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Expert en immobilier – Les méthodologies qui font la différence

PROFESSIONS. Litiges sur les baux commerciaux, trouble anormal de voisinage, calcul du profit subsistant dans les divorces… Pour les particuliers comme pour les entreprises ou les collectivités, l’expert de justice en immobilier intervient devant les tribunaux ou en amont d’une opération pour la sécuriser. Rencontre avec Madeleine Perrin, expert en valeur vénale et locative, près la cour d’appel de Pau, et nouvelle déléguée de la Compagnie nationale des experts de justice en immobilier sur les Landes, le Béarn et le Pays basque.

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MADELEINE PERRIN © Jpeg Studio

Les Annonces Landaises : Vous venez d’être nommée déléguée de la Compagnie nationale des experts de justice en immobilier pour le ressort de la cour d’appel de Pau. Quel est votre rôle ?

Madeleine Perrin : En mettant en place une déléguée régionale sur les Landes, le Pays basque et le Béarn, la Compagnie nationale des experts de justice en immobilier (CNEJI), présidée par Sophie Mutter-Puccetti, qui regroupe 250 experts en France, souhaite mieux faire connaître notre activité. Proposer aussi une porte d’entrée aux experts qui auraient besoin d’un soutien en matière de formation, d’échanger sur les compétences et la pratique du métier, ou de se sentir moins isolés, tout simplement. L’idée est aussi de susciter une appétence pour ces missions, former avec une vraie exigence de jeunes entrants et les aider à passer le cap pour prêter serment devant la cour d’appel de leur ressort. Faire partie d’une Compagnie exigeante et reconnue par l’ensemble des professionnels est un gage de compétences supplémentaires.

LAL : Quelles sont justement les spécificités de votre métier ?

M. P. : Quand l’expertise demande une certaine technicité ou quand il n’y a pas d’accord entre les parties, l’expert judiciaire en immobilier apporte en plus d’une bonne connaissance du marché, sa neutralité, ses compétences juridiques, techniques, et surtout des méthodologies très précises qui sont les seules à être reconnues par les tribunaux.

C’est d’autant plus essentiel que sur les questions que nous tranchons, les enjeux financiers sont souvent importants. L’investissement dans une expertise, pour laquelle il faut compter au minimum 1 000 euros hors taxes, jusqu’à beaucoup plus pour des cas complexes aux enjeux très conséquents, permet de sécuriser une opération en cas de contentieux.

Sur les questions que nous tranchons, les enjeux financiers sont souvent importants

LAL : Quels sont les sujets sur lesquels vous intervenez le plus ?

M. P. : Nous sommes fréquemment sollicités par les particuliers sur le calcul du profit subsistant lors de la liquidation du régime matrimonial, en cas de divorce. Dans les Landes, on est des terriens. Dans de nombreux cas, un des deux époux a eu donation du terrain par ses parents. Quand le couple a construit sur ce terrain et qu’il se sépare, comment calculer la part de chacun, alors que l’époux qui a reçu la donation va devoir « récompense » à son ex-conjoint pour compenser la plus-value liée à la construction ? Le calcul répond à des méthodes techniques spécifiques sur lesquelles les juges vont se fonder pour apprécier si l’évaluation est correcte ou pas.

LAL : Pour les entreprises, les fluctuations récentes du marché de l’immobilier ont-elles eu un impact sur le renouvellement des baux commerciaux ?

M. P. : Nous intervenons régulièrement sur la réévaluation de la valeur locative des murs commerciaux, lors du renouvellement du bail ou en révision triennale. D’autant plus, qu’après la période covid, celle-ci a pu augmenter sur certaines communes comme Hossegor ou Biarritz. Sur d’autres secteurs, on assiste à une tendance baissière liée à une économie un peu plus fragile des centres-villes depuis quelques années. La spécificité de l’expert va être de savoir pondérer la surface du local, et d’utiliser les informations que l’on retrouve dans les différents baux pris en référence pour les mettre en comparaison avec le local concerné par l’expertise. On va chercher des références de loyers en étant à même de mesurer ce qui est comparable : le locataire paie-t-il la taxe foncière ? Comment sont réparties les obligations du bailleur et du locataire ? etc. Notre métier est de ne prendre en compte que des critères objectifs. Les études officielles, comme les statistiques de l’Insee, d’observatoires locaux comme celui de Landes Attractivité, nous permettent d’apprécier les facteurs locaux de commercialité, l’évolution d’un quartier par rapport à la nature du commerce.

Notre métier est de ne prendre en compte que des critères objectifs

LAL : Les baux commerciaux génèrent-ils des conflits particuliers ?

M. P. : Nous sommes fréquemment missionnés par le tribunal sur l’évaluation de l’indemnité d’éviction rattachée au bail commercial. En effet, si on vous demande de partir d’un local, il faut bien qu’on vous indemnise, dans la mesure où c’est votre activité professionnelle qui est en jeu. L’indemnité d’éviction, c’est une autre compétence spécifique de l’expert qui doit évaluer l’indemnité principale (la perte du fonds ou le transfert de fonds) et les indemnités accessoires puisqu’on doit évaluer l’intégralité du préjudice subi.

L’une des spécificités landaises concerne les résidences de tourisme. Le propriétaire d’un appartement y est lié par un bail commercial avec le gestionnaire qui va louer en saisonnier ces lots qui constituent son fonds. Si au terme des neuf ans, le propriétaire qui sur cette période, a perçu un loyer et souvent bénéficié d’avantages fiscaux, veut récupérer le logement, il doit verser une indemnité d’éviction à la fin du contrat. S’il n’y a pas d’accord à l’amiable entre le gestionnaire et le propriétaire, on fait appel à un expert qui doit évaluer le préjudice subi à l’instant T.

LAL : La densification favorisée par les plans locaux d’urbanisme, pour davantage de sobriété foncière, entraîne-t-elle une augmentation des litiges autour notamment du « trouble anormal de voisinage » ?

M. P. : Le trouble anormal de voisinage devient effectivement une vraie problématique, y compris dans les Landes avec l’augmentation des découpages de terrains et la construction de nouvelles résidences. Il s’agit d’évaluer le préjudice subi et par conséquent la perte de valeur vénale pour le bien à partir de critères objectifs, principalement la perte d’ensoleillement et d’intimité.

L’intelligence artificielle restera a priori comme une assistance personnalisée

LAL : Pensez-vous que le développement des outils d’intelligence artificielle est susceptible d’impacter l’exercice de votre métier ?

M. P. : Effectivement, quid de notre métier quand l’intelligence artificielle va pouvoir gérer les données ? Aujourd’hui, elle n’est pas suffisamment précise pour apporter une évaluation. Nous disposons déjà d’outils qui répertorient toutes les ventes sur un secteur : les surfaces, les types de biens avec quel prix de vente à quelle date. Il faut savoir les utiliser, rechercher les références comparables, les recouper, les pondérer, les comparer. C’est ce qui fait la différence de l’expert. Actuellement, quand on fait une simulation sur des logiciels, il y a souvent un delta important avec l’évaluation de l’expert dans la mesure où ceux-ci font une moyenne sur un secteur. Or, l’évaluation d’un bien, c’est aussi tenir compte d’un certain nombre d’éléments qui vont faire sa valeur : son emplacement précis, s’il y a des nuisances ou pas, la qualité des prestations. Pour l’instant, je remarque que plus on a d’outils, plus il y a litige.

En revanche, l’intelligence artificielle, une fois « éduquée », peut nous aider dans la logistique, en facilitant la recherche d’informations, les jurisprudences, sous réserves de les vérifier, les prix, les valeurs qui rendront notre travail plus rapide. Certains pourront l’utiliser pour le côté rédactionnel, même si la propre touche de chacun apporte aussi des éléments. Elle pourra impacter favorablement les délais de remise des rapports. Mais elle restera a priori comme une assistance personnalisée.

Des domaines de compétences spécifiques

En lien avec les avocats, notaires, gestionnaires de patrimoine, agents immobiliers ou les banques dans le cadre de prêts, les domaines de compétences spécifiques de l’expert qui relèvent de méthodologies particulières, portent notamment sur le profit subsistant en cas de séparation, les redressements fiscaux liés à l’impôt sur la fortune immobilière, l’évaluation de la valeur vénale ou locative des murs, l’indemnité d’éviction, la valeur des fonds de commerce ou encore des biens d’habitation, les troubles de voisinage ou l’évaluation d’un ensemble immobilier dans le cadre d’un bail à construction.

Madeleine Perrin : « La neutralité me va bien »

« Je ne suis pas une commerciale, la neutralité et l’impartialité prescrites dans le code de déontologie de l’expert en évaluation immobilière me vont bien », sourit Madeleine Perrin qui, son DESS en droit immobilier en poche, a commencé sa carrière comme agent immobilier, avant d’exercer pendant 10 ans comme juriste en immobilier au sein de structures parapubliques : « Avec 3 000 consultations par an, c’est une expérience très formatrice dans le domaine juridique. » Une trajectoire qui la conduit à créer, en 2015 dans les Landes, son activité d’expert immobilier en valeur vénale et de formation avec Eofimmo, puis à prêter serment près de la cour d’appel de Pau en 2016 pour devenir expert judiciaire. Son « métier idéal, dit-elle. À la fois de terrain, de réflexion avec une partie rédactionnelle. Il recoupe les compétences que j’avais envie d’apporter, avec ce service de conseil, d’explication, de justification et sans parti pris. L’activité porte sur un territoire étendu qui, sur un même dossier, peut aller de Bayonne à Biscarrosse et à Mont-de-Marsan, et des domaines tellement variés que je ne suis jamais rassasiée. »