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Pâtissiers à la commande

Une nouvelle génération de pâtissiers landais exerce son métier hors de toute boutique physique. Entre laboratoire (avec lèche-vitrine uniquement sur son écran de smartphone…) et commandes en ligne par souci d’économies, leurs gâteaux à la demande se veulent aussi « antigaspi ». 

Pâtissiers

Depuis son laboratoire à Pontonx-sur-l'Adour, Gaëtan Licart revisite les grands classiques : Paris-Brest, tarte au citron, Saint-Honoré, flan vanille... © Louis Piquemil

Le Landais Gaëtan Licart incarne parfaitement ces nouveaux artisans entrepreneurs du sucré. Dans son laboratoire de 20 m² attenant à sa maison familiale, ce jeune pâtissier formé chez les plus grands, a fait le pari de se lancer sans vitrine depuis l’an passé à Pontonx-sur-l’Adour, au fond d’un lotissement à 2 kilomètres du centre-bourg. « Des chefs m’ont dit : « Qu’est-ce que tu vas faire là-bas ? » Mais si on ne se lance pas, on ne saura jamais si ça pouvait fonctionner », confie-t-il.

De Cédric Grolet à Pontonx-sur-l’Adour

Après deux CAP à Mont-de-Marsan en boulangerie et en pâtisserie formé chez Bourdil à Tartas (« Chez lui tout est fait maison, c’était une bonne école. La pâtisserie, c’est très technique et précis avec un côté artistique et c’est ici que j’ai eu le déclic. »), Gaëtan Licart a gravi les échelons dans des établissements prestigieux. À l’Hôtel du Palais de Biarritz, il est au service du sommet du G7 en 2019 pour Emmanuel Macron, Donald Trump et Angela Merkel. Puis c’est l’aventure parisienne chez Cédric Grolet, figure emblématique de la pâtisserie moderne et maître des trompe-l’œil artistiques. « On était 10 en pâtisserie, il y avait une énorme émulation. J’ai appris la rigueur, la propreté poussées à l’extrême, l’élite. C’était très militaire », se souvient-il.
De retour dans le Sud-Ouest après un passage à Dubaï où il a participé à l’ouverture d’une boutique pour Grolet, Gaëtan Licart devient chef pâtissier du Briketenia à Guétary avant de faire le choix de s’installer dans son village natal plutôt que sur la côte basque ou landaise. « Financièrement, ça m’a remis les idées en place. Les loyers étaient beaucoup trop élevés pour une première affaire », explique celui qui a investi 80 000 euros pour son laboratoire aux normes, « ça m’aurait coûté 10 fois plus sur Hossegor ! ». « Là, si je perds, je ne vais pas m’endetter à vie, et pour l’instant, ça paye. Et si je rate un gâteau, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même », dit-il, en réfléchissant à ses bûches pour Noël, aux agrumes et citron yuzu, en 100 % noisette avec biscuit croustillant praliné et caramel, ou encore à la passion et vanille de Tahiti envoyée par un contact dacquois en Polynésie.

Petits choux et vitrines mobiles

Cette approche économique se retrouve chez d’autres artisans landais. À Lit-et-Mixe, Isabelle Lartigue qui a obtenu son CAP pâtissier sur le tard, a également son laboratoire attenant à son domicile, l’Atelier d’Iz. Cette ancienne éducatrice spécialisée auprès d’adultes autistes pendant une dizaine d’années, s’est reconvertie en 2021 avec l’aide du chef pâtissier bordelais Cyril San Nicolas. « Une fois qu’on aligne la faisabilité et les chiffres, on voit ce qui peut fonctionner ou pas. C’était après le covid, j’ai profité d’une nouvelle façon de consommer et d’une formation pour m’établir sur les réseaux pour que les clients puissent me trouver. C’est déjà un travail à part entière d’exister autrement », analyse l’autoentrepreneuse qui met en avant sa liberté d’organisation et la limitation des coûts et charges en restant en solo. Son modèle à elle repose sur la diversification : commandes personnalisées à l’avance, petites vitrines mobiles l’été avec ses petits choux vanille au centre du village, partenariats avec des restaurateurs ou traiteurs locaux pour des mariages comme avec le Moulin de Poustagnacq, et cadeaux de fin d’année d’entreprises pour leurs salariés. « Il ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier », résume cette mère de famille qui assure vivre de son travail en ayant trouvé son équilibre entre périodes saisonnières intenses (été et Noël avec notamment sa bûche Côte d’argent vanille pignons de pin et meringue ou celle au sudachi, un agrume japonais), et moments plus calmes pour créer de nouvelles recettes.
« Ce système fonctionne parce que je travaille seule sans salarié. Si j’ai envie de travailler jusqu’à minuit ou décaler mes horaires le dimanche et pas le lundi, ça ne regarde que moi, c’est une liberté », défend-elle, tout en ayant toujours à l’esprit qu’en cas de maladie ou de blessure, « ça ne tourne plus, comme pour beaucoup d’indépendants ».
Isabelle Lartigue n’a jamais rien d’avance : « Une commande la veille pour le lendemain, ce n’est pas possible pour moi, ce qui est parfois difficile à comprendre pour certaines personnes. »
Son succès, cette membre de jury de CAP pâtissier dans les Landes le doit à des créations originales comme ses cannelés fourrés – spécialité transmise par son formateur bordelais – ou ses préparations sur mesure qui s’adaptent à l’histoire des clients : spécialités au whisky pour des mariés écossais, ou à la crème piment d’Espelette et litchis pour un couple du Pays basque et de la Réunion. Des créations qu’elle pourrait présenter bientôt pour un événement français à Osaka (Japon).

Si j’ai envie de travailler jusqu’à minuit ou décaler mes horaires le dimanche, ça ne regarde que moi, c’est une liberté

« Cake design » et « number cakes »

Un peu plus au nord du département, à Sainte-Eulalie-en-Born, Amandine Lapouge qui s’est spécialisée dans le « cake design » (pièces uniques pour mariages, « number cake » pour anniversaires de particuliers ou d’entreprises, etc.), illustre une autre facette de ce métier en évolution. Elle, a d’abord tenté l’aventure d’une boutique à Mimizan en plein covid avant de trancher pour un petit laboratoire à domicile avec Amand’in cakes depuis deux ans. « Le loyer me coûtait 450 euros. Avec l’inflation des matières premières, la saisonnalité du métier, une boulangerie-pâtisserie qui avait ouvert en face, c’était devenu compliqué », explique cette ancienne monitrice d’équitation qui a passé son CAP pâtissier en classe d’adultes en huit mois à Mont-de-Marsan, avant de se former en « cake design » à Paris pour des décorations en sucre très travaillées.
« Le mariage, c’est très symbolique. Le gâteau reste un élément central même quand les budgets se resserrent », explique l’artisane qui confectionne ses créations en petites sculptures de moelleux multicouches, entre ganache vanille, confit de fraise ou crémeux citron, mangue passion ou chocolat. Pas de bûches de Noël ici en tout cas, elle déteste ça et préfère revisiter le gâteau roulé sous d’autres formes plus originales.
La conjoncture est aujourd’hui difficile : « J’ai eu le même nombre de mariages que l’an dernier, mais une baisse de chiffre d’affaires car les gens réduisent le nombre d’invités ou coupent les parts en plus petit », observe-t-elle, déplorant une certaine concurrence « qui fait du cake design au black, pour du beau mais pas bon » alors qu’elle se fournit en chocolat Valrhona, œufs de plein air, vanille de Madagascar, farine Label rouge et beurre de Bordeaux.

Précision du pâtissier et du comptable

Ce qui unit tous ces artisans est leur envie de travailler des produits de qualité, de saison, souvent en circuits courts. Gaëtan Licart s’approvisionne ainsi en lait cru bio à Castets, cacahuètes de Soustons, noisettes de Coudures chez Manon Dupouy, agrumes d’hiver dans le Tursan chez Philippe Sébi… Sa tarte au citron aux seulement 20 grammes de sucre pour 700 g de crème, illustre bien cette philosophie avec son gel aux herbes sauge menthe de la Vallée des deux sources dans le Gers.
Pour tous, le modèle de la commande à l’avance présente aussi un avantage environnemental non négligeable : le zéro gaspillage. « En faisant sur commande, on ne jette rien, on est dans une production très raisonnée », met en avant Isabelle Lartigue. « Si j’ai des restes de crèmes et de biscuits, assure Amandine Lapouge, je monte des petits gâteaux en pot que je revends à moindre coût via la plateforme web Too good to go. » « Le seul gaspillage se fait au moment de travailler à la création de nouveaux gâteaux, comme quand j’ai eu l’idée de ma spécialité de mini-pastis en trompe-l’œil avec effet brioché, crémeux et croustillant, ça m’a pris sept mois pour être satisfait », souligne Gaëtan Licart. Chez lui, tout est donc pesé au gramme près. « J’ai des lacunes côté paperasse, alors je me suis fait conseiller par un comptable pour mieux connaître les prix de revient, les seuils de rentabilité… Je pèse tout, et quand tout est bien écrit sur la recette, ça va vite après, et ça me donne une sécurité, avec la double précision du pâtissier et du comptable. »
Avec le bouche-à-oreille, des Dacquois ou des Montois sont aujourd’hui « prêts à faire quelques kilomètres de plus et mettre le prix pour partager des pâtisseries de façon occasionnelle », assure l’artisan qui a aussi mis en place des ateliers pâtisseries en bons cadeaux.
Ayant « explosé son prévisionnel » en cours d’année, Gaëtan Licart qui multiplie les mini-vidéos mettant l’eau à la bouche sur les réseaux sociaux, anticipe de doubler ses commandes à Noël. Son frère Enrique qui est toujours au Briketenia, doit donc rapidement le rejoindre comme associé : « En famille, on pourra faire les horaires qu’on veut, ça va envoyer ! » Au point de déjà réfléchir à garder son laboratoire à Pontonx-sur-l’Adour et ouvrir, en plus, d’ici deux ans… une ou deux boutiques sur la côte basque et landaise, conscient qu’on n’a jamais fait mieux que le plaisir des yeux dans un bel écrin non numérique.

Je pèse tout, ça me donne une sécurité, avec la double précision du pâtissier et du comptable