Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Palais de justice : du Moyen Âge à la modernité, Olivier Janson, procureur de la République de Mont-de-Marsan

Procureur de la République à Mont-de-Marsan depuis six ans, Olivier Janson a connu l’avant et l’après-construction du nouveau palais de justice. Il se dit « raisonnablement optimiste » sur les moyens qui seront accordés à la justice. Rencontre.

Olivier Janson palais de justice

Olivier Janson © H. R.

Les Annonces Landaises : Quel a été votre itinéraire pour devenir procureur de la République ?

Olivier Janson : Étant issu d’une famille de fonctionnaires et d’une lignée de cheminots, je me suis orienté vers la fonction publique. J’étais plutôt littéraire, alors j’ai fait une année d’hypokhâgne (au lycée… Janson de Sailly), puis Sciences Po Paris, et c’est lors d’un stage au tribunal de Nanterre que j’ai trouvé ma voie en découvrant la justice et en appréhendant concrètement son rôle d’instance de régulation des conflits. L’idée de rendre la justice – dans toutes les acceptions du terme – me correspondait bien. J’ai donc passé le concours d’entrée à l’ENM (École nationale de la magistrature) de Bordeaux en 1996.

LAL : Un concours qui s’adresse aux premiers de la classe ?

O.J. : Je n’en suis pas le meilleur exemple. Je réussissais bien dans les matières qui m’attiraient, mais beaucoup moins dans les autres… Il faut certes de très bonnes connaissances juridiques, mais ce qui est le plus important à mes yeux, c’est d’avoir la culture du doute, l’envie de comprendre et une sorte de goût des autres.

LAL : Vous êtes magistrat depuis 25 ans. Quels ont été vos différents postes ?

O.J. : J’ai débuté ma carrière en 1998 comme juge d’instruction dans le Pas-de-Calais. De 2003 à 2008, j’ai été juge des enfants à Mont-de-Marsan. J’ai ensuite été nommé au parquet de Bayonne jusqu’en 2017. Et depuis – à croire que je m’y trouve bien -, je suis revenu à la préfecture des Landes.

LAL : Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans la fonction de procureur de la République ?

O.J. : Mes collègues et moi avons la chance d’exercer un métier dont l’utilité est immédiatement palpable. Nous sommes conscients de l’importance des attentes des concitoyens. C’est très motivant et responsabilisant. La fonction est très diverse et laisse place à la créativité. Ici, je peux m’appuyer sur un tissu partenarial très riche avec des associations, un barreau et des collectivités très engagés. Cela permet de faire évoluer les choses en adaptant l’action du parquet aux spécificités du ressort. Plus généralement, représenter le ministère public près le tribunal judiciaire est une mission qui vous honore et vous oblige.

J’ai la chance de pouvoir m’appuyer sur un tissu partenarial très riche avec des associations, un barreau et des collectivités très engagés

LAL : Comment se déroule la journée d’un procureur de la République ?

O.J. : Il n’y a pas d’agenda type, pas deux journées qui se ressemblent, mais toutes sont bien remplies. Il faut vraiment avoir la santé. Mon bureau est une sorte de carrefour et les thèmes que j’aborde chaque jour sont éclectiques. J’ai le sentiment d’avoir en fait deux métiers. Le premier consiste à organiser la conduite des enquêtes judiciaires par la police et la gendarmerie et à mettre en place une politique partenariale globale, ce qui suppose des contacts quotidiens avec nos principaux partenaires dont la préfecture, les associations d’aide aux victimes, les médecins légistes, le conseil départemental, de multiples administrations spécialisées… Mon second métier consiste, comme mes collègues du parquet, à aller aux audiences, à suivre des dossiers particuliers, à assurer une permanence et à me déplacer parfois sur les scènes de crimes ou de délits graves. J’ai la chance d’être entouré d’une équipe constituée de magistrats, greffiers, contractuels, agents qui, même s’ils sont souvent épuisés, sont conscients de leurs responsabilités, prennent leur tâche à cœur et restent mobilisés. Cette dynamique est primordiale.

Palais de justice

© H. R.

LAL : Quelles sont les particularités du ressort de Mont-de-Marsan ?

O.J. : Le ressort est essentiellement rural, assez peu criminogène. Il n’y a pas de zone de non-droit et l’action judiciaire y a du sens. Le ressort compte 200 000 habitants. Le parquet reçoit près de 13 000 procédures par an, qui correspondent à des faits d’atteintes aux biens et aux personnes et à des trafics locaux ou de transit, avec un pic de 40 % pendant la période estivale. Pour les traiter, il n’y a que cinq magistrats et une quinzaine de greffiers.

LAL : Concernant les moyens humains, lors de l’audience solennelle de rentrée, vous vous êtes dit « raisonnablement optimiste »…

O.J. : J’ai bien dit « raisonnablement ». Je ne perds pas de vue que depuis l’époque d’Honoré de Balzac, le nombre de magistrats n’a que très peu évolué (de 7 500 à 9 000), alors que les attentes en matière de justice ont été démultipliées, avec notamment l’apparition de nombreux contentieux qui n’existaient pas. En réalité, pour mettre un terme à « la clochardisation de l’institution judiciaire », évoquée en 2016 par Jean-Jacques Urvoas, le garde des Sceaux de l’époque, il faudrait multiplier le nombre de magistrats par deux. Je parle cependant d’optimisme, car il semble que la situation a, depuis peu, été prise en compte. Le budget de la justice atteindra les 10 milliards d’euros d’ici la fin du quinquennat actuel et la notion d’équipe autour du magistrat fait son chemin. Un nouveau corps d’attachés de justice est en cours de constitution. Des juristes assistants et des chargés de mission nous secondent déjà pour faire avancer les dossiers de justice de proximité, les relations avec les collectivités, et être le plus efficient possible dans la lutte contre les violences intrafamiliales. Les annonces de recrutement de magistrats constituent une avancée attendue, même si, au rythme annoncé, il faudra des décennies pour rattraper les retards accumulés.

Sur ce ressort essentiellement rural, assez peu criminogène, il n’y a pas de zone de non-droit et l’action judiciaire y a du sens

LAL : Le nouveau palais de justice, inauguré il y a un an et demi, à Mont-de-Marsan, contribue-t-il à améliorer les conditions d’exercice de la justice ?

O.J. : « Nous sommes passés du Moyen Âge à la modernité. » L’expression n’est pas de moi, mais je la trouve très juste. C’est une réussite architecturale incontestable. C’est également le cas en termes de fonctionnalité au quotidien. Les justiciables sont accueillis au rez-de-chaussée où se tiennent toutes les audiences. Aux étages, les services ont été organisés pour assurer un maximum de cohérence dans le traitement des dossiers. Nous avions particulièrement travaillé le sujet avec le président du tribunal, Guillaume Cotelle, et la directrice de greffe, Laetitia Chanuc. Je ne connais pas d’utilisateur qui ne se félicite de ce nouvel outil. Il n’a pas révolutionné notre pratique au quotidien, mais a rendu tout plus aisé.

La notion d’équipe autour du magistrat fait son chemin

LAL : Mont-de-Marsan est aujourd’hui une juridiction de pointe en matière numérique ?

O.J. : La PPN (procédure pénale numérique) est en route. L’objectif est la dématérialisation complète de la chaîne pénale d’ici 2027. Les procédures établies par les services de police et de gendarmerie commencent déjà à être créées nativement en numérique. L’original n’est plus le papier, mais le numérique. Notre bureau d’ordre, tour de contrôle par laquelle passent toutes les affaires, est déjà en phase d’expérimentation et bientôt tous les services pénaux. Il y aura gain de place, mais surtout un gain de temps.

Palais de justice

Le nouveau palais de justice « n’a pas révolutionné notre pratique au quotidien, mais a rendu tout plus aisé » © H. R.

LAL : Les délais de réponse pénale restent une de vos priorités ?

O.J. : C’est une attente légitime des citoyens. Pour cela, nous avons privilégié la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Cette procédure permet de juger rapidement l’auteur d’une infraction reconnue. Le procureur propose une peine. Si la peine est acceptée par l’auteur des faits, l’affaire est transmise au juge pour approbation. Cela permet de moins saisir le tribunal en formation « classique » et de dégager du temps pour le contentieux civil dont le traitement est également primordial.

Avec le conseil départemental, nous souhaitons renforcer la lutte contre les violences faites aux mineurs

LAL : Sur quelle thématique de politique pénale travaillez-vous en ce moment ?

O.J. : En lien avec le conseil départemental, dont c’est l’une des priorités, nous souhaitons renforcer la lutte contre les violences faites aux mineurs. L’engagement partenarial exemplaire en matière de lutte contre les violences intrafamiliales doit nous servir de modèle. Nous voulons accélérer les enquêtes pénales concernant ces faits.