans la partie française, sur environ 400 kilomètres, je n’ai rencontré strictement aucun pèlerin », se remémore Jean Eimer. Peu d’hébergements sur la route de celui qui dormit souvent à la belle étoile, encore moins de conciergeries qui proposent aujourd’hui aux voyageurs en quête d’un effort mesuré de transporter leurs sacs à dos entre deux haltes. Le GPS a remplacé les guides évasifs, réduisant les embûches du parcours désormais balisé. Restent pour les marcheurs contemporains, mus par le désir d’ailleurs, les mêmes douleurs physiques (ampoules et autres coups de soleil) et l’intense fatigue liées à l’épreuve qui semble ne pas avoir de fin ; les vagabondages des pensées (spirituelles ou pas) ou les soutiens rencontrés sur le chemin…
À Michelle qui lui demande en 1981, lors de leur première rencontre entre Zubiri et Pampelune : « Vous ne pensez pas que le vrai chemin est celui qui mène à l’autre ? », il répond près d’un demi-siècle plus tard : « Le chemin m’a appris l’humilité, qu’il faut aller vers les autres, démuni de tout préjugé, et que les autres nous surprendront d’une façon ou d’une autre, en nous apportant le meilleur qu’il y a à attendre d’eux. »