Couverture du journal du 02/01/2025 Le nouveau magazine

La préfète fait le point

Mobilisation des agriculteurs, sécurité, ou encore logement, Françoise Tahéri, préfète des Landes défend son bilan 2024 et dévoile ses priorités pour 2025, dans un contexte de forte instabilité politique.

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© Thibault Toulemonde

Les Annonces Landaises : Les agriculteurs ont vu les promesses de l’État suspendues en décembre par la censure du gouvernement Barnier. Est-ce que vous craignez une nouvelle mobilisation en ce début d’année ?

Françoise Tahéri : Je discute beaucoup avec le monde agricole. Il y a une liberté de manifester, qui est inscrite dans notre Constitution. Mais cette liberté ne doit pas se traduire par des dégradations ni des atteintes aux biens ou aux personnes. Ça, c’est la ligne rouge. J’ai été amenée à déposer plainte, c’est la première fois que je le faisais, parce que la ligne rouge avait été franchie. Pourquoi ? Le 20 novembre dernier, de la paille a été déposée par la Coordination rurale au pied du portail de la DDTM [Direction départementale des territoires et de la mer, NDLR]. Volontairement, le feu a été mis dans ces ballots de paille qui ont ensuite été projetés dans l’enceinte de la DDTM, à proximité du bâtiment, alors que des collaborateurs étaient encore en train de travailler. Ça, ça n’est pas acceptable. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé plainte. Et j’enverrai la facture de réparation du portail.

LAL : Êtes-vous inquiète pour la suite ?

F. T. : Non, je ne suis pas inquiète parce que je pense que les agriculteurs souhaitent conduire des actions qui ne dévalorisent pas l’agriculture et qui ne portent pas atteinte à l’image de l’agriculture. Je pense que les phénomènes de dégradation sont contre-productifs et desservent la profession agricole.

Il y a une grande robustesse de nos institutions, et toujours une permanence de l’État

LAL : L’année 2024 a donc été marquée par cette colère des agriculteurs et par une forte instabilité politique, si vous regardez en arrière, quel a été le moment le plus difficile ? Et le plus heureux ?

F. T. : Les plus difficiles, incontestablement, ce sont les manifestations agricoles. Et, je ne le cache pas, avec une grande déception de ma part. Déception et condamnation fortes. Les moments les plus réjouissants, ce sont les fêtes qui maillent tout le territoire, plus de 300 entre avril et octobre. C’est formidable. J’adore ! Et puis les Jeux olympiques et paralympiques, le fait d’avoir vu cette ferveur, cet enthousiasme populaire, c’était très impressionnant de voir tous ces sportifs de haut niveau qui sont venus s’entraîner dans les Landes.

LAL : Les communes, les intercommunalités et le conseil départemental sont très inquiets pour leurs finances, alors que le budget de l’État n’est toujours pas voté pour 2025. Comment les rassurer, eux qui comptent sur la Dotation globale de fonctionnement (DGF) pour mener à bien leurs politiques ?

F. T. : Tout d’abord, un point qui est clair, c’est que dès ce début d’année, la DGF va être versée par douzième aux collectivités locales, sur la base de la DGF qui a été calculée en 2024. À cet égard, c’est inchangé par rapport à ce qui existe chaque année. Ça a été clairement précisé par les ministres qui ont adressé des courriers aux associations d’élus, aux collectivités locales. Ensuite, il faut que la DGF 2025 puisse être calculée conformément aux dispositions qui seront dans la loi de finances 2025, donc il est très important qu’elle puisse être adoptée.

Ma priorité en 2024, c’était le logement. En 2025, c’est l’emploi

LAL : Et vous, comment avez-vous vécu l’instabilité politique du pays dans l’exercice de vos fonctions ?

F. T. : Ce que je souligne toujours, c’est qu’il y a une grande robustesse de nos institutions, et il y a toujours une permanence de l’État et une incarnation de l’État. Moi, ce qui me motive, c’est de faire avancer les dossiers, fondamentalement, et d’apporter ma pierre pour faire en sorte que les conditions de vie des Landaises et des Landais soient meilleures. Alors, bien évidemment, on le fait en travaillant toujours avec les autorités centrales. Il y a toujours une continuité. Regardez les Jeux olympiques, les autorités étaient démissionnaires mais elles étaient là, de même pendant l’épreuve épouvantable subie par Mayotte et nos concitoyens mahorais, l’État était présent. Et ça, c’est la solidité de notre modèle, de notre organisation administrative et de nos institutions.

LAL : Comment abordez-vous 2025 « à l’aveugle », pourrait-on dire, puisque sans budget établi ?

F. T. : Il faut anticiper. Identifier les sujets à gérer, et se tenir prêt parce que les décisions seront prises. De grands arbitrages seront rendus. Et donc, il faut que nous soyons prêts pendant ce premier trimestre où on va fonctionner sans loi de finances, prêts à agir très rapidement quand elle sera adoptée.

LAL : Votre priorité l’année dernière était la création de logements sociaux, l’objectif a-t-il été rempli ?

F. T. : En 2023, on n’avait agréé que 500 logements sociaux. En 2024, on en a agréé 900. C’est un point haut et on s’en réjouit ! On a besoin de logements sociaux dans le département, d’autant que 70 % de la population landaise est éligible au logement social. On a besoin d’accueillir de nouvelles familles avec des enfants et c’est important parce qu’on est un département vieillissant. C’est une volonté politique, partagée par l’ensemble des acteurs, de déployer du logement social, par le conseil départemental, les intercommunalités. Il faut continuer d’agir en la matière.

LAL : Dans le cadre du plan France 2030, l’État a constitué une enveloppe de 16 millions d’euros pour accompagner 24 entreprises landaises sur 34 projets de réindustrialisation conciliant l’impératif de transition écologique. Pour quels projets par exemple ?

F. T. : Dans le département, on a la chance d’avoir une économie qui se tient, d’avoir de grandes entreprises dans l’aéronautique, mais aussi dans toute la filière du pin organisée autour de la chimie fine. On a des projets très importants pour développer du carburant vert, avec Ryam à Tartas notamment. L’État a souhaité mettre en place le plan France 2030 pour accompagner les entreprises dans cette révolution verte. Il y a par exemple, dans l’agroalimentaire, Labeyrie Fine Foods, avec tout le dispositif de chaîne de traitement qui a ainsi pu être financé, pour revoir le système d’accrochage des volailles et des canards, et augmenter l’efficacité et la productivité. Je pense aussi aux Chanvres de l’Atlantique, à Lesbats Scieries d’Aquitaine ou encore aux Sources de l’Avance.

LAL : Envisagez-vous des investissements ciblés cette année sur des projets d’aménagement du territoire ?

F. T. : Déjà, je veux dire ma grande satisfaction d’avoir eu l’inauguration du plateau technique de l’hôpital de Mont-de-Marsan. C’est une belle réussite. Autre point important : les annonces qui ont été faites, dans le cadre du Ségur de la Santé, de mobiliser une enveloppe de 32 millions d’euros pour la rénovation du groupe Sainte-Anne, toujours à l’hôpital de Mont-de-Marsan, afin d’améliorer la réponse sur toute la psychiatrie. C’est une opération très importante qui va être déployée très prochainement. Actuellement, on est toujours en phase d’étude sur le projet, parce qu’il faut associer tous les acteurs pour définir leurs besoins.

LAL : Quels sont vos dossiers prioritaires en 2025 ?

F. T. : Je souhaite vraiment mettre l’accent sur la question du travail. Le taux de chômage dans les Landes est de 6,7 % en décembre 2024, ce qui est encore trop élevé. Ce que l’on constate également, c’est qu’il y a des emplois qui restent non pourvus et des secteurs qui recrutent. Il faut que les personnes bénéficiaires du RSA soient inscrites à France Travail, qu’elles puissent avoir une offre d’emploi ou de formation qui leur soit dédiée. Je suis consternée de constater que dans des quartiers prioritaires, à Dax comme à Mont-de-Marsan, c’est parfois 40 % des 16-25 ans qui ne sont ni en formation ni en emploi. Ma priorité en 2024, c’était le logement. En 2025, c’est l’emploi. C’est pour cette raison qu’avec le président du conseil départemental, nous avons installé un comité départemental pour l’emploi. L’objectif, c’est de faire en sorte que les acteurs qui travaillent sur l’emploi puissent intensifier leur coopération, pour avoir une action plus efficace en direction des demandeurs d’emploi. Des comités locaux pour l’emploi vont être déployés sur tout le département. Ils vont être mis en place là, en janvier-février.

Je veux continuer à travailler avec les agriculteurs sur les mesures de simplification

LAL : Et pour le monde agricole, que souhaitez-vous faire ?

F. T. : Je veux continuer à travailler avec les agriculteurs sur les mesures de simplification qui ont été conduites l’année dernière. On a examiné en 2024 une vingtaine de mesures de simplification, à chaque fois avec des fiches actions. Tout n’est pas terminé. Un exemple de ce qui a été fait : il est apparu que les formulaires qu’on examinait pour étudier les demandes de forage des agriculteurs étaient bien trop compliqués. On a donc considérablement allégé ces formulaires. Nous avons une agriculture de qualité, avec des Labels Rouges, de la haute valeur ajoutée, et qui est très diversifiée. J’ai souhaité qu’on examine toutes les applications des mesures de la loi Egalim sur les filières volailles et bovine, notamment sur les contrats d’achat passés entre l’agriculteur, l’éleveur et le premier acheteur. J’ai souhaité qu’on mette tous les acteurs de la filière, en amont et en aval, autour de la table, les agriculteurs, les grandes coopératives, les supermarchés, et les banques. Des engagements ont été pris. On verra s’ils ont été suivis ou pas. On refera un point en février-mars.

LAL : Vous êtes en poste dans les Landes depuis trois ans, qu’est-ce qu’il y a de plus gascon en vous, Mme la préfète ?

F. T. : Je pense que c’est sans doute l’esprit festif, la convivialité j’espère, et le goût de la gastronomie. J’aime bien l’état d’esprit de ce département, qui est chaleureux, qui a le souci des autres, de l’entraide, cet esprit de solidarité, cette bienveillance. J’y suis sensible, et j’espère en avoir les traits également.

LAL : Est-ce que vous souhaitez rester ici ?

F. T. : Je suis très heureuse dans les Landes et j’aime beaucoup servir ce territoire. J’ai la chance d’avoir une équipe au top. Ensuite, un préfet est en contrat à durée déterminé, renouvelable chaque mercredi, je suis à la disposition des autorités ! Il m’est arrivé de rester plus de cinq ans sur un poste et ça ne me gêne pas du tout. Je trouve aussi qu’une action s’inscrit dans la durée.

Focus sur le bilan sécurité de 2024

En 2024, le nombre des atteintes aux biens a baissé de 8,5 % dans les Landes, « contre 3 % au niveau national », précise Françoise Tahéri. Qui l’explique par « la présence plus forte sur la voie publique des policiers et gendarmes, + 62 % depuis 2022, et aussi par la mise en place des cellules anti-cambriolage ». Le nombre des atteintes aux personnes est indiqué comme « stable », et le nombre de victimes de violences intra familiales en baisse de 3,7 % (1 500 victimes environ recensées). En revanche, l’année dernière a été marquée par une forte augmentation des violences sexuelles, + 23 %. Concernant la lutte contre le trafic et la consommation de stupéfiants, la préfète se félicite de la réussite des opérations Place nette « qui ont permis l’interpellation de 26 personnes au cours des deux opérations ». Son ambition pour 2025 : « Pilonner les points de deal et mieux caractériser les flux pour être plus efficace. » Le phénomène « inquiétant » de la conduite sous l’emprise de stupéfiants, qui monte en flèche (795 suspensions de permis de conduire comportaient un volet consommation de stupéfiants en 2024, contre 542 en 2023 et 398 en 2022) sera particulièrement scruté et sanctionné cette année, alors que « le bilan 2024 sur les routes n’est pas bon [30 morts comptabilisés mi-décembre, NDLR] », déplore la préfète.

Un parcours méritocratique

« C’est un grand honneur d’être nommée préfète, c’était inespéré pour moi ! », s’exclame Françoise Tahéri, en fin d’interview. Issue d’un milieu modeste, elle est la fille d’un cuisinier et d’une couturière à façon qui lui ont « transmis le goût du travail bien fait ». Après son bac, la jeune femme se lance dans une prépa littéraire, qui lui apporte une culture générale solide et « le besoin de revenir toujours au texte source », glisse-t-elle en attrapant sur son bureau un Code de l’environnement soigneusement annoté. L’étudiante rate le concours de l’École normale supérieure – « la marche était trop haute, ça a été une grande peine pour moi » -, se retrouve sur les bancs de l’Université en philosophie et décide, au hasard d’une affiche faisant la publicité d’une prépa pour les carrières dans la fonction publique, de passer un concours de recrutement des attachés d’administration centrale. « J’ai atterri au ministère de l’Intérieur, auquel je reste très attachée, et ensuite j’ai passé tous les concours internes. »